Il s’est entretenu longuement, pour la télévision australienne, avec Andrew Bolt, le journaliste qui a été le premier à dénoncer les nombreuses irrégularités ayant émaillé son calvaire judiciaire. Il est resté le « fonceur » qu’annonce son physique de rugbyman, et il ne se dérobe à aucune question, notamment sur la « guerre culturelle » en cours contre les catholiques, ses convictions franches de « conservatisme social », le lien entre son incarcération et les réformes financières entamées par lui et même ses relations avec François. En attendant, la persécution contre lui continue, il y a même des menaces de mort…


Pell, la persécution pourrait ne pas être finie

Nico Spuntoni
15 avril 2020
La NBQ
Ma traduction

Interviewé par Sky, Pell a dit qu’il se sentait victime d’une « guerre culturelle » contre le christianisme. En ce qui concerne son rôle passé au Vatican, le cardinal valide les rumeurs selon lesquelles ce qui lui est arrivé pourrait être lié à ses réformes financières. En Australie, pendant ce temps, des menaces de mort ont été proférées à son encontre. Et le Herald Sun écrit de nouvelles accusations: la persécution continue-t-elle?

Il y avait une grande attente pour la première apparition télévisée de George Pell après sa libération de prison. Et le cardinal, qui en raison de son peu de tendance à la diplomatie avait été rebaptisé « ranger » pendant sa période romaine, n’a pas déçu les attentes. Il s’est entretenu pendant près d’une heure avec Andrew Bolt, chef des journalistes « innocentiste »s qui, dès l’introduction, a voulu réaffirmer qu’il n’avait jamais été l’ami de son interlocuteur, mais qu’il avait agi dans l’intérêt de la vérité et de la justice. L’interview a été enregistrée au séminaire du Bon Pasteur à Sydney, la résidence actuelle du cardinal.

Pell, vêtu en clergyman, a répondu avec franchise aux questions par lesquelles le journaliste de Sky News a voulu retracer toutes les étapes du chemin de croix judiciaire qui vient de s’achever. L’ancien archevêque de Sydney a avoué à Bolt que le « moment le plus bas » de son expérience a été le rejet de son appel par la Cour d’appel de Victoria, une nouvelle qu’il avait reçue avec incrédulité. Une réaction différente de celle qui a suivi sa condamnation en première instance (qualifiée de « mystère ») face à laquelle il a affirmé avoir dû « se contrôler » pour le « coup dur ». La colère est un sentiment qui n’a pas été étranger au cardinal en ces années d’épreuve judiciaire: en effet, il a avoué qu’il était très en colère contre la façon dont le procureur Mark Gibson avait traité deux témoins, au point qu’il a dû se forcer à garder le silence pour ne pas répondre de façon impitoyable au procureur.

Sans en vouloir à son accusateur, sur lequel il s’est demandé « s’il n’a pas été utilisé », le cardinal a émis quelques perplexités sur la tendance dominante du système judiciaire australien : « Les victimes devraient être acceptées comme crédibles, mais ce qui doit être établi, c’est qu’elles sont des victimes » car rejeter la faute « sur la seule accusation est un signe d’incivilité. Ces choses doivent être vérifiées avec respect ». Sur le scandale pédophile dans l’Eglise, le préfet émérite du Secrétariat à l’économie a exprimé sa sympathie pour les victimes des abus et a déclaré qu’il ressentait de la honte pour le comportement des prêtres violeurs, mais qu’il voulait aussi revendiquer son travail d’archevêque de Melbourne pour éradiquer ce fléau « quand ce n’était pas facile, ni à la mode ».

Sollicité par Bolt, le cardinal s’est plaint du parti-pris démontré par ABC dans la couverture médiatique de son affaire. « Je crois en la liberté d’expression et je reconnais le droit de ceux qui pensent différemment de moi d’exprimer leurs opinions, mais si une chaîne nationale, partiellement financée par les impôts des catholiques, présente un seul point de vue, c’est une trahison de l’intérêt national« .

Pour définir ce qui est arrivé à l’ancien archevêque de Sydney, Bolt a parlé expressément de « persécution ». Une persécution dans laquelle, selon Pell lui-même, sa foi et son orientation culturelle auraient joué un rôle: « Beaucoup de gens n’aiment pas mes opinions parce que je suis un conservateur social« , a-t-il dit au journaliste. Le cardinal s’est senti victime d’une « guerre culturelle ». « Certes », a déclaré Pell, en réponse à une question de son interlocuteur, « beaucoup de gens n’aiment pas les chrétiens qui enseignent ce que dit le christianisme, en particulier sur la vie, la famille et d’autres questions analogues« .

Selon l’ancien trésorier du Vatican, « il y a une tentative systématique d’éliminer les racines juridiques judéo-chrétiennes, avec les exemples de mariage, vie, genre et sexe qui leur sont opposés; malheureusement, il y a peu de discussions rationnelles et un rôle excessif de l’homme ». Ceux qui s’opposent à ce projet deviennent victimes « d’abus et d’intimidation » et cela « n’est pas bon pour la démocratie », a dit Pell.

