Le professeur de l’Institut JP II mis à pied avec ses collègues par le chancelier Paglia, est interviewé dans le quotidien La Verità. Il répond aux attaques d’un bergoglien certifié, auteur d’un article au vitriol d’Avvenire, le quotidien de la CEI; et c’est en partie à lui que Roberto de Mattei s’adresse dans son dernier article.

L’article de La Verittà est en accès payant. J’ai utilisé le texte en italien qu’a eu la gentillesse de me transmettre une lectrice abonnée au journal.
Cette version diffère sensiblement de la traduction « officielle » en anglais publiée par Life Site, plus prolixe.


Les disciples de Wojtyla traités pire que les hérétiques

Lorenzo Bertocchi
La Verità
3 août 2019
Ma traduction


Livio Melina, le professeur du centre Jean-Paul II congédié par Mgr Vincenzo Paglia, parle: « Le destin de l’Institut est décisif pour l’Église. Ils m’accusent de ‘corriger’ le Pape, mais ce n’est pas vrai. La vérité et l’amour ne peuvent être divisés ».

Dans le quotidien Avvenire est paru hier un article du journaliste Luciano Moia en réponse à une lettre des professeurs licenciés par le Grand Chancelier Vincenzo Paglia dans le cadre de la « restructuration » de l’ex-Institut Jean-Paul II d’études sur le mariage et la famille. Les professeurs se plaignaient d’avoir été inopinément accusés d’ « attaquer le Pape François » et Moia, dans sa réponse, enfonce le clou et dit qu’ils sont coupables de « corriger le Pape ». Nous avons demandé au professeur Livio Melina, ancien doyen de l’Institut et ex-professeur titulaire de théologie morale fondamentale, ce qu’il en pense.

Selon Avvenire, vous et d’autres collègues licenciés de diverses manières aviez l’habitude de « corriger le Pape » sur l’exhortation apostolique Amoris Laetitia. Est-ce le cas ?

Ceux qui parlent de cette façon ne connaissent probablement pas la différence entre deux mots différents: « corriger » et « interpréter ». Tout texte doit être interprété, comme nous l’a enseigné en particulier la philosophie contemporaine. Mais l’interprétation qui se veut fidèle au texte n’est pas une correction. Une partie du travail théologique est précisément cette interprétation qui, dans le cas du Magistère, a comme clé une lecture en harmonie avec le reste des textes du Magistère. Amoris Laetitia, pourrait-on dire, n’est pas un livre en soi, mais un chapitre dans un livre plus grand contenant tous les textes du Magistère. Ceux qui pensent que l’interprétation d’un autre n’est pas vraie doivent présenter des arguments et ne pas les accuser de faire une « correction », parce que dans ce cas, ce que fait l’accusateur est d’absolutiser sa propre interprétation, comme si c’était la seule lecture évidente du texte.
De plus, dans le cas d’Amoris Laetitia, beaucoup de gens ont pris le chemin de l’interpréter comme si elle « dépassait » ou même « corrigeait » d’autres textes magistraux, tels que Familiaris Consortio, le Catéchisme de l’Église catholique ou Sacramentum Caritatis. Ils lisent le chapitre et oublient le livre où le chapitre est inséré. Parler de « rupture » et de « révolution » dans le Magistère n’est pas un langage catholique. En réalité, il y a une grande liberté dans l’interprétation des textes; la seule vraie norme est celle du respect de la « règle de la foi ». En d’autres termes, la chose essentielle demandée à l’interprète est qu’il lise le texte en continuité avec le reste du Magistère précédent.

Il y a ici la question du développement de la doctrine

Le cardinal Newman en était bien conscient (*) lorsqu’il a spécifiquement identifié, comme l’un des critères d’un véritable développement de la doctrine (par opposition à sa corruption), « l’action conservatrice sur son passé ». Moia pense que nous ‘forçons’ le texte d’Amoris Laetitia afin de l’adapter au reste du Magistère. Ce que Moia ne nous explique pas, c’est la manière dont il doit ‘forcer’ (ou corriger ?) le reste du Magistère papal pour l’adapter à sa lecture d’Amoris Laetitia.

A propos de contestations, on parle beaucoup de la liberté de la réflexion théologique (qui est largement pratiquée [lorsque c’est] en désaccord avec Humane vitae et Veritatis splendor), mais dans votre cas vous sentez-vous censuré ?

Ce qui a été fait à l’Institut avec divers professeurs, c’est une condamnation sans jugement, à partir des soupçons semés au fil des ans par des gens comme Moia. Il y a un paradoxe dans tout cela. Certains théologiens en dissidence par rapport à la théologie morale catholique, qui s’opposaient clairement au Magistère, ont été interdits d’enseignement, mais cela s’est produit après un procès régulier au cours duquel on leur a assigné un défenseur et où il leur était possible de répondre aux accusations. Et même ainsi, ils ont continué à accuser la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de comportements injustes et abusifs.
Dans le cas des professeurs de l’Institut Jean-Paul II, l’accusation n’est pas celle de nier la doctrine catholique, mais seulement de ne pas suivre une interprétation particulière du Magistère du Pape François. Mais, surtout, nous avons été privés de notre chaire sans aucune possibilité de nous défendre, sans même que nous ayons entendu de quoi on nous accuse vraiment. Le quotidien Avvenire a eu le mérite de mettre en lumière les raisons réelles de notre licenciement, qui ne nous avaient pas été communiquées, et a ainsi démasqué la manœuvre effectuée à l’Institut fondé par saint Jean-Paul II.

