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Des révoltés de Cordoue très caricaturaux.

A propos d'un best-seller espagnol tout juste sorti en France, nouvelle machine de guerre contre l'Europe chrétienne. Carlota a traduit un article d'un historien espagnol, le Père Ángel David Martín Rubio (21/6/2011)

Me promenant samedi dans une Fnac quelconque, j'ai eu entre les mains "Les révoltés de Cordoue".
Un de ces thrillers historiques, d'aspect inoffensif, mais qui servent à faire passer, de façon subliminale, des idées auprès de lecteurs peu méfiants (et patients! car ce sont en général de véritables pavés, ici 875 pages!!!): dans cette démarche, ce qui compte, c'est la répétition.
Le livre était bien en évidence, en pile, juste en face de l'escalator. Par curiosité, j'ai regardé la quatrième de couverture, que j'ai retrouvée ensuite sur internet.
Depuis, j'ai entendu des pubs insistantes à la radio: "best-seller mondial", "chef-d'oeuvre", etc... Bref, le tintamarre habituel.
La présentation de l'éditeur donne le frisson, tant c'est caricatural:

En cette année 1568, tandis que l’Inquisition continue à soumettre de son talon de fer la vie politique, religieuse et culturelle des royaumes espagnols, dans les montagnes et les vallées des Alpujarras, au sud de la Péninsule, l’heure de la révolte a sonné. Ecoeuré par les injustices, les expropriations et les humiliations, les musulmans se dressent contre l’oppresseur afin qu'on reconnaisse leurs droits civils et religieux. Parmi eux, Hernando, dit « le nazaréen », né d’une Mauresque violée par un prêtre, qui rêve d’unir sa vie à celle de l’incandescente Fatima, est entraîné dans un combat redoutable qu’il fera sien et qui le forgera. Après l’échec de l’insurrection, contraint de vivre avec sa famille une existence difficile, bravant le danger permanent, il va consacrer toutes ses forces et son intelligence à rendre à sa culture et à sa religion la dignité et le rôle qu’elles méritent. Dans cette saga riche en péripéties et rebondissements, Ildefonso Falcones, comme pour La Cathédrale de la mer, traite de thèmes dont l’écho se prolonge aujourd’hui encore : le droit à la différence, la tolérance religieuse et la dignité des peuples.

J'ai sollicité mon amie Carlota, qui connaît bien mieux que moi (c'est une litote!) l'histoire espagnole.
Elle a réagi au quart de tour, comme je m'y attendais! Tout en apportant des précisions sur l'accueil flatteur reçu par le livre dans l'Espagne de Zapatero, elle a traduit un article du prêtre et historien Ángel David Martín Rubio, déjà rencontré dans ces pages (La guerre autour d'un dictionnaire? ), écrit en 2009 sur l’expulsion des Morisques d’Espagne.
Rappelons ici rapidement, avant de lire la suite, ce qui avait déjà été expliqué dans un autre article (Les gitans d'Espagne, du XVe au XVIIe siècle):

"Les Morisques étaient des musulmans autorisés à rester en Espagne après la reconquête, d’abord en gardant leur religion puis sous réserve de devenir chrétiens à partir du tout début du XVIème siècle. Il pouvait s’agir de chrétiens originaires de la péninsule ibérique qui s’étaient convertis à la religion musulmane au fil des siècles à la suite de contraintes plus ou moins violentes, de mariages mixtes, ou pour des facilités d’existence et de carrière...; ou bien n’étaient pas d’origine européenne mais avaient été convertis à l’Islam avant d’arriver dans la péninsule ibérique".

On verra que l'utile rappel historique qui est fait ici, en plus de ne pas être politiquement correct, est peut-être aussi actuel que le message véhiculé par le livre et admis par l'éditeur... pour des raisons opposées.

