Le grand prédicateur catholique, responsable de milliers de conversions grâce à ses sermons à la radio et à la télévision n’était peut-être pas suffisamment progressiste pour mériter les honneurs des autels? Extraits d’un de ses plus célèbres sermons, le 26 janvier 1947, où il dresse une espèce de portrait-robot de l’Antéchrist. Un portrait très dérangeant pour certains, peut-être…

Tout était fait, tout était en place (même le miracle). Mais maintenant, « avec un profond regret », l’évêque de Peoria, aux Etats-Unis, Mgr Daniel Jenky, a annoncé que « le Saint-Siège l’a informé que la béatification de Fulton Sheen sera reportée » (la Congrégation pour les causes des saints est dirigée par le cardinal Angelo Becciu). Qui sait pourquoi… Peut-être est-il apparu pas très progressiste? Lisez donc ce que disait Fulton Sheen (j’ai rapporté des extraits de ce discours dans mon livre « The Market God, the Church and the Antichrist »).

Antonio Socci


Fulton Sheen et la tromperie du Grand Humanitaire

L’archevêque de Newport, prochainement béatifié, a contribué à la conversion de milliers de personnes avec ses sermons radio et télé. Voici l’un des plus célèbres sur les « Signes de notre temps ».

Tempi
14 juillet 2019
(article non signé)
Ma traduction

Le vendredi 5 juillet, le pape François a autorisé la Congrégation pour les causes des saints à promulguer le décret concernant la béatification de Mgr Fulton Sheen (1895-1979), archevêque titulaire de Newport au Pays de Galles. Une annonce qui passa presque inaperçue en Italie et que de nombreux catholiques du monde anglo-saxon attendaient depuis un certain temps.

La cause de béatification de Fulton Sheen a eu un chemin difficile, et il est impossible de ne pas soupçonner que cela est dû, au moins en partie, à sa figure encombrante. Par souci de simplification journalistique, mais peut-être aussi avec un peu de malice, on le désigne généralement comme le « pionnier des télé-prédicateurs ». Mais pour comprendre à quel point ce portrait peut être réducteur, il suffit de considérer que, selon les estimations, le prochain bienheureux avec ses « téléprédications », ses discours radiophoniques et ses dizaines de livres populaires (et très clairs dans le jugement sur les « signes des temps ») auraient influencé la conversion de quelque 50 000 personnes, dont de nombreux militants communistes. Une histoire qui est en quelque sorte très « américaine », qui ne mérite pas pour autant d’être lue avec arrogance.

Voici un bref profil de Fulton Sheen tiré de la chronique de Vatican News :

« Né à El Paso, Illinois, le 8 mai 1895, dans une famille irlandaise, Fulton Sheen découvvre jeune son appel au sacerdoce. A l’âge de 24 ans, il est ordonné prêtre et après avoir étudié pour son doctorat en théologie à Rome, il retourne aux Etats-Unis. Il commence sa mission comme vicaire dans une banlieue. Ses sermons sont très appréciés. De 1926 à 1950, il enseigne la philosophie à l’Université catholique de Washington. En 1930, invité par la radio américaine NBC, il participe tous les dimanches à une émission intitulée « L’heure catholique ». En 1950, son langage clair et compréhensible arrive également à la télévision. Sa mission de téléprédicateur commence avec l’émission « It’s worth living » de NBC. S’adressant aux téléspectateurs, plus de 30 millions chaque semaine, il rappelle que la seule solution à tous les problèmes est Jésus Christ. En 1950, il est nommé directeur national de la Société pour la propagation de la foi. Il commence une longue série de voyages en Asie, en Afrique et en Océanie. Le 11 juin 1951, il est ordonné évêque. En 1966, il est nommé évêque de Rochester. Le 20 septembre 1979, il célèbre la messe pour le 60e anniversaire se son sacerdoce et dans son homélie, il prononce ces mots : « Ce n’est pas que je n’aime pas la vie, mais maintenant je veux voir le Seigneur. J’ai passé de nombreuses heures devant lui dans le Saint Sacrement, je Lui ai parlé dans la prière et de Lui avec tous ceux qui voulaient m’écouter. Maintenant, je veux le voir face à face ». Il meurt à New York deux mois plus tard, le 9 décembre 1979.

