En plus du rendez-vous hebdomadaire de son site en anglais « Monday Vatican » que mes lecteurs connaissent, et de ses activités de Vaticaniste (en général bien informé) pour l’agence catholique ACI, Andrea Gagliarducci a ouvert en septembre dernier un blog (en italien) intitulé « Vatican Reporting« , plus centré sur la com’. Le 17 décembre, jour où François célébrait son 83e anniversaire était pour lui l’occasion de faire un bilan non exempt de critiques de fond, soulignant le risque d’une focalisation excessive sur la personne du Pape (ce qui, on l’a vu le 31 décembre, peut comporter un effet boomerang dévastateur!!).

On peut regretter que le journaliste élude la question de fond, qui est le rapport viscéral que ce Pape entretient avec SON image; en ce sens, son staf communicatif ne fait que répondre à ses souhaits, et l’image d’humilité affichée et de proximité des gens que perçoit l’opinion DEPUIS LE PREMIER JOUR, c’est lui qui l’a construite avec ostentation: eux n’ont fait que fonction de caisse de résonance.

Un exemple-type de communication du Vatican!

Ad multos annos, Papa Francesco! (tra spin doctors e Vangelo)

Andrea Gagliarducci
17/12/2019
Ma traduction (mes commentaires entre [])

Un anniversaire est toujours un moment pour les bilans, et encore plus l’anniversaire d’un Pape. Sans parler d’un pape comme François, exposé médiatiquement comme jamais auparavant. Certainement pas par sa faute [??] ou à par son mérite, mais simplement parce les temps sont ainsi.

Quand le pape François a été élu, il y a presque sept ans, certains cardinaux firent savoir au Wall Street Journal qu’un « changement de narration » était nécessaire, et que donc le cardinal Bergoglio avait été choisi précisément pour effectuer ce changement de narration. on sortait de la grande saison du scandale des Vatileaks, commencé durant l’annus horribilis de 2010, quand l’Année sacerdotale fut constellée de dénonciations d’abus, réels ou présumés, et d’attaques sans précédent contre l’Église.

Il fallait, en somme, nettoyer l’image de l’Église. Et on y avait déjà pensé, quand la Secrétairerie d’État avait engagé un conseiller spécial pour la communication, en la personne de Greg Burke.

Le problème, cependant, n’est pas la façon dont l’Église communique. Une communication professionnelle ne suffit pas pour défendre l’Église contre les attaques. Il ne suffit pas non plus de nettoyer l’image de l’Église, en montrant même son plus beau visage, ou ce qui devrait la rendre plus sympathique au monde séculier. Parce que l’Église est constitutivement attaquée. Elle l’est par prophétie évangélique, elle l’est parce que c’est une réalité trop grande et trop complexe pour qu’elle soit vraiment comprise ou expliquée.

Dès le début du pontificat, on a construit autour du pape François, l’image d’une personne simple, pauvre pour les pauvres, en contraste avec le faste des temps passés. Un des premiers gestes à être souligné fut le passage du pape François à la résidence de Via della Scrofa, où il séjournait avant le Conclave, pour payer sa facture. Puis on a parlé de sa croix d’argent, en contraste avec la croix d’or. On a ensuite parlé de la décision de ne pas vivre dans le Palais Apostolique et de continuer à vivre dans la Domus Sanctae Marthae [toutes choses vraies, et toutes de son fait!!!].

Dans de nombreux cas, la narration a été au-delà de la réalité. C’est le pape François lui-même qui a dû parfois préciser les circonstances. Comme, par exemple, lorsqu’il est venu expliquer qu’il n’est pas vrai que le Palais Apostolique est luxueux, mais simplement qu’il ne pouvait pas y vivre.

La nouvelle narration a créé un pape extrêmement populaire, ce qui est aussi à mettre au crédit du pape François lui-même, qui a une empathie particulière avec le peuple [comme le 31 décembre?!!!]. En même temps, la nouvelle narration s’est nourrie de tous les stéréotypes anti-catholiques dont les médias ont toujours été remplis. C’est l’Eglise des scandales financiers, l’Eglise des pédophiles, l’Eglise qui ne sait pas être pauvre.

