Voici celle (plus autorisée que d’autres!) de don Nicola Bux, cité par Marco Tosatti. Loin de mettre un point final au débat, l’Exhortation, de l’aveu même de conseillers proches de François, a entr’ouvert une porte. Un document qui aurait dû réunir le peuple de Dieu (et qui finalement aurait rempli sa mission si personne n’en avait parlé, sauf les habituels « initiés », par obligation professionnelle), porte la division à son comble.

Cette cacophonie inédite dans la réception du document papal saute aux yeux de quiconque a eu l’occasion de lire un certain nombre de commentaires issus de différentes aires géographiques et idéologiques (sans qu’il y ait une unité au sein de chacune d’elles, c’est la nouveauté). Effet, sans doute de la personnalité clivante de François, et de ses antécédents connus (il est le Pape de « l’initiation de processus« ). Mais aussi ambiguïté voulue, qui fait que l’Eglise ressemble de plus en plus à la cour du roi Pétaud


Bux et Querida Amazonia.

Glissement vers le catho-panthéisme

L’exhortation apostolique Querida Amazonia fait encore discuter, pour ce qu’elle dit, et pour ce qu’elle ne dit pas, et les possibilités qui sont laissées ouvertes aux fameuses innovations, tant attendues par l’aile la plus « progressiste » de l’Église, en Amérique latine comme dans certaines régions d’Europe (voir l’Allemagne, mais pas seulement). C’est précisément de ce point de vue qu’il nous semble intéressant et opportun de présenter cette interventions de Mgr Nicola Bux, prêtre de l’archidiocèse de Bari, professeur à Jérusalem et à Rome, professeur de liturgie orientale et de théologie des sacrements à la Faculté de théologie des Pouilles, qui fut peritus au synode des évêques sur l’Eucharistie et consultant auprès des Congrégations pour la doctrine de la foi et pour les causes des saints; consultant auprès de la revue théologique internationale « Communio« . Il a été nommé par Benoît XVI comme consultant auprès de l’Office des Célébrations liturgiques du Souverain Pontife.
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Il est ici interrogé par Vito Palmiotti ( www.scuolaecclesiamater.org)

Vito Palmiotti: L’Exhortation apostolique post-synodale Querida Amazonia a provoqué des réactions inattendues selon les différentes manières de la lire et de la recevoir. Peut-être était-ce précisément l’objectif que son auteur entendait atteindre.

Nicholas Bux: En effet, d’un côté, elle a provoqué une grande déception, ainsi qu’un réel dégoût, dans les milieux amazoniens, qui attendaient – dans la continuité logique de tout le processus synodal et du document final – une ouverture claire et frontale sur les deux thèmes qui ont été le leit motiv depuis le début: l’attribution du sacrement de l’ordre aux viri probati (avec l’affaiblissement et l’anéantissement du célibat sacerdotal qui en découle) et le diaconat permanent des femmes, comme premier pas vers le sacerdoce féminin. La frustration causée dans ce domaine spécifiquement local s’est étendue à l’échelle internationale à tous les contextes progressistes, affectant de manière surprenante une bonne partie de l’Église, en particulier en Allemagne. Toutefois dans les mêmes cercles, il y a une autre réaction, plus conciliante et masquée en fausse sérénité face à l’évidente volte-face de dernier moment. Il s’agit d’une lecture de l’Exhortation Apostolique post-synodale selon un critère non spécifié de complémentarité et d’harmonie entre les deux Documents, le post-synodal et le dernier du Synode, qui doivent être lus ensemble, de manière synoptique, dirais-je. Dans la même ligne, on trouve ceux qui veulent tout lire comme un processus ouvert à de nouveaux développements.

Palmiotti: Du côté opposé, le Document Post-Synodal a suscité des réactions optimistes de la part des secteurs traditionalistes et conservateurs qui, sans avoir une vue d’ensemble, pensent avoir enfin gagné la bataille de l’orthodoxie. Ainsi, beaucoup pensent naïvement que le pape défendrait à nouveau la bonne doctrine en exerçant son rôle de confirmation de ses frères dans la foi.

Bux: En vérité, il semble qu’il ait voulu montrer qu’il n’est pas aussi peu hétérodoxe que les gens le pensent dans ces milieux. Si, après sept ans de pontificat, on ne l’a pas compris, cela signifie que sa vision sous-jacente de l’Église, principalement sociopolitique, n’a pas encore été saisie. Enfin, dans le cercle de ceux qui sont en ligne avec la bonne tradition et la doctrine ecclésiale, l’Exhortation Apostolique Post-Synodale n’est considérée de manière réaliste que comme texte magistériel qui reste silencieux sur les points les plus controversés, laissant dans le nuage imprécis de l’incertitude ce qui méritait une position claire.

Palmiotti: De cette façon, à première vue, tout semble en ordre, alors qu’en réalité, on sème la graine du chaos qui, tôt ou tard, produira ses fruits. Si la métaphore est valable, on pourrait dire que le feu de forêt amazonienne a été partiellement éteint, mais sous les cendres il reste encore quelques braises brûlantes.