Inévitable, le chapitre sur le Vatican, dont le cardinal est parti en 2017 – malgré le fait qu’il pouvait utiliser son passeport diplomatique – pour se défendre contre les accusations portées contre lui dans son pays. Un adieu qui a laissé à mi-chemin les réformes économiques entamées à l’époque où il était préfet du Secrétariat économique, aujourd’hui dirigé par le jésuite Guerrero Alves. En réponse à une question précise de Bolt, Pell a fait une confession-choc : « La plupart des hauts fonctionnaires de Rome en faveur de la réforme » croient selon lui qu’il y a un lien entre ce qui lui est arrivé et le projet de réforme financière, bien qu’il n’y ait pas de preuve pour confirmer ce soupçon.

Pell n’a pas hésité à répondre à une autre question embarrassante, lorsque Bolt lui a demandé s’il se sentait abandonné par un pape dont « il n’est pas proche » : le cardinal a admis qu’il s’est senti « absolument » soutenu par Bergoglio. Parlant de la relation avec le Souverain Pontife argentin, le cardinal n’a pas démenti son interlocuteur, confirmant que ses « opinions théologiques ne sont pas exactement en accord avec celles de François ». Mais Pell a également rappelé comment Bergoglio, bien que conscient de cela, avait voulu qu’il soit au C9 pour l’aider dans le programme de réforme de la Curie : « Je pense qu’il apprécie mon honnêteté et peut-être le fait que je lui dise ces choses que les autres n’ont pas le courage de lui dire, et je pense qu’il me respecte pour cela ».

Pressé par Bolt, l’ancien trésorier a confirmé qu’il y a des gens corrompus au Vatican mais il a également précisé que François et le secrétaire d’Etat Pietro Parolin n’appartiennent pas à cette catégorie. L’Église, cependant, n’a pas contribué à ses frais juridiques, a révélé le cardinal, racontant en revanche l’aide financière et morale reçue par des centaines de fidèles dans le monde, convaincus de son innocence. « Je ne me suis jamais senti abandonné, j’ai reçu quelque chose comme 4 000 lettres et je regrette profondément que ma famille et mes amis les plus proches aient dû affronter tout cela. Mais j’ai eu un immense soutien ».

Un soutien qui n’a pas manqué, même de la part des prisonniers, au point que trois d’entre eux se sont réjouis de la nouvelle de l’annulation de la sentence par la Haute Cour. Pell a raconté un épisode amusant sur ses codétenus: un jour, il a entendu plusieurs d’entre eux se disputer sur sa culpabilité ou non ; à un moment donné, un des participants à la conversation a dit en plaisantant qu’il était de son côté parce que deux anciens premiers ministres soutenaient sa cause. Son expérience en prison l’a rendu particulièrement sensible au sujet du mal et il s’est dit prêt à examiner le cas d’un de ses voisins en prison, qui a été accusé de meurtre et qui, selon lui, ne serait pas un meurtrier.

Sollicité par Bolt, l’un des principaux accusateurs des modalités de l’enquête du commissaire en chef Graham Ashton, Pell a simplement déclaré qu’il avait fait l’objet d’un traitement « certainement extraordinaire » de la part de la police de Victoria et a déclaré qu’il n’était « pas surpris » que de nouvelles accusations puissent être portées contre lui.

Hier encore, en effet, juste avant que l’interview ne soit diffusée sur Sky News, les chaînes de télévision australiennes avaient diffusé des images de l’arrivée de la police près du Séminaire qui l’héberge actuellement. La nouvelle s’est rapidement répandue que la présence des militaires était liée à l’ouverture d’une nouvelle enquête contre le cardinal pour les nouvelles accusations d’un autre plaignant. Une circonstance toutefois démentie ultérieurement par une déclaration officielle de la police de Nouvelle-Galles du Sud: les hommes en uniforme, selon la note, étaient entrés au séminaire pour discuter de mesures de sécurité.

Pour ce qu’en sait la NBQ, la police est arrivée au bâtiment de Homebush suite à un appel du directeur, inquiète de la prolifération des menaces de mort contre le cardinal. La situation n’est pas des plus rassurantes pour Pell: c’est le Herald Sun, le même journal qui a donné les premières nouvelles de l’enquête précédente, qui a écrit qu’il y aurait de nouvelles accusations contre lui pour des événements présumés qui ont eu lieu dans les années 70 et que la police de Victoria continue d’enquêter.

Dans l’interview d’hier, Pell a confié à Bolt qu’il aimerait retourner à Rome une fois l’urgence du Coronavirus passée pour récupérer ses affaires, mais que son avenir devrait être à Sydney. Au vu de l’odyssée judiciaire qu’il a subie et des circonstances qui l’ont favorisée, du climat de haine et des menaces de mort qui règnent ces jours-ci, il convient de se demander si l’Australie est toujours un endroit sûr pour le cardinal Pell.

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