La polarisation médiatique, la nécessité de faire une audience qui inclut toujours la description d’un antagoniste quand on parle d’un protagoniste, jouent aussi beaucoup.

Mais il est certain que, dans cette dynamique, l’Église est perdante. La communication institutionnelle de l’Église ne peut pas être basée sur une image, car il s’agit de défendre une idée, une histoire, une institution vieille de 2000 ans et indépendante des hommes qui en font partie, et même des Papes.

Après presque sept ans de pontificat, on peut dire que le changement de narration a fonctionné surtout en ce qui concerne le Pape, certainement pas en ce qui concerne l’Église. Il y a eu un autre procès Vatileaks, au moins quatre livres sur des scandales financiers, et divers autres problèmes de nominations et de décisions gouvernementales. Tout cela est quelque chose de normal et d’extrêmement humain pour une institution, même si elle est divinement fondée. Pourtant, c’est un quelque chose qui a du poids.

Cela a du poids car ce sont surtout les hommes d’Eglise qui pensent qu’une nouvelle narration peut aider l’Eglise à sortir du bourbier.

Dans les années du pape François, on s’est concentrés sur une réforme des médias qui a déjà produit un comité, une commission et deux préfets du dicastère de la communication, ainsi que trois directeurs du Bureau de presse du Saint-Siège. Il y a eu un nouveau dicastère, un nouveau site web, une nouvelle organisation médiatique du Vatican.

Tout cela a pourtant donné plutôt l’idée d’une réorganisation, qui s’est nécessairement répercutée sur le contenu. Le plat principal reste toujours l’image du Pape, et donc cette image doit être défendue, ses décisions doivent être soutenues. La communication institutionnelle a toujours le risque de réduire l’institution à son chef. Mais c’est un problème que la communication du Saint-Siège ne peut pas courir le risque d’affronter.

Au début du pontificat, on était même informé que le pape avait déjeuné avec des sans-abri le jour de son anniversaire. Aujourd’hui, l’anniversaire du Pape a été l’occasion de présenter deux motu proprio sur la réponse aux abus, qui veulent montrer comment le Pape François est déterminé à éradiquer ce fléau.

Et pourtant, l’impression qui se dégage de la communication est qu’elle tourne toujours autour des problèmes, plutôt que de les aborder. Qu’on essaie de concéder quelque chose à la narration du monde pour continuer, au fond, à être l’Église de toujours.

C’est paradoxal, mais c’est l’exact opposé de la conversion du cœur dont parle toujours le pape François [mais n’est-ce pas une preuve de plus qu’il affectionne le double langage, dont il est coutumier].

Il faudrait, c’est vrai, une conversion du cœur de la communication du Vatican. Parce que la communication du Vatican doit avoir une solidité qui va au-delà des papes. Non pas qu’elle doive être en dehors du monde. Mais le dialogue se fait toujours à partir d’une identité forte, et de la mise en jeu de cette identité avec l’autre.

Ainsi, le meilleur souhait pour le Pape François, pour son anniversaire et pour les prochaines années de son pontificat, est de trouver un équilibre entre les spin doctors et l’annonce de l’Evangile, ce qui est, au fond, ce qui lui réussit le mieux [???]. Après tout, la grande histoire ne naît jamais d’un compromis ou d’une voie médiane. Elle naît d’une grande idée, souvent non immédiatement comprise, mais qui jette les bases d’un avenir meilleur.

Le souhait au Pape François n’est pas de vivre en reproduisant le passé, ou bien enraciné dans le présent, mais projeté dans l’avenir. Cela vaut pour le Pape François, cela vaut pour la communication du Vatican, cela vaut pour la réforme de la Curie et cela vaut pour tous les fidèles. Parce que l’Église, au fond, a besoin de professionnels. Mais elle a besoin de l’Évangile avant tout.

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