L’un de ses sermons les plus célèbres a été prononcé à la radio le 26 janvier 1947, dans le cadre d’une émission intitulée « Light Your Lamps« . Le titre de l’épisode était « Signes de notre temps », et le discours de Mgr Sheen a ensuite été retravaillé, élargi et reproposé par lui dans le livre Communism and the Conscience of the West, publié l’année suivante (1948), et dans d’autres publications.


Extraits

(…) L’ère nouvelle dans laquelle nous entrons est ce que nous pourrions appeler la phase religieuse de l’histoire humaine. Ne vous méprenez pas ; « religieux » ne signifie pas que les hommes se tourneront vers Dieu, mais plutôt que l’indifférence à l’absolu qui a caractérisé la phase libérale de la civilisation sera suivie par une passion pour l’absolu. A partir d’aujourd’hui, ce ne sont plus les colonies et les droits des nations qui seront en conflit, mais l’âme des hommes. Les lignes de bataille sont clairement tracées et il n’y a plus de doute quant aux questions fondamentales. A partir d’aujourd’hui, les hommes seront divisés en deux religions conçues à nouveau comme un abandon à un absolu. Le conflit du futur est entre un absolu qui est le Dieu-Homme et un absolu qui est l’homme-dieu; entre le Dieu qui s’est fait homme et l’homme qui se fait dieu ; entre les frères dans le Christ et les compagnons dans l’Antéchrist.

L’Antéchrist, cependant, ne s’appellera pas ainsi, sinon il n’aurait pas de disciples. Il ne portera pas de collants rouges, ne vomira pas de soufre, ne tiendra pas une lance et ne secouera pas une queue avec la tête en forme de flèche comme le Méphistophélès dans Faust. Nulle part dans les Saintes Écritures nous ne trouvons la confirmation du mythe populaire qui imagine le diable comme un bouffon vêtu de rouge. Au contraire, il est décrit comme un ange déchu, comme « le Prince de ce monde » dont le travail est de nous dire qu’il n’y a pas d’autre monde. Sa logique est simple: s’il n’y a pas de paradis, il n’y a pas d’enfer; s’il n’y a pas d’enfer, il n’y a pas de péché; s’il n’y a pas de péché, il n’y a pas de jugement, et s’il n’y a pas de jugement, le mal est bien et le bien est mal. Mais au-delà de ces descriptions, Notre Seigneur nous dit qu’Il sera très semblable à Lui, qu’Il trompera même les élus – et certainement aucun diable de ceux que nous avons vus dans les livres illustrés ne serait capable de tromper les élus.

Comment entrera-t-il dans cette nouvelle ère pour nous convaincre de suivre son culte? Il se déguisera en Grand Humanitaire; il parlera de paix, de prospérité et d’abondance non pas comme un moyen pour nous conduire à Dieu, mais comme une fin en soi. Il écrira des livres sur une nouvelle idée de Dieu adaptée aux modes de vie des gens. Il répandra la foi en l’astrologie afin de blâmer non pas notre volonté mais les étoiles pour nos péchés; il expliquera psychologiquement la culpabilité en termes de sexe réprimé; il plongera les hommes dans la honte si les autres hommes leur disent qu’ils ne sont pas ouverts et libéraux; il identifiera la tolérance avec l’indifférence vers ce qui est bien et ce qui est mal; il encouragera les divorces avec la tromperie selon laquelle une nouvelle union est « vitale »; il augmentera l’amour pour l’amour et diminuera l’amour pour la personne; il invoquera la religion pour détruire la religion; il parlera même du Christ et dira qu’il était le plus grand homme qui eût jamais vécu; il dira que sa mission est de libérer les hommes de l’esclavage de superstition et du fascisme qu’il se gardera de jamais définir.