Carlota:

En 2009 paraissait en Espagne, « La mano de Fátima » la main de Fatima d’Ildefonso Falcones dont le précédent livre « La cathédrale de la mer » sur l’histoire d’un paysan devenu bâtisseur de cathédrale à Barcelone au XIVème siècle, avait fait un immense succès de libraire.
Son nouveau romain était présenté ainsi (en espagnol) :

C’est la passionnante histoire d’un jeune Morisque dans l’Andalousie du XVIème, coincé entre deux religions, à la recherche de sa liberté et celle de son peuple (ndt déjà l’on dresse l’oreille !). Un récit plein d’émotion qui se veut le reflet de la tragédie des Morisques, et leur expulsion d’Espagne 400 ans plus tôt. Un roman qui nous relate la vie et les aventures d’un jeune homme entre deux mondes et amoureux, qui jamais ne s’est résigné à la défaite et a lutté pour la cohabitation des religions chrétienne et musulmane. Ildefonso Falcones entraîne le lecteur dans un fascinant parcours par les rudes montagnes des Alpujarras (ndt bien se rappeler du nom !) et la guerre qui se livre en ces lieu, - ainsi que dans l’imposante Cordoue, l’antique ville du califat avec sa mosquée cathédrale (ndt il serait plus juste de dire basilique transformée en mosquée et re-consacré au culte catholique, et depuis lors cathédrale !), son vieux quartier musulman, ses rues et leur agitation. Un roman dans lequel les lecteurs de « La cathédrale de la mer » retrouveront la même fidélité historique, de même qu’un passionnant récit d’amour et de haine qui entraîne le héros par les chemins de l’aventure.

Sans vouloir émettre un avis sur les qualités de l’écrivain à succès qu’est devenu l’avocat barcelonais Ildefonson Falcones (né en 1959) avec des romans historiques très à propos, ni vouloir juger a priori la « fidélité historique » de son livre, un roman est un roman n’est-ce pas, même s’il est dit historique (rappelons-nous les incroyables et passionnants récits de Juliette Benzoni et notamment ceux concernant sa Catherine de Montsalvy qui sauvait presque Jeanne d’Arc du bûcher et devenait l’amante d’un prince musulman de Grenade, qui ont passionné des dizaines de millions de lecteurs!) , et je crois nécessaire de faire quelques remarques et apporter quelques précisions, alors que ce livre vient de sortir en France sous le titre « Les révoltés de Cordoue », accompagné d’une large publicité paraît-il.

Quand le livre est paru en Espagne (2009), avec une séance de promotion à Cordoue, il a été fortement applaudi par le maire de la ville, Andrés Ocaña (Gauche Unie - IU en espagnol, parti d’union qui comprend le parti communiste espagnol) qui a même déclaré que c’était une lecture obligée pour tous les Cordouans, le livre racontant l’odyssée d’un jeune Morisque dans la Cordoue du XVIème siècle.

Le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol d’une autre ville andalouse, celle de Grenade, avait proposé cette même année, par un communiqué d’un député, que soit « reconnue institutionnellement l’injustice commise envers les Morisques expulsés en 1609 ».

Et pendant ce temps l’évêque de Cordoue, Monseigneur Juan José Asenjo Pelegrina était harcelé par des demandes répétées d’une co-utilisation de sa cathédrale par des musulmans (qui s’étaient même adressés directement au Pape, suite au refus catholique local). Quelques mois plus tard des « touristes » musulmans autrichiens y feront même des prières et la police devra les expulser par la force, suite à leur refus de quitter les lieux. L’affaire fut par la suite classée sans suite ou presque).

Revenons donc aux faits historiques, stricto sensu, par l’intermédiaire d’Ángel David Martín Rubio et de l’article qu’il avait fait paraître fin 2009 dans Religión en Libertad sur l’expulsion des Morisques d’Espagne (Original ici)

Expulsion des morisques

L’existence d’un problème morisque dans l’Espagne des XVI et XVIIème siècles ne réside pas dans le processus de reconquête, qui avait admis dans presque toutes les capitulations progressives la coexistence légale de chrétiens et de mudéjars (ndt musulmans se trouvant dans les zones reconquises par les chrétiens à partir du XIème siècle. S’ils avaient gardé leur religion, ils ne parlaient souvent plus que le castillan). À la différence de ce qui était arrivé avec les Juifs, la cohabitation avec les mudéjars n’a pas été spécialement conflictuelle dans le passage entre l’Espagne du Moyen Âge et l’Ère Moderne.

