Voici la suite de la réflexion que Marcello Veneziani avait commencée en août dernier sur la difficulté d’être de droite aujourd’hui, et que j’avais traduite ici (cf. La gauche, c’est bien, la droite, c’est mal | Benoit et Moi). Le pire ennemi de la gauche, en fait, c’est la réalité. Et elle s’étonne, après cela, d’échouer à convaincre les classes populaires (les vraies!! pas les « quartiers » novlanguesques). Même si l’auteur cite plusieurs figures, passées ou actuelles, de la vie politique italienne pas forcément connues au delà des frontières(*) les propos ont une portée géographiquement bien plus large.

(*) Il n’est pas nécessaire de les connaître pour apprécier l’article: remplacez Salvini par un membre de la famille Le Pen, Berlusconi par Sarlozy… et le reste à l’avenant, et vous avez un tableau de la situation en France


Le principal ennemi de la gauche

Marcello Veneziani
Panorama n. 49
Ma traduction

Mais qui est le principal ennemi de la gauche? Vous diriez Salvini ou le centaure Salvini-Meloni. Mais vous auriez tort. Et remontant dans le temps, vous auriez répondu Berlusconi, ou avant cela Craxi, Fanfani ou Almirante. Ou à l’époque de l’anticapitalisme, les « patrons ».

Mais même dans ces cas-là, vous auriez été approximatifs, ayant raison seulement sur le plan superficiel et contingent. Le véritable ennemi historique, ontologique, absolu de la gauche – tant dans la version communiste que dans celle radicale et progressiste – est la réalité. Et cela explique les appels infructueux lancés par ses dirigeants et ses clercs pour redécouvrir la relation avec le peuple, pour se reconstruire une âme, un peuple et une passion sociale ou vice versa, pour expliquer, sans jamais se l’expliquer comment il se fait que dans les quartiers prolétaires le consensus se transfère de la gauche aux souverainistes.

La gauche est contre la réalité. Elle refuse la réalité, la nature, l’expérience, le bon sens et le sentiment populaire. Il y a quelques jours à la télévision, Corrado Augias a dit quelque chose qui semble absurde. Il a dit qu’il est beaucoup plus facile d’être à droite que d’être à gauche. A première vue, vous sursautez: vous savez très bien, et je le sais très bien par expérience directe, combien il est difficile d’être de droite même quand la droite est majoritaire. Parce qu’il y a une désapprobation subtile, sinon une intimidation et une censure flagrantes envers ceux qui sont à droite; vous avez une vie difficile au travail, vous avez du mal à exprimer vos opinions, elles constituent même des crimes si vous dites ce que vous pensez et ils traduisent en phobie tout ce qui est amour pour la famille, le pays, la tradition, la civilisation, la religion. C’est loin d’être facile.

Mais Augias voulait peut-être dire autre chose. Être à gauche est plus difficile parce que cela va à l’encontre du cours naturel de la réalité.

Au début, il y eut le communisme et son essence maléfique fut l’abolition de la réalité : « Le communisme abolit le présent état de chose » proclament Marx et Engels. C’est le rêve d’un monde nouveau, d’une société parfaite, par opposition au monde réel et à la société imparfaite dans laquelle nous avons toujours vécu et que nous devrions sacrifier au nom de la meilleure société à venir. ’68’ fut la version actualisée de l’irréalisme le rejet de la réalité au nom de l’imagination, de la nature au nom du désir, de la tradition au nom de l’émancipation, de l’autorité au nom de la liberté absolue, des mérites au nom des droits.

Mais même aujourd’hui, la gauche la plus sophistiquée adopte une vision corrective de la réalité qui n’est pas appelée par hasard politiquement correcte, et qui s’oppose à la nature, à l’expérience, à l’histoire, à la tradition, au bon sens, au nom d’un moralisme idéologique et lexical qui produit, d’une part, l’hypocrisie et, d’autre part, l’intolérance. Hypocrisie parce qu’on ne peut pas appeler les choses par leur nom, on ne peut pas indiquer la réalité pour ce qu’elle est et comment on la connaît vraiment dans son expérience personnelle et transmise. Mais si vous persistez à le faire, si vous ne vous adaptez pas et ne vous corrigez pas, vous encourez les sanctions de l’intolérance.

La gauche n’accepte pas la nature, elle n’accepte pas les limites et les confins imposées par la vie ; elle rejette les structures consolidées dans le temps; elle méconnaît ou culpabilise les ressorts naturels de l’humanité, de l’économique à l’affectif; de l’aspiration légitime à la reconnaissance de ses propres mérites et capacités, à la motivation personnelle du profit et du progrès socio-économique; de la préférence en amour et solidarité envers les proches, amis, compatriotes à la protection de sa propre identité. Elle inverse la réalité, elle inverse l’ordre de la charité et de la vie, elle rompt le lien entre droits et devoirs, entre actions et responsabilités, entre liberté et limites.

Ici se manifeste la nature que Roger Scruton définit comme oikophobia, haine pour tout ce qui est local et préférence pour tout ce qui vient de l’extérieur, de l’étranger, de loin. On pourrait même pourrait dresser une liste des phobies rampantes ou ostentatoires qui sont aux antipodes de celles – comme la xénophobie, l’islamophobie, l’homophobie – qui sont sanctionnées par la condamnation et la réprobation: l’italophobie, c’est-à-dire le rejet du sentiment d’appartenance et de préférence nationale, la christophobie, c’est-à-dire la suppression des symboles de civilisation et de tradition religieuse, la familiophobie, c’est-à-dire le rejet de tout ce qui concerne la famille naturelle, la paternité et la maternité, les liens du sang, le foyer. Ce qui prévaut, c’est le racisme éthique, selon lequel tout ce qui vient de la réalité, de la nature, de la civilisation et de la tradition doit être condamné et renversé. Bien sûr, la nature laissée à elle-même n’est que basic instinct, la réalité à l’état spontané est gossièreté, égoïsme; l’identité n’est pas inertie, la tradition n’est pas répétition. Mais c’est une chose d’éduquer, de former selon le vieux précepte « Deviens ce qu tu es » ; c’en est une autre de se libérer, de se déconstruire, de devenir ce que vous n’êtes pas, mais ce que vous voulez qu’on soit. Une chose est le réalisme sélectif, une autre est l’utopie contre la réalité.

De ce choix culturel de base, sur le plan pratique et politique, il s’ensuit cette perpétuelle opposition contre le sentiment commun, le bon sens, les intérêts et les préoccupations de la population. Négligeant la demande de sécurité et d’identité, la peur de l’inconnu et des ténèbres, ou vice versa, le dépaysement, la perte des frontières, la pyramide inversée des relations de citoyenneté, la préférence pour tout ce qui vient de l’extérieur et de loin.

De temps en temps, en thérapie de groupe, ils se demandent: mais où nous sommes-nous trompés, pourquoi les gens sont-ils contre nous ? Parce qu’ils ont déclaré la guerre à la réalité. Pour l’amour du ciel, toujours au nom de la paix… Ils haïssent, mais pour le bien.


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