Comme il en a l’habitude (*), en partie par opportunisme (pour calmer les fidèles indignés par les mesures drastiques du Gouvernement Conte), il a envoyé ses hommes (ici, la CEI) en première ligne pour s’y opposer, avant de leur infliger, via une homéliette à Sainte Marthe, une claque retentissante, apportant de fait son appui au même gouvernement Conte.

(*) Nous en avons parlé hier: L’Eglise après le coronavirus.
Voir sur Zenit les propos tenus par le Pape lors de la messe à Sainte Marthe d’hier.
Mgr Vigano a accordé ce matin une interview à Marco Tosatti. Il répond à ce propos à une question de l’intervieweur:

Dans tout cela, la position du pape François semble contradictoire : d’abord, il a ordonné au cardinal-vicaire de fermer les églises de Rome avant que Conte ne publie le décret ; ensuite, il l’a mis dans l’embarras, le désavouant publiquement et les faisant rouvrir. Il a encouragé la diffusion de messes en streaming et a ensuite parlé de gnose, encourageant la CEI à prendre position contre le gouvernement ; mais pas plus tard qu’hier, il a recommandé aux fidèles l’obéissance aux dispositions des décrets.

*

Bergoglio est coutumier de ces changements soudains. Comme chacun s’en souvient, avant que le scandale n’éclate au sein de l’Ordre de Malte concernant la distribution de préservatifs dans ses hôpitaux, François avait écrit une lettre au Patron, le cardinal Burke, dans laquelle il lui donnait des instructions très claires sur son devoir de veiller sur l’Ordre afin que la morale catholique soit scrupuleusement respectée. Mais lorsque la nouvelle est devenue publique, il n’a pas hésité à désavouer Son Éminence, en mettant l’Ordre sous contrôle d’une commission, en exigeant la démission du Grand Maître et en réintégrant le Conseiller qui avait été expulsé précisément parce qu’il était responsable de cette déplorable violation des mœurs.

Dans le cas que vous avez mentionné, le cardinal-vicaire a tenté de défendre la justesse se sa décision, expliquant que l’ordre de fermer les églises lui avait été donné par Sa Sainteté. Dans le cas le plus récent de la CEI, le communiqué publié dimanche soir avait clairement l’approbation du président [de la CEI] le cardinal Bassetti, qui à son tour a dû consulter François. On est déconcerté par le fait qu’en quelques heures, la chaire de Sainte-Marthe ait désavoué la CEI et invité les fidèles et les prêtres à obéir aux dispositions du gouvernement, ce qui est non seulement indu, mais aussi une violation de la conscience, nuisible à la santé des âmes.

*

Quand le pape joue au démolisseur (**)

(**) Picconatore: marteau piqueur. Au sens figuré, le mot désigne une « personnalité politique qui attaque les institutions et les systèmes (ou même les personnes investies de postes importants) de manière très dure, dans le but précis d’obtenir des modifications radicales et concrètes de ce qui existe » (dictionnaire italien en ligne de La Repubblica].

Riccardo Cascioli
La NBQ
29 avril 2020
Ma traduction

Quelle que soit l’intention du pape hier matin, il ne fait aucun doute que ses paroles à la messe de 7 heures à Sainte Marthe ont eu pour effet, en un seul coup, d’offrir une bouée de sauvetage au président du Conseil Giuseppe Conte, qui était sur le grill depuis dimanche soir; de faire dérailler la Conférence épiscopale italienne (CEI), contrainte de subir une deuxième gifle, douloureuse, en l’espace de trois jours; de repousser la reprise de la messe avec le peuple.

Mais procédons dans l’ordre: après sa déconcertante conférence de presse de dimanche soir, un océan de critiques s’est abattu sur Conte, mais ce qui a fait le plus de bruit, c’est surtout la note hâtive de la CEI qui, avec un langage inhabituellement fort, a déclaré qu’elle n’acceptait pas la prolongation de l’interdiction de la messe avec le peuple. La dureté de la réaction a fait converger sur le thème des messes tous ceux qui, pour une raison ou une autre, étaient mécontents de l’action de Conte, et a réveillé de nombreux évêques de leur torpeur.


Lundi, il y a donc eu un véritable tir de barrage contre le Président du Conseil: des hommes politiques de la majorité et de l’opposition tous sur le char de la CEI; les régions de Lombardie et du Frioul-Vénétie Julienne [dirigées par la Ligue] se sont mises en mouvement pour trouver un moyen de garantir les messes au moins dans ces régions; et diverses conférences épiscopales sont allées sur le terrain aux côtés de la présidence de la CEI pour faire pression sur le président du Conseil qui, jamais auparavant comme lundi soir, n’est apparu faible et seul.