Des Mudéjars aux Morisques
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Le problème de la diversité socio-religieuse va prendre de l’ampleur après la prise de Grenade (ndt la péninsule est totalement reconquise après l’entrée à Grenade, le 2 janvier 1492, d’Isabelle de Castille et de son époux Ferdinand d’Aragon, et le départ du dernier roi de Grenade, Boabdil, qui s’était vu présenter des conditions très généreuses en échange de sa reddition) quand les Rois Catholiques décidèrent de traiter à fond l’unification du pays y compris dans ce domaine.
L’oeuvre d’évangélisation des Maures promue par Cisneros (ndt Franciscain, cardinal évêque de Tolède, primat d’Espagne, confesseur et conseiller de la Reine Isabelle) entraîna le mécontentement de la population « conquise » qui estima que cela ne correspondait pas aux conditions de reddition, ce qui provoqua des révoltes notamment dans la Sierra Bermeja (ndt de la chaîne montagneuse de Ronda, tout au sud de l’Espagne, à cheval sur le versant méditerranée et atlantique de l’Andalousie) et coûta en 1501 la vie à Alonso de Aguilar, frère du Grand Capitaine (ndt Gonzalo Fernández de Córdoba, illustre soldat andalou au service des Rois d’Espagne).
Les Rois Catholiques qui, du fait des conditions de la reddition, s’étaient sentis les mains liées, mirent alors les Morisques devant le choix suivant: quitter le pays ou se convertir. Cette disposition fut aussi appliquée aux Mudéjars de Castille et du Léon le 20 février 1502. Bien que théoriquement tous les non-convertis furent expulsés, beaucoup continuèrent à pratiquer du manière plus ou moins cachée la religion islamique en Espagne. Dès lors les mudéjars devinrent des « morisques » (ndt moriscos : littéralement petits Maures, « moros », Maures, étant le terme générique pour désigner les musulmans en Espagne, et les petits Maures, étaient donc plus précisément les ex-musulmans ayant reçu le baptême).

La majorité d’entre eux habitaient dans les zones rurales et vivaient de l’agriculture. Leur importance socio-économique était restée limitée. Et dans l’ensemble, l’on fut tolérant à leur égard, dans les années qui suivirent la reconquête....
Mais les tentatives d’assimilation comme celles promues par Saint Thomas de Villeneuve et Saint Jean de Ribera de l’archevêché de Valence, furent réitérées sans succès.

Le Bx Juan de Ribeira

HST. Francisco DOMINGO MARQUES (1842-1920), musée des beaux arts, Valence

La rébellion morisque des Alpujarras
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Le résultat d’un aussi long processus, qui avait déjà plus d’un siècle, fut l’existence d’une population de faux chrétiens qui conspiraient sans cesse contre la tranquillité du royaume et faisaient la promotion de soulèvement et de rébellion ou traitaient avec les Turcs ou les pirates barbaresques.
Le soulèvement qui eut pour cadre les Alpujarras dans la région de Grenade à l’époque de Philippe II (1568-1751) écrasé par les troupes aux ordres de Don Juan d’Autriche (ndt demi-frère de Philippe II et fils adultérien de Charles Quint, futur vainqueur de Lépante) posa de nouveau le problème d’une façon cruciale. Les rebelles morisques proclamèrent leur roi (Le noble Fernando de Córdova y Válor, chrétien depuis plusieurs générations, qui reprit le nom de ses ancêtres, Aben Humeya) et massacrèrent la population chrétienne.
Luis de Mármol, historien contemporain des faits, raconte:

« La première chose qu’ils firent, ce fut de prendre le nom de la secte de Mahomet, se déclarant Maures étrangers à la foi catholique qu’ils professaient eux et leurs grands parents. Et en même temps sans respecter ni la chose divine ni l’humaine, comme des ennemis de toute religion et charité, remplis d’une rage cruelle et d’une colère diabolique, ils brûlèrent et détruisirent les églises, mirent en morceaux les vénérables statues, détruisirent les autels et, s’emparant brutalement des prêtres du Christ qui leur enseignaient les choses de la foi et leur administraient les Sacrements, ils les traînèrent pas les rues, dénudés et déchaussés, avec des outrages et des affronts en public ».

Malgré tout, et dans les années qui suivirent, loin de promouvoir uniformément la liquidation du problème, l’opinion restait divisée entre ceux qui comme les nobles de Valence continuaient à soutenir leurs vassaux comme principal fondement de leur prééminence et ceux qui étaient favorables à l’expulsion, convaincus de l’inutilité des bonnes volontés pour obtenir l’assimilation, et du danger que supposaient les initiatives de promotion des Morisques: ces derniers parfois s’étaient même mis d’accord avec les Huguenots du Béarn, et avaient envoyé des ambassadeurs au Grand Turc, lui offrant des milliers de guerriers s’il voulait s’emparer de l’Espagne et les sortir de leur servitude. Le problème n’était pas racial, et seulement dans une certaine mesure religieux; c’était un problème de politique intérieure et de politique extérieure, en langage actuel, de géostratégie dans laquelle les Morisques en venaient à être la « cinquième colonne » de l’Empire Ottoman et de la piraterie algéroise.

