Ce qui se passe en Italie, où le désastre économique prévisible le dispute à la catastrophe sanitaire, est glaçant. Est-ce une préfiguration (si ce n’est déjà une image en temps réel) de ce qui nous attend en France? Antonio Socci, peut-être excessivement pessimiste, donne libre cours à sa colère contre l’incurie du gouvernement… Conte.

Love story

Journal d’un peuple reclus et réduit à la misère.

Notre tragédie n’est pas seulement l’épidémie, mais aussi un gouvernement ennemi de l’Italie et qui hait les Italiens

Antonio Socci
« Libero », 25 mars 2020
Ma traduction

Nous sommes abasourdis, anéantis. Nous avons du mal à réaliser ce à quoi nous en sommes réduits. Tout est arrivé si soudainement, si vite que nous n’avons même pas eu le temps de comprendre, comme si un camion nous avait percuté. Mais si on réfléchit un instant au cauchemar dans lequel nous sommes précipités, on reste incrédule.

Il y a deux mois, cela aurait semblé impossible. De plus, le gouvernement avait donné les informations les plus rassurantes en matière de santé: « La contagion n’est pas du tout facile ». Puis, pendant des semaines, ils nous ont mis en garde contre l’alarmisme de certains souverainistes, le terrorisme psychologique et le racisme à l’encontre des Chinois. C’est là qu’était le danger.

Il y a un mois à peine, tout était normal. Puis, soudain, la panique: tout a été barricadé, tout est interdit et maintenant chaque Italien se retrouve enfermé chez lui, assigné à résidence, pour un temps indéterminé. Même s’il vit dans les barres d’immeubles populaires, avec de jeunes enfants, dans quelques pièces aux fenêtres desquelles il ne voit que du ciment. Malheur s’il sort le nez de chez lui. Il risque d’être insulté comme ‘untore‘ [Untore était un terme utilisé aux XVIe et XVIIe siècles pour indiquer quelqu’un qui avait volontairement propagé la peste en répandant des onguents empoisonnés dans les lieux publics, ndt] par les gens (à l’instigation des médias et du gouvernement), ou arrêté par les carabiniers ou les soldats et se voir infliger une amende ou faire l’objet d’un rapport.

D’un coup, le pauvre Italien hébété s’est retrouvé dans le pays le plus infecté au monde par une épidémie qui provoque des centaines de décès chaque jour, qui a transformé nos hôpitaux en lazarets (une épidémie qui menace de le tuer en quelques jours), mais il ne comprend pas pourquoi c’est l’Italie – qui est si loin de la Chine – et non le Japon ou la Corée qui est réduite à cela. Et il ne comprend pas pourquoi il y a tant de morts ici. En fait, le chef du gouvernement, qui aime se pavaner en permanence à la télévision comme homme d’État, n’a jamais donné d’explications.

D’un coup, l’Italien moyen, l’Italien anonyme et oublié, est obligé de rester à distance physique même de sa famille à la maison et doit toujours porter un masque – indisponible depuis des semaines, tout comme le gel hydro-alcoolique et les gants, même dans les hôpitaux.

Si, à l’occasion de rares sorties de nécessité, vous vous rendez au supermarché sans masque, parce qu’ils sont introuvables, vous êtes considéré comme un danger public, et pas le gouvernement, qui avait le devoir (et aussi le temps) de les fournir comme cela s’est passé ailleurs.

L’Italien est amené à se sentir coupable alors que le gouvernement – qui a été incapable de faire face à ce cataclysme et de préparer le pays – fait son propre éloge et remercie la Chine (pour les aides qu’elle avait reçues de nous avant), accusant continuellement le citoyen, comme suspect irresponsable et indiscipliné.

C’est lui le coupable désigné comme possible untore sur les réseaux sociaux par les foules enragées. L’Italien. Pas le régime chinois qui, par sa stupidité négligente, a infecté le monde avec le virus, pas le gouvernement qui, pendant des jours, a minimisé et ne peut même pas fournir de masques, pas les politiciens qui, pendant une décennie, ont réduit les soins de santé et les lits et fermé des hôpitaux en hommage aux normes de Maastricht.

