Mort de Vincent: l'abandon des pasteurs

L'effarante tribune de Paglia, le président de la PAV, dans un magazine catholique italien. Le tweet du Pape. Etc.. (12/7/2019)

>>> Voir aussi: Vincent: Quel silence de l'Eglise!


Les mots sont superflus, et impuissants à exprimer ce que l'on ressent à la "nouvelle" de la mort de Vincent Lambert. Aussi m'abstiendrai-je de tout commentaire personnel.

En ce qui concerne le Pape, tout est résumé dans ce commentaire d'Antonio Socci, sur sa page Facebook: COMME D'HABITUDE, QUAND TOUT EST CONSOMMÉ (et il y en a qui s'en contentent, et même font la claque!)



Diego Vaca: Ah, Saint-Père, maintenant, vous vous souvenez de son nom. Dommage, le média utilisé (Twitter) au lieu de profiter de vos propres publications, comme Avvenire, ou l'OR, ou une chaîne comme CTV, ou TV 2000. Quel timing!

La tribune de Vincenzo Paglia dans Famiglia Cristiana est ici: www.famigliacristiana.it.

Ce n'est pas très long, et le paragraphe consacré à l'épiscopat français vaut d'être lu en entier. Même pas besoin de lire entre les lignes pour voir recoonue leur inaction (malgré quelques propos lénifiants à la fin)

LES ÉVÊQUES FRANÇAIS
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Pour sa part, la Conférence épiscopale de France a souligné qu'elle n'avait pas compétence pour s'exprimer sur le cas concret, évitant de se substituer à la conscience de ceux qui sont responsables de la décision, mais apportant plutôt sa propre contribution pour instruire le chemin menant au jugement. Elle s'est donc limitée à quelques considérations générales, sans la prétention d'entrer dans l'évaluation du cas concret, également en raison de l'impossibilité d'avoir toutes les informations nécessaires à sa disposition. Le douloureux conflit familial concernant l'hypothèse de la suspension de l'alimentation artificielle et de l'hydratation, puisque l'accès à la volonté du patient est exclu - élément indispensable pour l'évaluation de la proportionnalité des traitements - a conduit à une impasse qui dure depuis des années. La question éthique s'entredroise avec la sphère juridique. Le recours à des moyens juridiques a renforcé et exacerbé le conflit. Sans entrer dans les détails techniques de la sentence, on peut dire que la Cour de Cassation a retenu le choix de la suspension, auquel les médecins étaient arrivés après une évaluation collégiale attentive, compatible avec la loi en vigueur en France. Mais dans cette longue et épuisante controverse, l'opposition a envahi la sphère publique, avec un large écho médiatique, prenant la forme d'une bataille entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre l'euthanasie. Les évêques ont avant tout clairement réaffirmé la négativité de cette pratique. En outre, ils ont rappelé l'importance de l'attention aux plus faibles pour la construction de la coexistence sociale. Et ils ont mis en lumière les répercussions que le choix d'interrompre le traitement peut avoir sur les personnes se trouvant dans des situations similaires (environ 1 700 personnes en France), pour leur famille et pour le personnel de santé. Une observation particulièrement pertinente.

Devions-nous nous taire pendant qu'ils tuaient un homme ?


Tommaso Scandroglio
www.lanuovabq.it
12 juillet 2019

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Mgr Paglia parle de «conflit exaspéré" et de "polémique épuisante". Mais qu'auraient dû faire les parents de Vincent? Rester à regarder pendant qu'on leur tuait leur fils pour ne pas heurter les consciences sales des juges, des médecins et des membres de sa famille qui voulaient sa mort? Une réponse à l'impensable commentaire du président de l'Académie Pontificale pour la Vie.


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Mgr Vincenzo Paglia, président de l'Académie Pontificale pour la Vie (Pav), s'exprime dans les pages de Famiglia Cristiana sur l'affaire Lambert. Mgr Paglia résume l'affaire judiciaire impliquant le patient français et souligne que cette affaire revêt des implications sociales, politiques et médiatiques complexes. «Tout cela - écrit Notre homme - rend l'élaboration d'un jugement éthique très délicate, notamment parce que l'information clinique est très complexe et n'est pas directement accessible dans tous ses détails».
Voici un premier faux pas. Donc, tout jugement moral concerne un fait. Pour juger correctement, il faut, entre autres choses, connaître exactement les faits. Dans l'affaire Lambert, les faits sont racontés par tout le monde de la même manière, tant par ceux qui voulaient sa mort que par ceux qui s'opposaient à sa mort: c'était un patient très handicapé qui, comme nous tous, avait besoin d'eau et de nourriture pour vivre. Le tableau clinique était donc clair, pas complexe comme le dit Mgr Paglia, et il était clair pour tous.

