On ne cesse de nous répéter qu’en termes de propagation de la maladie, la France suit l’Italie, avec quelques jours, ou quelques semaines de retard. Elle devrait mieux s’informer pour savoir CE QU’IL NE FAUT FAIRE À AUCUN PRIX, au vu des résultats. Mais il est peut-être déjà trop tard, car la manière, en grande partie idéologique, d’aborder le problème, des deux côtés des Alpes, est quasiment un copié-collé. Article du médecin et auteur Paolo Gulisano, déjà rencontré dans ces pages.


L’Italie un modèle: certes, à ne pas suivre

Paolo Gulisano
La NBQ
23 mars 2020
Ma traduction

On en est désormais à la militarisation du pays pour maintenir tout le monde à la maison, mais c’est le résultat d’une chaîne d’erreurs qui se produisent depuis le début de la propagation du virus. D’une part, nous faisons abstraction d’années de réductions insensées dans les soins de santé, mais à cela s’ajoutent les choix erronés et confus du gouvernement Conte, qui a encore aggravé les choses avec une stratégie de communication ratée. Et maintenant, pour éviter les critiques, il a l’intention de fermer la bouche même à l’Institut supérieur de la santé.

Dans les récits qui circulent dans les médias et les médias sociaux, la stratégie avec laquelle l’Italie fait face à l’épidémie de SRAS Covid-19 est la meilleure possible, un modèle évidemment envié et admiré comme tout le reste du Made in Italy. C’est l’une des formes du training autogène mises en œuvre dans le pays, des flash mob sur les balcons aux vidéos avec des chansons patriotiques qui inondent Whatsapp.

Un bain de réalisme sain vient en revanche d’un article paru hier dans le New York Times, de Jason Horowitz, spécialiste des affaires italiennes. L’analyse d’Horowitz est lucide et impitoyable. L’Italie a commis une série de terribles erreurs stratégiques dans la manière dont elle traite l’épidémie. L’Italie est le pays d’Europe où l’épidémie s’est de loin le plus répandue, et cela devrait nous faire réfléchir. Où le nombre de morts a même dépassé celui de la Chine, qui compte 25 fois plus d’habitants. Il est clair que quelque chose n’a pas fonctionné.

D’une certaine manière, on pourrait dire que l’Italie est en train de devenir un modèle pour les autres pays, mais comme un exemple de ce qu’il ne faut pas faire.

Tout d’abord, comme nous l’avons souligné il y a un mois, lorsque l’épidémie a éclaté, l’Italie est arrivée sans être préparée au conflit, comme cela s’est souvent produit dans son histoire [on pourrait dire la même chose de la France, ndt]. Beaucoup a été dit, mais il reste beaucoup à dire sur le manque de lits, notamment pour les soins intensifs, le petit nombre de personnel médical et infirmier, et même le manque de matériel de prévention. En bref, en temps de guerre, c’est comme si le gouvernement avait envoyé ses soldats et ses officiers au casse-pipe, comme quand, lors de la Première Guerre mondiale, les généraux envoyaient les troupes au massacre hors des tranchées.

On pourrait dire que cette inconséquence est l’héritage d’années de réductions insensées dans les soins de santé. Mais la situation s’est ensuite compliquée et s’est aggravée en raison des choix du gouvernement Conte. Horowitz pointe du doigt l’attentisme, les incertitudes de l’action, le manque de compréhension du phénomène, l’absence de contrôle sur les retours de Chine, motivés par l’intention de ne pas paraître raciste, de ne pas faire de cadeaux aux forces politiques de l’opposition.

Si l’expérience italienne a quelque chose à nous apprendre, souligne Horowitz, c’est que les mesures visant à isoler les zones touchées et à limiter les mouvements de la population doivent être adoptées immédiatement, mises en œuvre avec une clarté absolue et strictement appliquées. Ce n’est pas le cas en Italie. Oui, on a regardé le modèle draconien chinois, qui a fonctionné (s’il a fonctionné) parce qu’il a été appliqué par l’une des plus terribles dictatures de la planète, mais il a été appliqué de manière confuse et bricolée. Il a été appliqué au milieu des contradictions qui sont venus des dirigeants mêmes du principal parti gouvernemental, avec le désormais tristement célèbre aperivirus de Zingaretti [gouverneur du Latium] à Milan alors que les contagions de Covid avaient déjà atteint 400 cas et que les décès dépassaient la dizaine.

Parola d’ordine: normalità! Un aperitivo a Milano, ho raccolto l’appello lanciato dal sindaco Sala e dal Pd Milano….

Gepostet von Nicola Zingaretti am Donnerstag, 27. Februar 2020

C’était il y a un mois. il « faisait la fête ». Depuis, Zingaretti, secrétaire du PD, a été testé positif au coronavirus

Entre-temps, le virus se propageait silencieusement depuis un certain temps en raison de l’absence de contrôle des arrivées en provenance de Chine. Nous savons maintenant que, bien avant le célèbre cas de Codogno, le virus était déjà actif depuis des semaines en Italie, transmis par des personnes asymptomatiques et souvent pris pour une grippe saisonnière. Elle s’est étendue à la Lombardie, la région italienne ayant les relations commerciales les plus fortes avec la Chine.

Dans ses tentatives pour arrêter la contagion, adoptées une par une, en isolant d’abord les villes, puis les régions, puis en fermant le pays dans un bloc intentionnellement perméable, l’Italie s’est toujours trouvée avec un pas de retard par rapport à la trajectoire mortelle du virus. Nous nous retrouvons maintenant avec des mesures restrictives égales, voire supérieures à celles de la Chine, alors que la courbe de l’épidémie continue inexorablement à s’élever.

Une importante erreur de stratégie qui n’a pas été suffisamment mise en évidence jusqu’à présent est celle de la communication. Même après avoir décidé de recourir à un blocus général pour vaincre le virus, le gouvernement italien n’a pas réussi à communiquer efficacement la menace imminente, de manière à réussir à convaincre les Italiens de se conformer aux règles, formulées de manière à laisser une grande place aux malentendus. La communication a échoué, et aujourd’hui, on a recours à la militarisation du pays.

La tragédie que vit l’Italie est un avertissement pour les autres pays européens et pour les États-Unis, où le virus arrive avec la même rapidité.
De nombreux pays ont déjà mis en œuvre des campagnes d’information et de sensibilisation de la population, se sont procurés du matériel de protection, renforcent les hôpitaux et tentent de mettre en œuvre des mesures pour contenir la contagion sans recourir à des restrictions excessives de la liberté.

Y compris la liberté de penser et de raisonner : la dernière idée de Conte serait en fait de fermer la bouche à l’Istituto Superiore di Sanità, coupable aux yeux du Premier ministre d’avoir souligné qu’un pourcentage très important des victimes devrait être classé comme « mort avec Covid » et non « mort par Covid ». Une distinction importante sur le plan épidémiologique, car elle nous dit que pour beaucoup de ces personnes, l’infection virale a été une sorte de coup de grâce dans une situation clinique déjà compromise par d’autres pathologies.

Conte ne veut pas de ce type de communication, parce qu’aujourd’hui, que les gens aient la terreur de la maladie et ne sortent pas de chez eux – sa seule arme actuellement disponible pour la prévention de nouveaux cas – sert sa stratégie.

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