Mais au milieu de tout son amour apparent pour l’humanité et de son discours de liberté et d’égalité, il aura un grand secret qu’il ne révélera à personne: il ne croira pas en Dieu. Puisque sa religion sera la fraternité sans la la paternité de Dieu, il trompera même les élus. Il établira une contre-église qui singera l’Église parce que lui, le diable, singe Dieu. Elle sera le corps mystique de l’Antéchrist et, sur le plan extérieur, elle rappellera l’Église comme corps mystique du Christ. Dans un besoin désespéré de Dieu, il incitera l’homme moderne, dans sa solitude et sa frustration, à mourir du désir de faire partie de sa communauté, laquelle lui donnera un but plus grand sans avoir besoin de correction personnelle ou d’admettre sa propre culpabilité.

Ce sont des jours où le diable a reçu une corde particulièrement longue. Car nous ne devons jamais oublier que Notre Seigneur a dit à Judas et à sa bande: « Ton heure est venue ». C’est l’heure de Dieu, mais aussi l’heure du mal, l’heure où il le berger doit être frappé et les brebis dispersées. L’Église s’est-elle préparée à une nuit aussi sombre, avec le décret du Saint-Père établissant les conditions d’une élection papale en dehors de la ville de Rome ?

(…)
Puisque les signes de notre temps indiquent une bataille entre absolus, nous pouvons nous attendre à ce que le futur soit un temps d’épreuve, pour deux raisons.

Tout d’abord, pour que la désintégration s’arrête. S’il n’y avait pas de catastrophes, l’impiété gagnerait de plus en plus de terrain. Ce que la mort est pour l’homme individuel, la catastrophe l’est pour une mauvaise civilisation: l’interruption de la vie et, pour la civilisation, l’interruption de son impiété. Pourquoi Dieu mettrait-il un ange avec une épée flamboyante pour garder le jardin d’Éden après la chute, sinon pour empêcher nos premiers ancêtres d’y entrer à nouveau et de manger l’arbre de vie, ce qui rendrait leur culpabilité immortelle? Dieu ne permettra pas que l’injustice devienne éternelle. Il permet aux révoltes, à la désintégration et au chaos de se produire pour nous rappeler que nos pensées étaient fausses et que nos désirs étaient impies. La vérité morale est vengée par la ruine qui résulte de sa répudiation. Le chaos de notre temps est l’argument négatif le plus fort qui puisse être utilisé par le christianisme. La catastrophe révèle que le mal se vainc lui-même et que nous ne pouvons pas détourner le regard de Dieu, comme nous l’avons fait, sans nous faire du mal à nous-mêmes.

La deuxième raison pour laquelle une crise devra survenir, c’est pour prévenir une identification erronée entre l’Église et le monde. Notre Seigneur a compris que ceux qui sont ses disciples sont différents en esprit de ceux qui ne le sont pas. Mais cette ligne de démarcation a été brouillée. Au lieu du noir et blanc, il n’y a qu’une nuance. La médiocrité et le compromis caractérisent la vie de nombreux chrétiens. Ils lisent les mêmes romans que les païens modernes, éduquent leurs enfants de la même manière athée, écoutent les mêmes commentateurs qui n’ont d’autre critère que de juger le présent à partir du passé et l’avenir à partir du présent; ils permettent aux coutumes païennes comme le divorce et le second mariage de se glisser dans leurs familles; des dirigeants syndicaux soi-disant catholiques donnent des instructions de voter pour les communistes dans les congrès. Il n’y a plus le conflit et l’opposition qui doivent nous caractériser. Nous influençons le monde moins que le monde ne nous influence. Il n’y a plus de diversité.

Nous qui avons été envoyés pour fonder un hôpital avons été infectés par la maladie, et avons donc perdu le pouvoir de guérir. Et comme l’or est mélangé à un alliage, tout doit être jeté dans le four pour que les déchets soient brûlés. La valeur du test sera de nous distinguer. Une catastrophe doit venir nous rejeter, nous mépriser, nous haïr, nous persécuter, et alors, nous pourrons marquer notre loyauté, affirmer notre fidélité et déclarer de quel côté nous sommes. Nous diminuerons en nombre, mais nous augmenterons en qualité. Ce n’est pas pour l’Église que nous craignons, mais pour le monde. Nous tremblons non pas parce que Dieu pourrait être jeté du trône, mais parce que la barbarie pourrait régner.

(…)

Share This