Il me semble comprendre que selon vous, cette « restructuration » cache un problème important.

En effet, nous pensons que la défense de l’Institut Jean-Paul II touche tout le monde, et que le destin de l’Institut est décisif pour l’Église. Si les décisions prises par Mgr Paglia ne sont pas révoquées, alors ce qu’elles disent est: « L’interprétation du magistère du Pape François en continuité avec le précédent Magistère est intolérable dans l’Église ». Et même, ceux qui font cette interprétation perdent le droit de se défendre dans un procès et sont simplement écartés selon une version spéciale de cette « culture du rejet » si souvent condamnée par le Pape François.

Moia écrit dans Avvenire que votre erreur en « corrigeant le Pape » serait de donner la priorité à la doctrine sur la pastorale,

Cette approche, qui sépare le Christ « Maître » du Christ « Pasteur », comme s’il y avait deux Jésus, est très courante aujourd’hui. Mais la miséricorde de Jésus et sa sollicitude pastorale passaient par sa doctrine. La relation doctrine-pastorale a été étudiée dans la tradition de l’Institut Jean-Paul II, à partir de la perspective de la relation entre vérité et amour. La vérité, contenue dans la doctrine, est la vérité d’un amour, et l’amour a besoin de vérité pour dépasserr la simple émotion et durer dans le temps, comme le Pape François nous l’a enseigné dans Lumen Fidei.

Il se répète avec insistance que l’ancien institut et la pastorale issue du Magistère de Jean-Paul II, étaient froids, et loin des blessures de l’homme. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

Toute la vision de saint Jean Paul II naît d’une extrême proximité avec la situation de l’homme. Et cela signifie certes la proximité des blessures de l’homme. Mais, par-dessus tout, cela signifie une proximité avec l’expérience la plus originelle de l’homme, qui n’est pas celle d’être blessé, mais d’être aimé par Dieu et rendu capable par lui d’une réponse aimante. La distinction n’est pas entre ceux qui voient des blessures et ceux qui ne voient que des doctrines froides. La distinction se situe plutôt entre ceux qui, d’une part, voient uniquement les blessures et, étant donné l’impuissance de l’homme à aller seul, tentent de les justifier; et ceux qui voient, avec et avant les blessures, le grand appel de Dieu à l’homme et la capacité de l’homme à être racheté par Dieu et à bâtir une grande et belle vie, celle que Dieu a toujours voulue pour lui.
Deux façons radicalement différentes de s’engager dans le travail pastoral découlent de ces visions. La première, voyant seulement des blessures insurmontables, tente de les tolérer: elle mesure l’homme en fonction de sa faiblesse et de sa chute. L’autre façon, en voyant le grand appel de Dieu, essaie d’aider l’homme à mûrir pour qu’il soit capable de répondre dans l’amour.

Selon ce qu’on définit comme le « nouveau paradigme » de la théologie morale présent dans Amoris Laetitia cela ouvre à ce qu’on appelle le « bien possible ». Pouvez-vous donner un exemple?

Je vais prendre l’exemple utilisé par le professeur Maurizio Chiodi il y a quelques jours, justement dans une interview de Luciano Moia. On y dit que la vie au sein d’un couple homosexuel pourrait être pour une personne, dans des circonstances déterminées, un « bien possible ». La doctrine de l’Église enseigne, au contraire, que c’est un mal, quelque chose qui nuit à celui qui le fait et le conduit de plus en plus vers le mal. Il ne s’agit pas d’une opposition entre deux visions, l’une pastorale et l’autre doctrinale. Ce sont plutôt deux diagnostics d’une situation, deux diagnostics qui s’ouvrent à des thérapies très différentes. Selon la première, on pourrait dire que cette personne, bien qu’elle accomplisse des actes homosexuels, vit selon la volonté de Dieu, qui ne nous demande pas plus que ce que nous pouvons faire. Les actes qu’elle accomplirait seraient humanisants, ils conduiraient même à l’Évangile; même si, à un moment donné, elle devra se rendre compte qu’ils ne sont pas parfaits et qu’il y a une meilleure voie.
La doctrine catholique, qui enseigne qu’il s’agit d’actes intrinsèquement mauvais, propose un diagnostic différent et donc une thérapie différente. Les actes homosexuels ne peuvent être ordonnés à Dieu et ne conduisent donc pas au bien de la personne. Jésus, le divin médecin, qui connaît le cœur de l’homme, dit: chaque fois que vous vous engagez dans cet acte, vous endommagez l’amour, votre humanité et l’humanité de l’autre. En même temps, il est dit: mais en toi résonne toujours l’appel à l’amour véritable, et tu peux suivre cet amour et je suis ici pour t’accompagner sur ce chemin de conversion, qui te demande de laisser le mal derrière toi et d’embrasser le bien ».


NDT

(*) Cf. ESSAI SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE CHRÉTIENNE – 1845

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