Après la lettre-bombe du doyen du collège cardinalice, le Cardinal Re, à ses confrères cardinaux, Roberto Cascioli dénonce l’extrême gravité des propos, qui suggèrent un « changement historique (epocale) dans la conception de la doctrine, pouvant avoir des implications bien au-delà de la Chine (serait-ce le retour, masquées, des revendications de l’église allemande, auxquelles Querida Amazonia était censée avoir mis un terme?). Et revendique haut et fort la nécessité impérieuse de publier l’Accord.

On pourrait encore souligner la grave mystification qui consiste à attribuer à saint Jean-Paul II et à Benoît XVI la paternité morale (et dans le cas de Benoît XVI également la paternité concrète) de l’Accord Chine-Saint Siège signé le 22 septembre 2018.
Cela aussi est devenu une méthode de gouvernement: chaque fois que des décisions controversées et contestées sont prises dans ce pontificat, la ligne de défense est inexorablement la prétendue continuité avec ses prédécesseurs.

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Riccardo Cascioli

Et maintenant faites-nous lire l’accord Chine/Saint Siège

Riccardo Cascioli
La NBQ
1er mars 2020
Ma traduction

La lettre du Cardinal Re à ses confrères du Sacré Collège, visant à censurer le Cardinal Zen sur la question de l’Église en Chine, contient des déclarations explosives sur les changements doctrinaux qu’implique l’Accord entre le Saint-Siège et la Chine. Et pas seulement pour la Chine, mais pour toute l’Église. C’est pourquoi les cardinaux devraient avant tout exiger avec force la révélation du contenu de l’accord.

Il est pratiquement impossible de surestimer l’importance et la gravité de la lettre que le doyen du collège des cardinaux, Giovanni Battista Re, a envoyée à tous ses confrères cardinaux pour censurer le cardinal Zen. Nous avons déjà examiné hier les principaux passages de la lettre, visant à démontrer à quel point l’accord provisoire avec le gouvernement chinois sur la nomination des évêques est nécessaire et bon. Et nous avons également examiné en profondeur la référence alarmante à la possible légitimité des Églises indépendantes.

On pourrait continuer en soulignant que c’est la première fois que le sommet invite en substance tous les cardinaux à isoler un de leurs frères; dans la pratique, la « méthode chinoise » fait école aussi au Vatican: ceux qui ne se conforment pas à la ligne du Parti, ceux qui freinent la poussée vers un avenir radieux, sont soit des bourgeois corrompus, soit des contre-révolutionnaires. Le cardinal Zen retarde «le magnifiche sorti e progressive» du catholicisme chinois. Les définitions changent, mais le fond est là.

On pourrait encore souligner la grave mystification qui consiste à attribuer à saint Jean-Paul II et à Benoît XVI la paternité morale (et dans le cas de Benoît XVI également la paternité concrète) de l’Accord Chine-Saint Siège signé le 22 septembre 2018.
Cela aussi est devenu une méthode de gouvernement: chaque fois que des décisions controversées et contestées sont prises dans ce pontificat, la ligne de défense est inexorablement la prétendue continuité avec ses prédécesseurs. Même quand – voir l’Institut Jean-Paul II pour le mariage et la famille et l’Académie pontificale pour la vie – il est décidé de démanteler ce que Saint Jean-Paul II avait construit.

L’archevêque Carlo Maria Viganò, dans la lettre de solidarité au cardinal Zen diffusée hier, parle de « mensonge au Vatican (…) érigé en système ». Expression forte, mais attendez-vous dans les prochains jours à un savant article d’Andrea Tornielli, le grand chef de la communication au Vatican, qui expliquera comment et pourquoi le pape François en Chine ne fait rien d’autre qu’appliquer ce que ses prédécesseurs avaient déjà établi. Contre toute évidence, à tel point qu’à un certain moment, le cardinal Re lui-même ne peut s’empêcher de parler du « changement historique (d’époque) » en cours.

Toutefois, aujourd’hui, il devient urgent de se pencher sur une autre question: le contenu de l’accord entre la Chine et Saint-Siège. Le cardinal Re en parle comme si c’était quelque chose de connu et d’évident, mais ce n’est pas le cas. Le contenu est secret. Le seul détail révélé par le doyen du Sacré Collège est qu’il « prévoit l’intervention de l’autorité du Pape dans le processus de nomination des évêques en Chine ». L’affirmation est très ambiguë, dit de cette façon c’est le minimum syndical: il ne manquerait plus que le pape n’intervienne en rien dans la nomination des évêques.

