La magistrale analyse de Roberto Mattei: « Le cygne noir » est le titre d’un livre écrit en 2007 par un ex-trader (qui ne voit donc dans les événements que des causes humaines et horizontales); lui se place au contraire dans une perspective chrétienne, donc verticale, et n’hésite pas à parler de châtiment.


Le « cygne noir » de 2020?

Roberto de Mattei
Corrispondenza Romana
25 mars 2020
Ma traduction

Le cygne noir (Cygnus atratus) est un oiseau rare, originaire d’Australie, qui doit son nom à la couleur de son plumage. Nassim Nicholas Taleb, analyste financier, ancien trader à Wall Street, dans son livre The Black Swan : The Impact of the Highly Improbable (Random House, New York 2007), a choisi cette métaphore pour expliquer l’existence d’événements inattendus et catastrophiques qui peuvent perturber la vie de la communauté.

Le coronavirus a été « le cygne noir » de 2020, écrit Marta Dassù, de l’Apsen Institute, expliquant que l’épidémie met en crise l’activité économique des nations occidentales et « démontre la fragilité des chaînes de production mondiales ; lorsqu’un choc frappe l’un des maillons, l’impact devient systémique » (Aspenia, 88 (2020), p. 9).
« La deuxième pandémie arrive », écrit Federico Rampini dans La Repubblica du 22 mars, « nous devons également faire face à cette pandémie et la soigner. Elle s’appelle la Grande Dépression et aura un bilan de victimes parallèle à celui du virus. En Amérique, plus personne n’utilise le terme de récession parce qu’il est trop fade ».

L’économie interconnectée du monde se révèle être un système précaire, mais l’impact du coronavirus n’est pas seulement économique et sanitaire, il est aussi religieux et idéologique. L’utopie de la mondialisation, qui jusqu’en septembre 2019 semblait triompher, subit une débâcle irrémédiable. Le 12 septembre, le pape François avait invité les dirigeants des principales religions et les représentants internationaux du monde économique, politique et culturel à participer à un événement solennel qui devait se dérouler au Vatican le 14 mai 2020 : le Pacte mondial pour l’éducation. A la même époque, la « prophétesse » de l’écologie profonde, Greta Thunberg, arrivait à New York pour le sommet de l’ONU sur le changement climatique de 2019 et le pape François, à la veille du synode sur l’Amazonie, envoyait un message vidéo pour montrer sa pleine concordance avec les objectifs mondialistes. Le 21 janvier 2020, le pape a adressé un message à Klaus Schwab, président exécutif du Forum économique mondial (WEF) de Davos, soulignant l’importance d’une « écologie intégrale » qui tienne compte de « la complexité et de l’interconnexion de notre maison commune ».

Mais un mystérieux virus commençait déjà à porter un coup fatal au « village global ».

Quelques mois plus tard, nous sommes confrontés à une situation absolument sans précédent.

Greta est oubliée, le Synode sur l’Amazonie a échoué, les dirigeants politiques mondiaux révèlent leur incapacité à faire face à l’urgence, le Pacte mondial a sauté, la place Saint-Pierre, le centre spirituel du monde, est vide. Les autorités ecclésiastiques se conforment – et parfois les anticipent -, aux décrets restrictifs des autorités civiles interdisant les messes et les cérémonies religieuses quelles qu’elles soient. L’événement le plus symbolique et le plus paradoxal est peut-être la fermeture du Sanctuaire de Lourdes, lieu par excellence de la guérison physique et spirituelle, qui barricade ses portes, de peur que quelqu’un ne tombe malade en allant prier Dieu pour sa santé. Tout cela n’est-il qu’une manœuvre? Sommes-nous face à un pouvoir totalitaire qui restreint les libertés des citoyens et persécute les chrétiens ?

C’est étrange, cependant, une persécution dans laquelle, contrairement à toutes les grandes persécutions de l’histoire, semble absente toute forme de résistance héroïque jusqu’au martyre des persécutés. En réalité, il ne faut pas parler de persécution anti-chrétienne, mais d’ « auto-persécution » de la part des hommes d’Eglise qui, en fermant des églises et en suspendant des messes, semblent porter jusqu’à des dernières extrémités la cohérence d’un processus d’auto-démolition entamé dans les années 1960 avec le Concile Vatican II. Et malheureusement, sauf exceptions individuelles, même le clergé traditionaliste, qui s’enferme chez lui, semble être victime de cette auto-démolition.