Ce sur quoi portait le désaccord, c'est le jugement moral sur le tableau clinique. Pour certains, l'hydratation et la nutrition assistées étaient des moyens thérapeutiques disproportionnés parce que, selon eux, maintenir un patient handicapé en vie était de l'acharnement thérapeutique; pour d'autres, l'hydratation et la nutrition assistées étaient des moyens de subsistance proportionnés à leur objectif, car elles permettaient au patient de vivre. Pour les premiers, il existe un seuil de qualité de vie en dessous duquel la personne n'est plus digne de vivre et il est donc licite de la tuer; pour les seconds, il n'est jamais licite moralement de tuer une personne innocente, au-delà de sa condition physique. Mgr Paglia ne devait donc pas dire qu'il est délicat, difficile et complexe d'exprimer un jugement éthique, mais plutôt que, lorsque Lambert était encore en vie, il n'était pas éthiquement acceptable de le tuer. C'était le jugement éthique que nous attendions du président de l'Académie pour la Vie, l'académie qui devrait protéger la vie humaine innocente dans le monde entier sans 'si' et sans 'mais'. Nous nous serions attendus à un parler franc, sans prétention et sans biais, étant donné les enjeux.

Mgr Paglia poursuit: «Le douloureux conflit familial sur l'hypothèse de la suspension de l'alimentation et de l'hydratation, artificielles, l'accès à la volonté du patient étant exclu - élément indispensable pour l'évaluation de la proportionnalité du traitement - a conduit à une impasse qui dure depuis des années». Deux constatations critiques. D'abord: Lambert, même en ce qui concerne la douleur, était un patient réactif, bien que pas totalement, et il y a même des vidéos pour en témoigner, il est donc faux de dire que «l'accès à la volonté du patient» était exclue. Ensuite, la rétroaction du patient, dans l'évaluation de la proportionnalité des soins, est importante, mais pas toujours nécessaire. Si je soumet un patient en phase terminale d'un cancer avec métastases multi-organes à une radiothérapie corporelle totale, cette intervention constituera la plupart du temps une obstination thérapeutique et il ne sera certainement pas utile de recueillir l'avis du patient pour s'en rendre compte, au contraire, dans la majorité des cas, il ne pourra même pas exprimer un jugement compétent dans ce domaine. La rétroaction du patient est indispensable dans certains cas, par exemple lorsque les interventions sont douloureuses et que le patient est réactif. Mais si le patient est incapable de communiquer, on tentera d'évaluer le niveau de souffrance avec d'autres paramètres et donc, même avec un patient complètement inconscient, il sera possible de comprendre si une certaine thérapie fait souffrir inutilement le patient.

En réalité, le passage de l'article de Mgr Paglia que nous venons de citer, s'articule autour de ce point précis: puisque Lambert ne pouvait pas nous dire si la nourriture et l'hydratation étaient trop lourdes pour lui, c'est-à-dire douloureuses, alors suspendons le jugement. Mais tout d'abord Lambert, dossier médical enregistrant ses réactions en main, n'a pas souffert à cause de ces moyens de subsistance vitaux, qui dans son cas prennent le nom de PEG (gastrostomie endoscopique percutanée), c'est-à-dire une canule, placée dans la paroi abdominale, qui le nourrissait et l'hydratait constamment. Il a souffert d'une manière atroce quand il est mort lentement de faim et de soif. En second lieu, même en admettant qu'il y a eu souffrance, cet effet négatif a certainement été dépassé par l'effet positif beaucoup plus important du fait de vivre et non de mourir. Que fait-on? Ne soumettons-nous plus aucun patient cancéreux à la chimiothérapie en raison des effets secondaires désagréables et souvent graves de cette thérapie?

Poursuivons avec l'article de Paglia: «Le recours aux voies judiciaires a renforcé et exacerbé le conflit. (...) Dans cette longue et usante polémique, l'opposition a envahi la sphère publique, avec d'amples résonances médiatiques, prenant la forme d'une bataille entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre l'euthanasie. Face à ces déchirures dramatiques, il s'agit tout d'abord d'assumer une attitude de recueillement et de prière mutuelle, afin de trouver des moyens de communication qui favorisent la réconciliation plutôt que la controverse, sur le plan familial et social».
Je suis d'accord pour dire qu'il vaut mieux faire l'amour que faire la guerre, à condition que d'autres veuillent faire l'amour, parce que si au contraire ils veulent tuer une personne handicapée, il est juste, en dernier recours, de faire la guerre, il est juste de monter sur les barricades, il est juste de s'opposer de force à un meurtre. Si vis pacem, para bellum, si vous voulez la paix, préparez-vous à la guerre, récite un vieux dicton latin. Oui, la paix peut être le but ultime de tous nos efforts, mais parfois la paix n'est pas seulement atteinte par le dialogue lénifiant et les bons sentiments à la Maia l'abeille, mais par la lutte, le conflit, les blessures, la division. Qu'auraient dû faire les parents de Vincent? Regarder tuer leur fils? Et tout cela pour ne pas heurter la conscience sale des juges, des médecins et des membres de la famille qui voulaient sa mort? Les pacifistes à outrance peuvent bien espérer qu'aucun criminel ne pourra jamais pointer une arme à feu sur leur tempe ou sur celle de leurs proches, leurs belles théories de paix, pas du tout catholiques, s'évaporeront en un clin d'oeil.

