La mort ces jours-ci à Cambridge de Vladimir Bukovski, dissident russe qui consacra toute sa vie à se battre contre le communisme et à dénoncer ses crimes est l’occasion pour Antonio Socci de souligner avec lui les troublantes similitudes qui existent entre l’URSS d’alors et l’Union Européenne d’aujourd’hui. Sans tomber dans la caricature, bien sûr, mais avec lucidité. L’avertissement de ce grand résistant devrait nous aider à réfléchir…

Les énormes difficultés qu’éprouve aujourd’hui la Grande-Bretagne à sortir de l’Union européenne font que l’UE ressemble vraiment au Pacte de Varsovie.
Ce n’est plus une union libre d’États, mais quelque chose qui limite la liberté, parce que les endroits d’où il est difficile et presque téméraire de partir ne sont pas des maisons, mais des prisons.

Antonio Socci
Vladimir Bukovski

L’UE ressemble de plus en plus à l’URSS.

Le grand dissident russe Vladimir Bukovski a été le premier à le voir.

Antonio Socci
Libero
30 novembre 2019
Ma traduction

« C’est vraiment une énigme pour moi de comprendre pourquoi, après avoir enterré un monstre, l’Union soviétique, nous en construisons un autre qui est remarquablement similaire: l’Union européenne ».

Pour prononcer des mots aussi durs et clairs – à l’ère du conformisme européiste – il faut quelqu’un habitué à aller à contre-courant, quelqu’un qui connaît bien l’URSS et l’usage que les régimes font de la propagande, quelqu’un qui sait combien la liberté est fragile, quelqu’un qui a le plus grand courage pour combattre le totalitarisme soviétique: c’est la marque de Vladimir Bukovski.

HÉROÏQUE

En effet, les mots cités (ainsi que d’autres que nous verrons – très durs – contre l’Union européenne) sont de lui. Bukovski, mort il y a tout juste un mois à Cambridge, à l’âge de 76 ans, a été décrit par le New York Times comme « un héros de grandeur presque légendaire ».

Né à Moscou en 1942, il fut expulsé de l’école à 17 ans pour avoir fondé une revue interdite. Alors qu’il n’avait que dix-huit ans, en 1960, il organisa des lectures publiques (totalement interdites par le régime) de poètes sur la place devant le monument mythique à Majakovsky, à Moscou: de Pasternak à Osip Mandelstam.
Arrêté, il subit ses premières détentions et condamnations. Redevenu libre, il organisa des manifestations pour défendre d’autres dissidents persécutés par le régime (Alexandre Ginzburg et Youri Galanskov) et il est arrêté et à nouveau condamné.

En 1971, il réussit à faire parvenir à l’Ouest des preuves de l’existence d’hôpitaux psychiatriques pour dissidents en URSS. La découverte d’asiles utilisés pour faire plier les dissidents provoqua un énorme tumulte en Occident et conduisit à sa énième arrestation avec une peine de sept ans plus cinq ans d’exil.

Puis, toujours sous la pression internationale, il fut libéré et expulsé de l’URSS en 1976. Il s’installa en Angleterre, demeurant toujours l’indomptable combattant pour les droits de l’homme, la vérité et contre le communisme.

Ainsi, vivant en Europe, il s’est retrouvé à parler tout aussi clairement de ce qui s’est passé après l’effondrement du communisme.

Une fois de plus, Bukovski s’est avéré dérangeant et sa comparaison entre l’UE et l’URSS a heurté, à tel point qu’il n’a pas été écouté par les grands médias. Mais quelles étaient les raisons de sa prise de position? Bukovski a énuméré un certain nombre de similitudes.

LA NOMENKLATURA

Les voici : « L’Union soviétique était gouvernée par quinze personnes non élues qui s’attribuaient mutuellement les postes et qui n’étaient obligées de rendre de comptes à personne. L’Union européenne est gouvernée par deux douzaines de personnes non élues, qui s’attribuent mutuellement les postes (…) elles n’ont de comptes à rendre à personne et on ne peut les destituer. On pourrait dire que l’Union européenne a un parlement élu. Eh bien, l’Union soviétique avait aussi une sorte de parlement, le Soviet Suprême, qui ne faisait qu’estampiller les décisions du Politburo plus ou moins comme le fait aujourd’hui le Parlement de l’Union européenne.

Vous pensez peut-être que Bukovski exagère ici, mais si vous allez voir ce qui se passe, en ce moment, avec le MES (Mécanisme européen de stabilité, voir la crise italienne ici: Les Echos), vous pouvez voir que ses mots sont vraiment appropriés.

