Un fait divers aussi graveleux que minable impliquant le candidat « marcheur » à la mairie de Paris vient aujourd’hui – hasard du calendrier -, confirmer le diagnostic implacable de Marcello Veneziani (dans La Verità du 11 février). Il a vu « Alice et le maire », sorti ces jours-ci en Italie (*): portrait – transnational – d’une classe dirigeante de nains, qui a remplacé la politique par la com’, les idées par des slogans, qui a perdu tout contact avec la réalité, et qu’il exhorte à la modestie.

(*) Un film que j’ai trouvé personnellement du niveau d’une série médiocre, exaspérant par l’entre-soi du microcosme qu’il décrit, et que je ne serais jamais allé voir sans la présence de Luchini au générique. Mais même lui y est inhabituellement horripilant, il fait le service minimum, se contentant de faire du Luchini.


Alice au pays des phénomènes

Marcello Veneziani
La Verità, 11 février 2020
Ma traduction

Allez voir un film français qui vient de sortir, Alice et le maire. Je vous le dis à vous, lecteurs, mais je le dis surtout à ceux qui font une carrière politique. Les maires, les gouvernants en particulier, devraient le voir, mais je désespère qu’ils aient la volonté, le temps et le tempérament pour le faire. Ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais c’est un véritable condensé de la misère politique.

Le film raconte l’histoire du maire d’une grande ville, qui est ici Lyon, mais ce pourrait être Milan ou une autre de nos villes. Un maire de gauche, bien sûr ; car les maires de droite ne sont même pas pris en considération, puisqu’aux yeux du cirque cinématographico-intellectuel, ce sont des brutes non civilisées. C’est un maire qui, dans la gestion quotidienne du pouvoir, a perdu le sens de la politique, la motivation idéale, le ressort social, la capacité de s’adresser au peuple. Pris dans la gestion, entouré par une cour, il a perdu, comme on dit, sa vision. Et il a recours à une fille, Alice, qui ne connaît rien à la politique, mais qui a étudié la philosophie. Il lui demande de lui donner des idées. Le maire semble revivre au contact de la fille, il reprend du vernis plus que du contenu; mais ensuite le mécanisme cynique et féroce l’avale, la politique est impitoyable. La roue du pouvoir tourne et expulse le maire, lui interdit le grand saut dans la politique nationale. Et il fait naufrage dans le vide, même si, en fin de compte, la perte de la politique lui permet de revoir le soleil et de lire les livres qu’il n’avait pas lus auparavant. Échec de la politique, avec la possibilité d’une demi rédemption individuelle.

Nous savons que le mal de la politique au pouvoir, et en particulier de la caste politique de gauche, est l’éloignement du peuple. Même si tous les politiciens se plaisent à utiliser le « jargon de l’authenticité », répètent constamment qu’ils se soucient du peuple et feignent de voir les choses avec leurs yeux. Mais ce n’est pas le seul problème de la politique.

La politique s’est éteinte depuis que les idées ne la nourrissent plus; et ses substituts sont les slogans, les discours préparés par le personnel et les agences de communication, après enquête sociale et saisie des questions sensibles du moment. Marketing politique. Mais la politique suit peu les conseils, aujourd’hui plus qu’hier elle ne lit pas, elle ne réfléchit pas, elle n’a pas de vision ni de stratégie; elle vit l’instant présent, elle veut intercepter les humeurs passagères, sa cible est toujours plus basse que celle sur laquelle s’appuient les conseillers. Et les protagonistes sont de plus en plus souvent des nains.

Certes, la politique décide de moins en moins, elle doit s’en tenir à des paramètres rigides, à des budgets contrôlés, à des directives européennes et transnationales strictes produites par des entités qui s’entrecroisent: organismes financiers, banques, technocrates. Ses marges d’action sont donc plus étroites. D’autre part, l’ère des idéologies est loin, même si l’on voit réapparaît une sorte de charabia post-idéologique sous forme de slogans et d’oppositions élémentaires. Mais il est insupportable de les voir en vidéo et dire tous la même chose: ceux qui sont au pouvoir sont toujours, par définition, attachés à leur fauteuil, dirigeants et opposants se font à tour de rôle des reproches, sans se rendre compte que la même chose sera dite d’eux le jour où ils arriveront au pouvoir. Et à leurs dires, ceux qui gouvernent améliorent notre vie, même si cela ne nous semble pas être le cas à nous, les citoyens.

Personne qui ait le courage de briser les schémas manichéens, de surprendre parfois en étant d’accord avec ceux de l’autre côté ou en dénonçant leurs limites.

Le premier conseil d’Alice au maire est la modestie; mais même cet appel est sournoisement traduit par les politiciens comme une ruse pour se fondre dans la population et regagner du crédit. Il manque à la politique le courage de dire la vérité, ou plus modestement la réalité des choses: ne vous attendez pas au paradis, cette chose je crois que je peux la faire bien, et cette autre je crois que je peux la faire mieux que ceux qui m’ont précédé ou qui se sont opposés à moi; mais ne me demandez pas cela, allez ailleurs, ce n’est pas ma tâche et mon programme et cette autre est impossible, les ressources manquent. L’homme politique doit apprendre à faire sa part, modestement, sans prétendre être le tout, le mieux absolu… Ne vous vendez pas comme au marché, n’imitez pas la publicité des produits.

Admettez donc que vous ne faites pas de la politique par esprit de service ou parce que vous êtes missionnaires; mais vous le faites par ambition personnelle, par soif de reconnaissance sinon de gloire, c’est compréhensible et même humain; et vous faites de la politique parce que vous ne savez pas vous en passer ou parce que vous ne savez rien faire d’autre; ne cherchez pas à ce que votre carrière politique se fasse au détriment des citoyens, mais efforcez-vous de faire coïncider votre ambition personnelle avec l’intérêt général. Parce que vous voulez être reconnu et non pas enrichi, que vous voulez laisser des traces et pas seulement tirer des bénéfices. Parce que vous croyez que la politique est un cursus honorum, ce n’est pas rafler le pouvoir.

Ce serait déjà un pas en avant si les hommes politiques se présentaient avec un profil plus modeste. A la politique, il peut manquer les idées, le sens des véritables intérêts populaires, mais surtout il manque la capacité de dire quelque chose de plausible. La lutte politique n’est pas entre le bien et le mal, entre les sauveurs et les destructeurs, ils vivent tous sous le même ciel et sont des enfants du même âge et du même climat, chacun joue son rôle sur le terrain. Je crois que c’est aujourd’hui l’honnêteté élémentaire qui fait le plus défaut à la politique. Bien sûr, l’électeur est souvent puéril, il veut des certitudes élémentaires, en noir et blanc. Mais une classe dirigeante doit être capable de dire comment vont les choses. Elle doit avoir le courage de sa propre imperfection, en déclarant ses limites.

La modestie, comme disait Alice…

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