Mais la question est: à quel point le pape intervient-il? Il y a une grande différence entre le cas d’une association patriotique (qui est responsable devant le parti communiste) qui choisit les évêques, et le pape agissant comme notaire ou tout au plus s’opposant aux nominations les plus indigestes; et le cas d’un pape qui nomme des évêques en essayant d’éviter les noms les plus indésirables à Pékin. Jusqu’à présent, nous n’avons vu que l’acceptation par le Vatican d’évêques illégitimes et très discutables et le renvoi d’évêques légitimes. Le cas de Hong Kong avec la prochaine nomination d’un évêque pro-Pékin, fait craindre le pire. C’est une question fondamentale pour les catholiques chinois, mais aussi pour toute l’Église universelle.

C’est un exemple, mais qui dit la nécesssité impérieuse de rendre public le contenu de l’accord. Il n’est pas tolérable qu’après un an et demi au cours duquel la pression du Parti sur les évêques a augmenté, où la persécution des catholiques s’est intensifiée, où le Saint-Siège a fermé un œil (voire les deux yeux) sur la violence du régime, le contenu de l’accord continue à être caché. D’autant plus que le cardinal Re a mis en cause Benoît XVI en lui attribuant la paternité de ce texte. Par ailleurs, comment peut-on se plaindre des « retards » de la Chine dans la transposition de l’accord si les catholiques chinois ne savent même pas ce qu’il prévoit? On leur demande l’obéissance à des règles qu’ils ne connaissent pas, c’est de la folie pure et simple. Les cardinaux qui ont reçu la lettre du cardinal Re auraient le devoir d’exiger la révélation du contenu de l’accord.

La préoccupation pour le sort des catholiques en Chine, et le respect de leur dignité, seraient déjà une raison plus que suffisante pour une demande explicite et résolue des cardinaux. Mais la lettre du cardinal Re introduit un autre point qui concerne toute l’Église, et pas seulement la Chine. Et les cardinaux au premier rang – et ensuite aussi tous les fidèles – ne peuvent pas faire comme si de rien n’était: Re dit – en se référant à la légitimité des « Églises indépendantes » – que nous sommes confrontés à un « changement historique » qui a des conséquences doctrinales et pratiques, et pas seulement pour la Chine. Bref, l’accord avec le gouvernement chinois implique des changements doctrinaux qui touchent l’ensemble de l’Église.

Et les cardinaux, ils devraient se taire? Et les évêques? Et tous les fidèles? Là, on annonce un changement même dans la conception de l’Eglise et l’on fait comme si de rien n’était? Il est évident que nous sommes bien au-delà d’une question personnelle contre le cardinal Zen: l’élimination du Zen de la scène est fonctionnelle aux bouleversements de toute l’Église. Il n’est pas possible de garder le silence: il est du devoir de chacun de demander haut et fort que le contenu de l’accord avec la Chine soit révélé.

D’ailleurs, quels seraient ces changements doctrinaux ? Le cardinal Re ne l’explique pas clairement, mais ils concernent certainement au moins les Églises nationales. Et ici, la différence radicale entre ce pontificat et celui de Benoît XVI apparaît encore plus clairement. On peut penser que la possible légitimation des « Eglises indépendantes » est une évolution des pouvoirs attribués aux Conférences épiscopales nationales, que le Pape François voudrait accroître. Il l’a dit explicitement dans Evangelii Gaudium (2013) lorsqu’il a souhaité « un statut des conférences épiscopales qui les conçoive comme des sujets aux attribution concrètes, incluant également une authentique autorité doctrinale » (n° 32).

C’est une conception opposée à celle de saint Jean Paul II et de Benoît XVI.

Le premier, dans le Motu Proprio « Apostolos Suos » de 1998 concernant précisément « la nature théologique et juridique des conférences épiscopales », veut éviter que les conférences épiscopales émettent des déclarations doctrinales en contraste entre elles et avec le magistère universel de l’Église; ou que se créent des séparations entre les Églises nationales et Rome.

Le second, alors qu’il était encore cardinal, a précisé dans le célèbre livre-interview de Vittorio Messori « Entretien sur la foi » (1985), que « nous ne devons pas oublier que les conférences épiscopales n’ont pas de fondement théologique, elles ne font pas partie de la structure inéliminable de l’Église telle qu’elle est voulue par le Christ ; elles n’ont qu’une fonction pratique et concrète ».

Quel que soit le sens de la légitimation des Églises indépendantes, nous sommes donc confrontés à des conceptions diamétralement opposées, qui nécessitent une clarification immédiate. En partant précisément de la révélation du contenu de l’accord.

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