Ensuite – entre autres analogies – , il parlait des « eurobureaucrates aux salaires très élevés, avec leur staff, qui passent simplement d’un poste à un autre, quels que soient leurs résultats ou leurs échecs. N’est-ce pas exactement comme sous le régime soviétique? »

Ici, pourrait objecter que l’Union soviétique imposait sa volonté par la répression et, même aux membres du Pacte de Varsovie, par la force brute, alors que l’UE n’utilise pas la force militaire, mais il est difficile de donner tort à Bukovski quand il affirmait que toutefois, elle utilisait le « harcèlement économique ».

ANÉANTIR L’ÉTAT NATIONAL

Une autre analogie signalée par le dissident russe fait beaucoup réfléchir: « A nous, on a dit que le but de l’Union soviétique était de créer une nouvelle entité historique, le peuple soviétique, et que nous devions oublier nos nationalités, nos traditions ethniques et nos coutumes. La même chose semble se produire avec l’Union européenne, puisqu’ils ne veulent pas que vous soyez anglais ou français: ils veulent que vous soyez tous membres d’une nouvelle espèce historique, les Européens, pour supprimer tous vos sentiments nationaux et vivre comme communauté multinationale. Après 73 ans, ce système en Union soviétique a engendré plus de conflits ethniques que partout ailleurs dans le monde. En Union soviétique, l’un des grands objectifs était la destruction de l’État-nation, et c’est exactement ce que j’observe aujourd’hui en Europe. Bruxelles veut absorber les États-nations pour qu’ils cessent d’exister ».

En fait, il apparaît évident que l’Union européenne n’est plus – comme la première Communauté européenne – une libre union d’États coopérant sur certaines questions, mais sans abdiquer leur indépendance et leur identité.

Les énormes difficultés qu’éprouve aujourd’hui la Grande-Bretagne (même la Grande-Bretagne!) à sortir de l’Union européenne font que l’UE ressemble vraiment au Pacte de Varsovie.
Ce n’est plus une union libre d’États, mais quelque chose qui limite la liberté, parce que les endroits d’où il est difficile et presque téméraire de partir ne sont pas des maisons, mais des prisons.

LIBERTE

La dernière objection que l’on peut faire à la comparaison de Bukovski entre l’URSS et l’UE concerne les libertés fondamentales, car il est clair qu’en Union soviétique la liberté de pensée et d’expression était niée.

Mais cela, personne ne le sait mieux que Bukovski, lui qui l’avait vécu et l’avait payé dans sa propre chair. On ne peut donc pas faire comme si de rien n’était si un tel homme, avec une histoire comme la sienne, continue à nous mettre en garde, en soutenant qu’il existe dans l’Union européenne « un goulag intellectuel appelé politically correct« , au point que si quelqu’un s’exprime sur certaines choses « ou si ses opinions diffèrent de celles approuvées, il est mis à l’index. C’est le début du Goulag, le début de la perte de liberté.

ANALOGIES ET PROPHÉTIES

En URSS – explique Bukovski – « on nous a dit qu’il nous fallait un État fédéral pour éviter les guerres. Dans l’Union européenne, ils vous disent exactement la même chose. Bref, la même idéologie soutient les deux systèmes.

Selon Bukovski, l’Union européenne « s’effondrera » comme le communisme soviétique parce qu’elle est « incapable de se réformer », comme l’URSS, et quand cela arrivera, elle « laissera derrière elle une destruction massive et nous nous retrouverons avec d’énormes problèmes économiques et ethniques ».

Le grand dissident, dans son appel ignoré, exhortait les peuples d’Europe à retrouver leur indépendance:
« Vous n’avez pas à accepter ce qu’ils ont prévu pour vous. Après tout, personne ne vous a jamais demandé si vous vouliez en faire partie. J’ai vécu votre futur. Et ça n’a pas fonctionné ».

Il faut reconnaître que sur ce point aussi Bukovski a raison, parce que toutes les étapes fondamentales qui ont conduit à resserrer ce nœud autour du cou des peuples européens ont toujours été décidées de manière technocratique, masquant les décisions derrière des acronymes et des traités pour initiés et parfois sous le prétexte d’urgences qui imposent ces choix.

En fait, aujourd’hui, nous en sommes arrivés au point d' »excommunier » quiconque veut porter au grand jour certains choix, en l’accusant de populisme, de souverainisme, comme si c’était un dangereux démagogue qui risque de provoquer des turbulences sur les marchés.

En quoi consiste leur philosophie, on peut le comprendre à partir des paroles de Jean Monnet, le plus important représentant de la technocratie franco-allemande aujourd’hui dominante dans l’UE.

En 1952, il disait: « Les nations européennes devraient être guidées vers un super-État sans que leurs peuples ne s’en rendent compte. Cet objectif peut être atteint par étapes successives, chacune d’entre elles étant dissimulée sous une forme et dans un but purement économiques ».

Il semble qu’après avoir entendu ces mots, Charles de Gaulle ait observé que Monnet voulait créer des « monstruosités supranationales ». Puis De Gaulle est passé et le parti technocratique de Monnet a gagné. Et c’est le désastre d’aujourd’hui.

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