Pour finir, voilà le souhait de Mgr Paglia: «Nous devons également éviter de ne confier la solution qu'à un geste technique ou juridique afin de rechercher ensemble l'accord le plus large possible». C'est l'éthique conventionnelle, participative et partagée, les principes négociables, la vérité morale décidée à main levée, le collectivisme éthique, la morale démocratique, les valeurs contractuelles. Bien loin des absolus moraux, des actions intrinsèquement mauvaises, des impératifs négatifs absolus. Cela, c'est tout juste bon pour la vieille PAV.

La mort de Vincent, entre abandon des pasteurs et combats du troupeau


Luisa Scrosati
www.lanuovabq.it
12 juillet 2019
Ma traduction

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Vincent Lambert est entré dans nos vies. Son histoire montre qu'il y a une Église vivante qui prie et se bat. Comme ses parents Viviane et Pierre, ses frère et soeur David et Anne, ses avocats et tous ceux qui ont soutenu la lutte de Vincent. Conscient que ce qui était en jeu n'était pas "seulement" sa vie mais sa résistance à un totalitarisme qui hypnotise les consciences. L'affaire Lambert montre aussi que le peuple a été abandonné par la plupart des Pasteurs, qui semblent être devenus les précurseurs de la logique de l'Antéchrist.


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Notre aventure avec Vincent a commencé le 16 avril 2018, quelques jours avant l'assassinat d'Alfie. Benedetta Frigerio suivait avec foi, passion et compétence l'histoire de l'enfant anglais. Pendant ce temps en France, le Dr Vincent Sanchez du CHU de Reims informait sa famille qu'il commencerait le 19 avril la procédure de suspension de l'hydratation et de la nutrition de Vincent Lambert.

Depuis lors, depuis plus d'un an, Vincent est entré dans nos vies, avec un crescendo d'affection et de communion dans la prière. Jusqu'aux dernières batailles: le coup de théâtre du 20 mai, à 22h30, le énième et définitif début du processus d'euthanasie le 2 juillet et le début d'une nouvelle vie, la vraie vie, hier matin.

Qu'est-ce qui est ressorti de toute cette affaire? Qu'il y a une Église vivante, qui prie, qui lutte, qui s'expose. Nous l'avons vue en Viviane, Pierre, David, Anne; nous l'avons rencontrée dans les avocats Paillot et Triomphe et dans toutes les personnes qui ont essayé par tous les moyens de soutenir la famille et Vincent par la prière, par les messages, par leur présence physique aux initiatives organisées. Chez toutes ces personnes émergeait une conscience claire: il n'y avait pas "seulement" Vincent en jeu, ni "seulement" ces milliers de personnes qui sont dans la même condition que lui. L'enjeu était et reste la résistance à un totalitarisme de plus en plus fort, qui tente d'abord d'hypnotiser les consciences et ensuite de bloquer par tous les moyens ceux qui ne sont pas tombés dans le filet.

Durant tous ces mois, surtout les derniers, il a été douloureux, parfois jusqu'à la limite du tolérable, de devoir suivre pendant des heures la presse et la télévision françaises, dans une répétition incessante et martelante de mensonges et de demi-vérités; principes évidents réduits à des opinions et opinions fausses ou douteuses élevées au rang de vérités indiscutables; rites sacrificiels (du bon sens d'intelligence, en plus que de la vie humaine) accomplis en honneur des nouvelles divinités: Science, technologie, progrès, liberté.

Et pourtant, il y a un peuple, le peuple de Dieu qui résiste, qui combat. Mais c'est maintenant un peuple sans pasteurs, ou presque. C'est triste, c'est douloureux, mais il faut avoir le courage de le dire. Dans la rue, dans les journaux, dans les actions concrètes, ce sont eux qui ont été les grands absents: les pasteurs. Quand il y a eu le cas d'Alfie - confronté à l'absence intolérable de l'épiscopat anglais, au moment opportun seulement pour éloigner le seul prêtre (italien) qui faisait son devoir - le Saint-Siège a essayé au moins de jouer la carte de l'hôpital Bambino Gesù. Avec Vincent, pratiquement rien. Quelques timides interventions de quelques évêques français, puis retour en bon ordre dans leur silence, tandis que Vincent allait à la rencontre de son destin.

