Des lecteurs m’ont signalé l’analyse très lucide en deux parties d’Edouard Husson, sur le site Atlantico. Dans la première, l’auteur dénonçait dans l’Instrumentum Laboris, « un texte qui n’a plus rien de chrétien ». La seconde partie développe un point déjà abordé dans ces pages, ce qu’il nomme ici (rien de moins qu’en référence à l’Italie fasciste!) « la marche sur Rome des théologiens de la libération« . Extrait.

La revanche des théologiens de la libération

(2ème partie, extrait)

Edouard Husson
Atlantico
6 octobre 2019

(La première partie est à lire ICI. Les soulignement sont de moi)

Il y a une trentaine d’années sévissait en Amérique latine un courant fortement inspiré par le marxisme appelé théologie de la libération. La confusion entre l’Evangile et la Révolution avait été l’objet d’une condamnation ferme de la part de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Apparemment, les théologiens et les membres du clergé concernés s’étaient soumis.

Le parcours du plus célèbre d’entre eux, Leonardo Boff, est cependant plus qu’instructif: obligé de subir un sevrage de marxisme, il se mit à l’écologisme. En 2013, quelques semaines après l’élection du Cardinal Bergoglio sur le trône de Saint Pierre, Leonardo Boff accorda un entretien au magazine allemand Der Spiegel dans lequel il racontait son intérêt pour l’écologie mais annonçait aussi que le pape allait « révolutionner » l’Eglise. Leonardo Boff est l’un des auteurs de l’Encyclique du pape François, consacrée à l’écologie et appelée Laudato Si.
Comme nous l’indiquions, c’est un autre théologien de la libération, le Père Paulo Suess, qui a coordonné la rédaction du Document de Travail. Il est soutenu par des cardinaux ou évêques latino-américains proches du pape: Claudio Hummes (cardinal archevêque émérite de Sao Paolo), Pedro Barreto (cardinal-archevêque de Huancayo), Oscar Rodriguez Maradiaga (cardinal-archevêque de Tegucigalpa), Carlos Aguiar Retes (archevêque de Mexico) ainsi que par des cardinaux, évêques et théologiens allemands.

Leonardo Boff avait été prudent après les condamnations romaines des années 1980. Paulo Suess n’a pas ces prudences: dans différents entretiens accordés depuis l’élection du pape François, il revendique ouvertement tous les points que nous avons évoqués jusqu’à maintenant: il n’est plus question, pour un catholique, explique-t-il, de baptiser un Indien d’Amazonie; le seul principe qui compte est celui de la vie des Amazoniens: c’est pourquoi il leur faut la terre et un renforcement de leur identité. Et l’Eglise doit dialoguer avec eux et, même, se mettre à leur école. Suess explique aussi que « l’on peut découvrir la Révélation de Dieu chez ces peuples indigènes », niant l’élection d’Israël. Mais peu lui importe, apparemment, puisque ceux qu’il appellent « les indigènes » sont désormais « les agents révolutionnaires de l’Amérique latine » qui vont permettre de construire une « nouvelle société », contre ce « système de mort» qu’est le capitalisme, identique comme chacun sait, sous toutes les latitudes.