Expulsion des Morisques et valorisations historiographiques
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Ce fut durant le règne de Philippe III qu’on opta pour l’expulsion. Dans un procédé qui s’échelonna de 1609 à 1616. On calcule que quelques 300 000 Morisques, sur le demi million présent abandonnèrent l’Espagne, bien que ces chiffres ne soient qu’estimatifs (ndt la population espagnole est estimée à quelques 5 millions d’habitants vers 1550).

Aujourd’hui prédomine l’interprétation manichéenne de cette mesure d’expulsion, selon une lecture de l’histoire orchestrée à partir d’intérêts politiques, et ancrée dans des schémas simplistes des « bons » et des « méchants », dans ce cas précis, la minorité opprimée et marginalisée par ceux qui étaient, c’était le comble, en plus d’être intolérants, chrétiens et espagnols.
Rien de cela ne résiste à la plus sommaire analyse.
L’historien anglais John Elliot (ndt Sir John Huxtable Elliott – Reading 1930, éminent professeur d’histoire britannique) conclut :

« Il en résulte qu’il est plausible de penser que l’expulsion était la seule solution possible. Fondamentalement la question morisque était celle d’une minorité raciale non assimilée, et sans doute non assimilable, qui avait occasionné constamment des troubles depuis la prise de Grenade. La dispersion des Morisques dans toute la Castille, après la répression de la seconde rébellion des Alpujarras en 1570, n’avait que compliqué le problème en l’étendant dans des zones jusqu’alors libres de population morisque. À partir de 1570 le problème morisque fut un problème autant pour la Castille que Valence ou l’Aragon même si les caractéristiques variaient d’une région à l’autre ».

Menéndez Pelayo (ndt Marcelino Menéndez Pelayo1856-1912, érudit espagnol, proposé au prix Nobel en 1905), parlant de l’expulsion, affirme :

«Je n’hésite pas à déclarer que je la tiens comme l’accomplissement obligé d’une loi historique, et qu’il faut seulement regretter qu’on ait tant tardé à prendre la décision […] En résumé, et en pesant le pour et le contre des avantages et des inconvénients, nous jugerons toujours la grande mesure d’expulsion du même enthousiasme avec lequel elle fut fêtée par Lope de Vega, Cervantès et toute l’Espagne du XVIIème siècle : comme un triomphe de l’unité de la race, de l’unité de la religion, de la langue et des coutumes ».

Et pour Gregorio Marañón (Ndt 1887 – 1960 ; grand médecin endocrinologue, scientifique, historien et penseur espagnol) :

«L’étude impartiale de ce qui est arrivé durant les 117 ans que dura le problème morisque donne l’impression contraire: l’impression d’un excès de tolérance, de générosité, de zèle évangélique, qui se brisa face à l’esprit d’indépendance du peuple mahométan, excité de l’extérieur à des fins politiques par les pays adversaires de l’Espagne. Avec tous ses maux et douleurs inévitables, ce procès des Morisques doit être prononcé en faveur de l’État espagnol ».

Et Ángel David Martín Rubio de conclure :

« Je crois qu’à personne il n’échappe que toutes ces opinions sont de beaucoup plus de poids que celles des porte-paroles du gouvernement [de Zapatero].

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J’aimerais pourvoir en dire autant des films, romans historiques (« Les révoltés de Cordoue ») et diverses publications de vulgarisation que l’on trouve actuellement un peu partout. Mais j’ai des doutes…

Ángel David Martín Rubio recommande quelques ouvrages, qui malheureusement ne sont pas forcément disponibles en français dont le dernier « La chimère de Al-Andalus », cette Andalousie citée en exemple par Barack Obama. Elle est bien sûr très contesté par un certain courant de pensée actuelle.

- Marcelino MENÉNDEZ PELAYO: Historia de los Heterodoxos españoles
- Francisco A. HITOS : Mártires de la Alpujarra en la Rebelión de los moriscos (1568)
- Gregorio MARAÑÓN: Expulsión y diáspora de los moriscos españoles, Taurus Ediciones, Madrid, 2004.
- Serafín FANJUL: La quimera de Al-Andalus, Siglo XXI, Madrid, 2006.

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