Quand j’entend le mot « relativisme », je pense immanquablement à l’inoubliable homélie prononcée par celui qui était encore pour quelques heures le cardinal Ratzinger, doyen du collège cardinalice, le 18 avril 2005 (cela paraît une autre ère!!) lors de la Messe Pro eligendo Romano Pontifice (*). Durant tout son pontificat, il n’a cessé de dénoncer et de lutter contre la « dictature du relativisme ». Et pas uniquement dans la sphère religieuse. Voici à ce sujet une réflexion roborative trouvée sur le site Campari & de Maistre


La « zone grise » du relativisme

Tommaso Lupica
Campari&deMaistre
5 novembre 2019
Ma traduction

Nous assistons aujourd’hui à une destruction progressive et agressive de ce qui, il n’y a pas si longtemps encore, était perçu comme une valeur ou une simple évidence, sinon une réalité naturelle. Beaucoup de questions sont remises en question, ou plutôt, toute question qui a même un vague parfum de « traditionnel », un terme utilisé (indûment) pour définir tout élément qui ne correspond pas à la nouvelle religion du politiquement correct.
Le traditionnel doit donc être démoli, effacé. Tout doit être réécrit, au nom d’un être humain désormais émancipé des dogmes et des superstitions de toute sorte. Il s’agit d’une destruction fondamentale pour l’imposition du nouveau modèle de société vraiment digne de l’homme, fondée sur une fausse valeur de liberté comprise comme pure et simple « absence de limites ou de barrières »; des désirs qui deviennent des droits. Ce qui est encore plus effrayant, c’est l’absence totale de valeurs alternatives qui remplaceraient ce que l’homme a toujours cru. Comme je l’ai dit plus haut, il n’y a plus de certitudes solides, mais une pure absence de limites.

Tout est licite, alors? Non. Pour l’instant. Le relativisme règne en maître, car ce qui n’est pas accepté aujourd’hui pourrait bien l’être à l’avenir. Autrefois, l’aberration de la théorie gender n’aurait jamais été imaginée, mais aujourd’hui c’est une idéologie qui est extrêmement difficile à extirper. Qui peut exclure que dans le futur l’attirance physique pour un nourrisson ne puisse être reconnue comme une orientation sexuelle commune ?

Ce qui est le plus dangereux dans cette tendance, c’est l’immense vide laissé par les valeurs précédentes, et cela restera ainsi parce qu’il n’y aura rien d’autre de prêt à les remplacer. La « liberté », ou plutôt l’anarchie, n’est pas une valeur, mais en est une conséquence. La liberté est l’état dans lequel cette valeur vous place, si vous êtes sain. Elle n’est pas une déesse, et elle ne s’auto-génère pas.

Il s’opère ainsi chez les personnes un élargissement massif de la zone grise, faite d’incertitudes et de confusion, d’absence de toute référence ou mesure.
La première victime de tout cela est l’individu. Son identité est littéralement balayée et remplacée par des slogans qui, en pratique, sont dénués de toute substance. Nous ne sommes plus des hommes ou des femmes, mais ce que nous voulons être, non plus des Italiens [ou des Français], mais des citoyens du monde, non plus des chrétiens, mais des laïcs et ouverts à toutes les religions. On voit clairement qu’à une identité précise (sociale, religieuse, sexuelle), on oppose une absence totale de limites qui, sous la promesse de libérer l’homme des chaînes d’une hypothétique oppression, annihile la personne en la jetant dans une incertitude visqueuse qui n’a rien de concret, au-delà des grands mots habituels. Les conséquences sont graves, mais elles seront néfastes pour les générations futures qui naîtront dans l’océan gris qui, de nos jours encore, se forme et se perfectionne.

Un premier effet évident est l’aliénation de la réalité proche et immédiate. Si toute chose est soigneusement observée sous l’optique relativiste, cela signifie qu’il n’y a rien de certain et qu’il n’y a aucun moyen ni raison de rendre cette chose telle. Par conséquent, la réalité perd toute valeur objective et les instruments tels que la logique et la conscience sont également réduits à de simples inclinations personnelles. Cela ne peut que conduire les gens à se détacher de la réalité elle-même, à chercher des moyens d’échapper à la confusion et (conséquence du chaos) au mal qui en naît. Tout engagement personnel dans la création de son propre système de valeurs s’effondre donc, car toutes sont relatives et interchangeables. Pourquoi s’inquiéter d’être un vrai homme ou une vraie femme, si on peut être une version médiocre des deux? Pourquoi se mettre en jeu dans un chemin de foi si l’on peut choisir les choses les plus captivantes et créer une croyance adaptée à ses besoins?

L’être humain aime se considérer comme adulte et mature, mais en réalité il est comme un enfant. Si on donne toujours ce qu’il veut à un enfant, il ne deviendra pas responsable, mais terriblement gâté. Par contre, une éducation faite de principes solides élève des hommes qui sont sûrs de ce en quoi ils croient. Aujourd’hui, cette éducation fait l’objet de toutes sortes d’oppositions et, malheureusement, elle est de moins en moins populaire, surtout parmi les jeunes générations. Plus que jamais, il est nécessaire de revenir à la famille comme première et plus importante éducatrice des enfants et véhicule de valeurs saines, alors qu’aujourd’hui c’est Internet qui a ce monopole.
En second lieu, l’émancipation d’une personne passe inévitablement par la connaissance critique, l’étude, la prudence et la considération attentive de ce que les sources modernes d’information proposent / imposent. Vous ne pouvez pas être spécialiste de tout, mais vous avez juste besoin de vous concentrer sur un thème ou un sujet, en vous forgeant une opinion sûre qui au moins, bien que limitée, existe. Mais surtout, la connaissance doit être le premier outil pour redécouvrir sa propre identité, pas pour la dénigrer. Comprendre d’abord ce que signifie être Italien, homme/femme et chrétien au lieu d’attaquer ce que l’on ne sait plus.
En substance, il est absolument nécessaire de retrouver sa (vraie) liberté, et la seule façon de le faire est de sortir de la zone grise; de se détacher de la vision relativiste mortelle qui, sous couvert d’une liberté illusoire, détruit ce qu’il y a de plus précieux: sa propre subjectivité et, pour celui qui regarde vers le ciel, son âme.


NDT

(*) Combien de vents de la doctrine avons-nous connus au cours des dernières décennies, combien de courants idéologiques, combien de modes de la pensée… La petite barque de la pensée de nombreux chrétiens a été souvent ballottée par ces vagues – jetée d’un extrême à l’autre: du marxisme au libéralisme, jusqu’au libertinisme; du collectivisme à l’individualisme radical; de l’athéïsme à un vague mysticisme religieux; de l’agnosticisme au syncrétisme et ainsi de suite. Chaque jour naissent de nouvelles sectes et se réalise ce que dit saint Paul à propos de l’imposture des hommes, de l’astuce qui tend à les induire en erreur. Posséder une foi claire, selon le Credo de l’Eglise, est souvent défini comme du fondamentalisme. Tandis que le relativisme, c’est-à-dire se laisser entraîner « à tout vent de la doctrine », apparaît comme l’unique attitude à la hauteur de l’époque actuelle. L’on est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs.

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http://www.vatican.va/gpII/documents/homily-pro-eligendo-pontifice_20050418_fr.html
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