Tout se passe comme si le vide laissé par la condamnation de la théologie de la libération avait été occupé par une pensée non moins sécularisée, loin de renoncer, d’ailleurs, à l’ancien marxisme. On retrouve dans le Document de Travail du synode toute une phraséologie empruntée à la théologie de la libération: les communautés de base, le cri de la terre et des pauvres etc…Au fond, loin de revenir au christianisme, comme les y invitaient les condamnations romaines des années 1980, les anciens théologiens de la libération semblent avoir épousé le mouvement de l’époque. L’écologisme, la phraséologie de la « maison commune » et de la « terre mère » est devenue le grand sujet. Et la grande différence avec ce qui se passa dans les années 1980, c’est que, cette fois, au Saint-Siège, on invite les tenants de la nouvelle théologie de la Terre-Mère à venir installer leur pensée non chrétienne au coeur même de l’Eglise catholique. Lorsque les prodromes de cette nouvelle théologie de la Terre-Mère étaient apparus lors de la conférence des évêques latino-américains d’Aparecida, en 2007, Benoît XVI, alors pape, avait bloqué ces formulations. A présent, l’ancien cardinal-archevêque de Buenos Aires devenu pape, qui avait joué un rôle essentiel durant la réunion, a levé les interdits qui pesaient sur elle. Un réseau a été créé, le Réseau Ecclésial Pan-Amazonien (REPAM), qui au coeur de la conférence épiscopale latino-américaine, réunit les neuf pays sur le territoire desquels se situe la forêt amazonienne. Ce réseau est particulièrement actif depuis sa création en 2014.

Il n’est plus possible de tourner autour de la question de l’engagement du pape François derrière le mouvement en cours: rédacteur en 2007 du texte d’Aparecida, le cardinal Bergoglio n’a cessé, depuis qu’il est pape, d’encourager le mouvement « amazonien » au sein de l’Eglise latino-américaine. En juillet 2013, lorsqu’il se rend au Brésil puis en janvier 2014 et en 2018, lors de voyages au Pérou, il a parlé du « visage amazonien » de l’Eglise. En décembre 2013, il a encouragé, dans un courrier, une réunion des « communautés ecclésiales de base », cellules militantes d’inspiration marxiste – et désormais converties à l’écologie – remontant à l’époque de la théologie de la libération. Entre 2014 et 2016, il a discrètement suivi les travaux du réseau REPAM. Convaincu par ses premiers résultats, le pape a convoqué en 2017, le synode pour l’Amazonie, deux ans à l’avance. C’est François qui a choisi lui-même les participants aux travaux préparatoires du synode puis au synode.

Engager l’Eglise catholique à partir d’un document non chrétien ?
Nous voilà donc devant une situation inédite du point de vue de l’Eglise catholique: le pape et un réseau régional d’évêques et de théologiens – aidés en partie par des évêques et théologiens allemands – proposent la discussion d’un texte qui n’est pas chrétien. Quelque chose de tel ne s’était jamais produit dans l’histoire de l’Eglise.

L’avantage de l’existence du Document de Travail du synode, c’est qu’il annonce clairement la couleur. Lorsqu’il s’agissait des discussions suivant le synode dédié à l’avenir de la famille, on restait dans le cadre de discussions, entre théologiens catholiques. L’encyclique Laudato Si, première contribution écologiste de François, préservait les apparences chrétiennes, malgré un pessimisme bien peu catholique pour qui lisait attentivement. Le Document de Travail du synode, c’est autre chose. Il ne s’agit pas d’abord de la n-ième discussion sur le mariage des prêtres ou sur l’ordination des femmes – même si l’on comprend bien que dans le contexte de la crise causée par les affaires de pédophilie, des évêques allemands et d’autres aimeraient faire passer ces points, fourrés au milieu d’un paquet tout vert. Il ne s’agit plus du tout de mettre en valeur, comme l’avait fait Benoît XVI, dans sa lettre encyclique de 2007 «Spe salvi», le respect profond de la Création qu’engendre un regard authentiquement chrétien. Il s’agit de tout autre chose: un corpus de pensée non-chrétien a soudain été introduit au coeur du monde catholique. C’est comme si un rideau s’était déchiré. Le débat ne porte plus sur des divergences entre catholiques ou, même, entre confessions chrétiennes. On a d’un côté un document de travail paganisant, qui nie l’élection d’Israël et qui est ouvertement post-marxiste; et de l’autre, l’Ecriture et la Tradition, deux mille ans de vie de l’Eglise enracinés dans l’histoire de la Révélation. Le choix à effectuer est parfaitement clair. Un catholique, un chrétien, ne doivent même pas discuter ce texte, qui n’a rien à voir avec leur foi. Ils doivent le refuser.

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