Bux: Le « théologien » de François lui-même, Mgr Victor Manuel Fernandez, évêque de La Plata, avait vu juste en déclarant à Religión digital:

Toutefois, il ne faut pas dire non plus, comme l’ont dit certains médias, que François a fermé les portes ou a exclu la possibilité d’ordonner certains hommes mariés. En fait, dans l’introduction, François limite la portée de son propre document: « Je ne développerai pas ici toutes les questions abondamment exposées dans le document de conclusion ». Il se réfère au document avec lequel il a conclu le Synode des évêques qui s’est tenu à Rome. Il est clair que si le Pape ne développe pas un point, ce n’est pas parce qu’il est exclu, mais parce qu’il n’a pas voulu délibérément répéter le Synode.

Et il ajoute:

Pour la première fois, une exhortation apostolique n’est pas destinée à être une interprétation du document de conclusion d’un synode, ni une limitation de son contenu, ni un texte officiel qui s’écarte de ce que le synode a conclu. Il s’agit seulement d’un cadre complémentaire à ce document et il précise explicitement: « Je n’ai pas l’intention de le remplacer ou de le répéter’. C’est tellement clair qu’il ne veut pas le remplacer, qu’il ‘présente officiellement’ ce document et demande à tous les évêques et agents pastoraux de l’Amazonie ‘d’œuvrer pour sa réalisation ».

Donc, le « théologien » de François lui-même ne cache pas le fait qu’avec l’Exhortation, une sorte de religion catholico-amazonienne a été créée, une nouvelle religion, basée sur l’union presque syncrétique ou contiguë entre la foi catholique et les rites et superstitions des peuples amazoniens. Il déclare en effet:

En même temps, il fait preuve d’une énorme ouverture aux rites et expressions indigènes, exigeant qu’ils ne soient pas si vite accusés de paganisme ou d' »idolâtrie » (§79) et laisse la place à un éventuel « rite amazonien » (note 120). Lors du Synode, précisément dans les discussions qui ont abouti à un certain consensus, il a été dit que c’était le cadre approprié pour réfléchir à la possibilité des « viri probati« .

Comme pour dire: d’abord on change le contexte, en créant le bon terrain, et ensuite on pense aux « viri probati » et à toutes les autres innovations. Je rappelle aussi des mots prononcés lors de la présentation de l’Exhortation par le cardinal Michael Czerny, qui a déclaré que la question de l’ordination diaconale des femmes et du célibat ecclésiastique n’est pas résolue par l’exhortation. Et le cardinal Hummes, rapporteur général du Synode panamazonien s’est exprimé d’une manière pas très différente, rappelant qu’il y aurait un plan pour développer et compléter la question du célibat. Selon certains observateurs, l’Exhortation représenterait une sorte de « cheval de Troie » pour l’ordination des femmes et l’abolition du célibat sacerdotal. Laissons de côté les questions du rite amazonien et de l’acceptation des traditions idolâtres des peuples amazoniens (dans la présentation vidéo de l’Exhortation par Vatican News).

Palmiotti : Si l’on veut, ce que vous avez décrit est une sorte de troisième voie (comme il me semble que le biographe de François, Austen Ivereigh l’a admis il y a quelques jours dans un article sur The Tablet, à l’occasion de la publication de l’Exhortation) ou une porte semi-ouverte. Le pape Bergoglio n’a pas fermé la porte aux exigences des progressistes, mais en même temps il ne les a pas non plus ouvertes en grand. Il a laissé la porte ouverte juste assez pour que lui, ou son successeur, puisse la faire s’ouvrir complètement à l’avenir. Il s’agit donc peut-être d’une victoire à la Pyrrhus. Et probablement même pas une victoire. D’autre part, il faut préciser quelle valeur pourra assumer le document final des évêques du synode amazonien: sera-t-il la clé de l’interprétation de l’Exhortation?

Bux: Si, comme l’a affirmé le cardinal Baldisseri, ce document ne relevait pas du Magistère, mais avait une simple valeur morale, il resterait à comprendre s’il peut néanmoins assumer la valeur de clé d’interprétation de l’Exhortation, de sorte que cette dernière doive s’interpréter à la lumière de ce document, que François nous a invité à lire et à garder entièrement à l’esprit.

En conclusion, Querida Amazonia a soulevé un ensemble de sentiments contrastés dans lesquels s’entremêlent l’amertume de ceux qui ont été déçus, l’illusion de ceux qui espèrent une ouverture future, le regard naïf de ceux qui croient en un retour fictif à la vraie doctrine, mais le seul point ferme qui subsiste sont les ambiguïtés sur des questions qui demandent encore une réponse claire. Last but not the least, le langage peu clair, un « pastoralese /jargon pastoral) » pour ainsi dire, fait d’insinuations et non d’affirmations, comme l’a effectivement observé le professeur Stefano Fontana, qui ne précise pas à quoi les fidèles catholiques doivent donner leur assentiment.

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