Vous êtes culpabilisés, vous, les Italiens, et surtout toi qui as payé toute ta vie pour financer le système de santé, tu pourrais te voir refuser une place en soins intensifs qui pourrait te sauver la vie parce qu’il n’y a plus de lits. Et même si tu étais admis en traitement, tu risques de mourir comme un chien, sans même la proximité des tiens ou les sacrements (et même sans enterrement: comme les chiens).

Cet Italien, reclus, culpabilisé et risquant sa vie, qui est même privé des sacrements parce que la hiérarchie ecclésiastique s’est enfuie, a ensuite – dans de très nombreux cas – un autre problème : il est pratiquement ruiné. Après 20 ans de croissance zéro, c’est le coup de grâce !

A l’improviste, son entreprise, commerciale ou entrepreneuriale, a été fermée et on ne sait pas si et quand elle rouvrira, surtout il n’est pas dit qu’elle survivra. S’il est employé, il a peut-être perdu son emploi ou risque de le perdre. Mais tous – employeurs et employés, producteurs de TVA et familles – ont été quasi-abandonnés par le gouvernement, qui refuse de s’engager réellement à assurer une couverture économique totale comme l’ont fait d’autres gouvernements (car cela reviendrait à démentir tous les bobards qui ont été propagés ces dernières années sur l’UE et l’économie).

En tout cas, même ceux qui ne perdront pas leur emploi se retrouveront ensuite avec un pays en morceaux, dans une dépression économique historique, dont il sera difficile et très douloureux de se relever. Cette année déjà, l’effondrement à pic du PIB et l’augmentation massive du chômage sont assurés. Les perspectives d’avenir de l’Italien reclus sont donc tragiques.

Comme si cela ne suffisait pas, ce pauvre Italien, si malmené, découvre lui aussi qu’il est désormais dans une démocrature, une démocratie qui prend de plus en plus l’apparence d’une dictature soft.

Il savait déjà qu’il vivait dans un pays dont les gouvernements avaient cédé une grande partie de notre souveraineté à des entités étrangères, il savait qu’il était contraint de subir des gouvernements qui le harcelaient sans pitié en rendant des services de plus en plus mauvais, des gouvernements pour lesquels il n’avait pas voté ou qui – comme le présent – est minoritaire dans le pays et a été rafistolé à coup de magouilles de palais.

Mais à présent, il se retrouve même à vivre dans un pays où – sous le prétexte de la guerre en cours (à l’épidémie) – toute critique est considérée comme déplorable (on vous traite de chacals, de vautours) et la plupart des médias proclament qu’il n’y a pas besoin de polémiques et sont alignés sur la propagande gouvernementale, agissant comme mégaphone du pouvoir plutôt que du peuple (soulever des doutes signifie être accusé de défaitisme ou de sabotage comme dans les régimes).

Le Premier ministre occupe en permanence la télévision pour faire des proclamations rhétoriques sans contradictions, des édits qui s’avèrent ensuite désastreux et confus, des décrets qui limitent les libertés constitutionnelles en contournant à la fois les Chambres et le Conseil des ministres, sans admettre les questions des journalistes et sans aller au Parlement pour donner les raisons de ses décrets et expliquer quelle stratégie il suit.

Avec ce gouvernement bon à rien, mais capable de tout, avec le Parlement désarmé, la restriction des libertés constitutionnelles par des moyens très contestables, l’armée dans les rues, les morts par centaines chaque jour (et le Quirinal [résidence du Président de la République] qui se tait), personne ne nous a vraiment expliqué ce qui se passe et pourquoi, et le gouvernement élude toutes les questions, tant de la presse que de l’opposition.

Nous vivons une saison en enfer et nous ne savons pas si et quand elle s’achèvera. Nous ne reviendrons probablement jamais à la vie d’avant. L’Italien moyen est pour le moment sous le choc.

Mais quand il commencera à réaliser ce qui s’est passé dans ce « printemps maudit », quand on commencera à voir les ruines, à compter les morts, les milliers d’activités économiques fermées, les millions de chômeurs, l’effondrement du PIB, que se passera-t-il ?

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