De Rome, une misère. Un bref appel l'année dernière, lorsque le Pape François, face à un père désespéré le suppliant de dire quelque chose (Thomas, le père d'Alfie), s'est senti obligé de lancer un appel, impliquant aussi Vincent. Puis un long silence, jusqu'au 21 mai dernier, avec un bref tweet et une déclaration commune du Dicastère des Laïcs, de la Famille et de la Vie et de l'Académie Pontificale pour la Vie.
Ici aussi, une devoir d'élève pour rappeler quelques principes généraux, qui ont depuis longtemps expiré. Comme si, avec deux buts, à 94', on avait décidé de remplacer un défenseur par un autre, pour ne pas rompre l'équilibre de l'équipe.

Et puis hier et aujourd'hui. Deux autres tweets du Pape: le premier ne mentionne même pas Vincent, le second, de condoléances ; et enfin une intervention de Mgr Paglia sur Famiglia Cristiana, à faire perdre patience à un saint.

Le peuple se montre, prend des risques et paie de sa personne, pour défendre la vie, la famille, les droits de Dieu, tandis que les pasteurs se cachent derrière un tweet ou un communiqué, juste pour faire acte de présence.

Il y a quelques années, en 2014, le pape François déclarait qu'il ne comprenait pas l'expression «valeurs non négociables»; il expliquait que «les valeurs sont des valeurs et c'est tout, je ne peux pas dire que parmi les doigts d'une main il y en a un moins utile que l'autre». En effet, il n'avait pas compris l'importance du concept, au vu de l'exemple donné, alors que nous avions bien compris que cette approche serait la fin de la présence active de l'Église pour enrayer la dictature de la pensée unique, qui devait affecter avant tout la vie et la famille. Et aujourd'hui, nous récoltons les fruits de cette «incompréhension». Ce silence presque total, à propos d'un homme qui n'a pas été autorisé à profiter d'autres structures qui pourtant s'étaient offertes pour l'accueillir, pour qui il n'y avait pas d'aide humanitaire pour fournir de la nourriture et de l'eau, n'est certes pas réconfortant.

Nous sommes donc seuls: les pasteurs - ou du moins la majorité - ne nous aideront pas dans cette bataille contre la bête qui monte de la mer (cf. Ap 13). Le Ciel le sait et c'est pour cela qu'il a prévu une présence "extraordinaire" de la Très Sainte Vierge en ces temps; et on peut voir son œuvre: le fruit est précisément ce peuple qui, spontanément, rassemblé par personne, avec très peu de moyens à sa disposition, combat et augmente.

Toutefois nous devons aussi ajouter une autre considération, au rique de paraître ingrats et catastrophistes. À l'absence des pasteurs, nous nous habituions, tristement. Mais à présent, ils viennent aussi nous dire que l'opposition n'est pas bonne, que nous ne devons pas construire des murs pour nous défendre, que nous ne devons pas exaspérer les situations. En d'autres termes: il ne suffit plus que nous soyons seuls sur le champ de bataille, tandis que les généraux partagent volontiers la table avec ceux qui nous tuent; maintenant ils nous ordonnent même de déposer nos armes et de quitter les tranchées avec de beaux bouquets de fleurs vers ceux qui sont là avec leurs mitrailleuses; les nouveaux maîtres mots sont: régler les conflits, discuter sur la complexité des situations, apprendre qu'il n'y a jamais le bon choix et le mauvais, mais beaucoup de choix, tous motivés et partiaux. Version ecclésiastique du «faites l'amour, pas la guerre». Nous devons nous préparer: ces pasteurs feront tout pour nous convaincre que nous sommes des paranoïaques qui voient des ennemis partout, des bellicistes qui n'ont pas compris la béatitude des artisans de paix.

«Le Christ, comme moraliste, a divisé les hommes selon le bien et le mal, tandis que Je les unirai avec les bénéfices qui sont également nécessaires aux bons et aux mauvais. Je serai le vrai représentant de ce Dieu qui fait lever son soleil et pour le bien et pour le mal et distribue la pluie sur les justes et les injustes. Le Christ a apporté l'épée, j'apporterai la paix. Il a menacé la terre du terrible jugement dernier. Mais le dernier juge sera moi et mon jugement ne sera pas seulement un jugement de justice, mais aussi un jugement de clémence. Il y aura aussi la justice dans mon jugement, mais pas une justice compensattrice, mais plutôt une justice distributive».
Telle était, selon Soloviev, la logique de l'Antichrist: se peut-il que nos pasteurs en soient devenus les précurseurs et les prophètes?

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