Il est touchant de voir l’élan de générosité avec lequel 8 000 médecins en Italie ont répondu à l’appel du gouvernement qui réclamait 300 volontaires dans les hôpitaux de Lombardie. Comme il aurait été édifiant que le président de la Conférence épiscopale lance un appel aux prêtres pour qu’ils ne laissent jamais les fidèles manquer les sacrements dans les églises, les maisons, les hôpitaux! Beaucoup invitent à prier, mais qui rappelle la possibilité de se trouver au début d’un grand châtiment? Et pourtant, c’est la prédiction de Fatima, dont le centième anniversaire a été rappelé par beaucoup en 2017. Le 25 mars, le cardinal António Augusto dos Santos Marto, évêque de Leiria-Fátima, a renouvelé la cérémonie de consécration au Cœur Immaculé de Marie pour toute la péninsule ibérique. C’est certainement un acte méritoire, mais la Vierge a demandé quelque chose de plus: la consécration spécifique de la Russie, faite par le Pape, en union avec tous les évêques du monde. C’est l’acte, jamais fait auparavant, que tout le monde attend avant qu’il ne soit trop tard.

À Fatima, la Vierge a annoncé que si le monde ne se convertit pas, plusieurs nations seront anéanties. Quelles seront ces nations ? Et quelle sera la voie de l’annihilation ? Ce qui est certain, c’est que la principale punition n’est pas la destruction des corps, mais l’obscurcissement des âmes. Dans les Saintes Écritures, nous lisons que « chacun sera puni des choses par lesquelles il pèche » (Sagesse 11:16). La même pensée païenne, par la bouche de Sénèque, nous rappelle que « la punition du crime réside dans le crime lui-même » (De la Fortune, partie II, ch. 3).

Le châtiment commence lorsque l’idée d’un Dieu juste et gratifiant est perdue, pour s’appuyer sur la fausse image d’un Dieu qui, comme l’a dit le pape François, « ne permet pas les tragédies pour punir la culpabilité » (Angelus, 28 février 2026). « Combien de fois pensons-nous que Dieu est bon si nous sommes bons et qu’il nous punit si nous sommes mauvais. Ce n’est pas le cas », a répété François lors de la messe de Noël le 25 décembre dernier. Pourtant, même le « bon Pape », Jean XXIII, a rappelé que « l’homme, qui sème la faute, récolte la punition. Le châtiment de Dieu est Sa réponse aux péchés des hommes » ; c’est pourquoi « Il (Jésus) vous dit de fuir le péché, la cause principale des grands châtiments » (Radiomessage du 28 décembre 1958).

Supprimer l’idée de punition ne signifie pas l’éviter. La punition est la conséquence du péché, et seules la contrition et la pénitence pour ses péchés peuvent éviter la punition que ces péchés entraînent inévitablement, pour avoir violé l’ordre de l’univers. Lorsque les péchés sont collectifs, la punition est collective. Comment s’étonner de la mort qui s’abat sur un peuple, quand les gouvernements sont entachés de lois meurtrières comme l’avortement, et que pendant l’épidémie le massacre continue à avoir une voie préférentielle, comme en Grande-Bretagne, où le gouvernement a même autorisé l’avortement « à domicile » pour ne pas arrêter le carnage pendant le coronavirus ! Et quand, à la place des corps, ce sont les âmes qui sont touchées, comment s’étonner que la perte de la foi soit la punition des responsables? Refuser de voir la main de Dieu derrière les grandes catastrophes de l’histoire est un symptôme de ce manque de foi.

Le châtiment collectif arrive soudainement, comme un « cygne noir » qui apparaît à l’improviste sur les eaux. Cette vision nous déconcerte, et nous ne pouvons pas expliquer d’où elle vient ni ce qu’elle annonce. L’homme est incapable de prévoir les « cygnes noirs » qui, du jour au lendemain, bouleversent sa vie. Mais ces événements ne sont pas le fruit du hasard, comme le pense Monsieur Taleb et tous ceux qui analysent les événements dans une perspective humaine et séculariste, oubliant que le hasard n’existe pas et que les manœuvres de l’homme sont toujours soumises à la volonté de Dieu. Tout dépend de Dieu et Dieu va jusqu’au bout quand il commence son œuvre. « Il est le seul dont personne ne peut détourner les intentions, et quoi que sa volonté ait décidé, cela arrivera » (Job 23:13).

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