Puis, mardi matin, cette demi-sentence du Pape sur la nécessité de « prudence » et d' »obéissance » aux dispositions des autorités pour empêcher le retour de l’épidémie, a semé la confusion et la perplexité parmi les troupes désormais sur le point de dévorer le président du Conseil. Et maintenant, Conte, ayant reçu le soutien du pape, reprend son souffle et il traite avec l’Eglise à partir d’une position très différente.

Eh oui, l’Église. Les fidèles regardent avec stupeur ce qui se passe. Mais comment, se demande-t-on, la CEI aurait agi et réagi sans le consentement du pape? Très difficile, à tel point que – pour autant que nous sachions – la Secrétairerie d’État s’apprêtait également à réaffirmer certains principes établis par le Concordat et magnifiquement violés par le gouvernement Conte. Aujourd’hui, tout est bloqué.


Alors, que s’est-il passé ? C’est difficile à dire, on peut seulement constater que ce n’est certainement pas la première fois que le Pape envoie ses collaborateurs en avant et les laisse seuls le moment venu. Le dernier cas est celui des églises fermées à Rome puis rouvertes – avec le système habituel de la messe de sept heures à Sainte Marthe – après qu’il ait poussé le cardinal-vicaire de Rome et la CEI à prendre la responsabilité de la fermeture. Et dans ce cas également, vous vous souviendrez que c’est précisément une autre homélie à Sainte Marthe qui a fait pression pour dépasser la phase des messes en streaming (« Ce n’est pas l’Église », a-t-il dit).

Il est un fait qu’après la gifle reçue par Conte dimanche soir, la CEI en a pris une autre hier du Pape. Et cette fois, pas de réaction de colère, mais tête baissée pour essayer de recoller les morceaux. Les négociations avec le gouvernement, une voie que la CEI avait de toute façon déjà empruntée, se poursuivent mais avec beaucoup de « prudence » et d' »obéissance ».

Ainsi, même pour le retour des messes avec le peuple, tout saute. Hier matin, plusieurs journaux ont donné pour certain qu’après le soulèvement général, Conte veillerait à accorder des messes à partir du 10 mai, comme prévu en pratique le dimanche. Mais après l’intervention du Pape, tout semble être revenu en haute mer. Peut-être qu’on lâchera un peu de lest en accordant des messes en plein air (et s’il pleut ?) à partir du 11 mai, mais pour les messes à l’église, une décision semble maintenant être prise, ce ne sera pas avant le 18 mai et peut-être même plus tard.

Dans son ensemble, l’histoire met en évidence toutes les limites d’une approche essentiellement politique du problème des messes. La CEI s’est présentée face au gouvernement – et continue à le faire – pour arracher des concessions, comme s’il s’agissait d’un syndicat de prêtres, et non pour affirmer sa liberté et sa mission. De même, le service du bien commun est réduit aux œuvres de charité en faveur des pauvres, alors que c’est précisément la messe qui apporte la première contribution au bien commun.

La position des évêques, incapables de donner les raisons du sens de la présence de l’Église, est une position d’extrême faiblesse. Agir ainsi mène facilement au cléricalisme, avec le jugement qui change selon l’humeur du chef. Le dimanche, ils jettent feu et flamme pour défendre certaines valeurs, le mardi, ils deviennent soudainement « prudents » et obéissants ». En d’autres termes, c’est une hiérarchie dont le jugement et la présence dépendent de calculs politiques (au sens large) et des opportunités du moment, et non de l’affirmation de la Vérité à laquelle même le Pape doit se soumettre.

Dans cette affaire, le véritable thème est la liberté de l’Église, qui est une garantie de liberté pour tous et qui, en tant que telle, ne peut être considérée comme une monnaie d’échange. Si la liberté de l’Église par rapport à l’État (d’ailleurs garantie par le Concordat) n’est pas clairement affirmée, les négociations avec le gouvernement deviennent une tentative d’obtenir des espaces de privilège, qui deviendront inexorablement de plus en plus étroits.

Une dernière question: en ce qui nous concerne, nous ne pouvons pas nous habituer à une conduite de l’Église, à un magistère, qui dépendent de phrases lancées lors d’une conférence de presse ou d’une homélie à Sainte Marthe. Si le pape a quelque chose à dire, une intervention à faire, il a tous les outils pour le faire de manière claire, en commençant par un entretien direct avec les personnes concernées. Les phrases ainsi jetées, de manière vague et générique, qui, compte tenu du contexte, reviennent à choisir clairement son camp mais se prêtent aussi à des interprétations différentes, ne sont pas dignes d’un Pape. Le peuple a besoin de mots clairs, surtout de mots qui indiquent la voie du salut et non de mots visant à résoudre des problèmes politiques, fussent-ils ecclésiaux.

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