C’est au tour d’Antonio Socci de commenter les propos de Benoît XVI sur l’Antéchrist, dans la biographie signée P. Seewald sortie ces jours-ci en Allemagne. Il les lit, comme c’est prévisible de sa part, à la lumière de ses interrogations (qui resteront sans doute définitivement sans réponse) sur la renonciation.


Benoît XVI reprend la parole

Il met en garde contre « la dictature mondiale d’idéologies apparemment humanistes ».

Et il explique enfin une de ses phrases énigmatiques sur la peur et indique ce que la « force de l’antéchrist » peut vaincre.

Antonio Socci
Libero, 4 mai 2020
Ma traduction

Comme les prophètes bibliques et les grands papes de l’histoire, Benoît XVI est aussi détesté par les pouvoirs mondains qu’il est aimé par le simple peuple catholique. Et chaque fois que, de son ermitage, il fait résonner la vérité, il éclaire la sombre situation de l’humanité et de l’Église aujourd’hui. Il fait l’objet d’attaques furieuses – commencées spécialement avec son élection – qui vont jusqu’à la déformation de ses paroles et le lynchage moral.

En ces heures, en effet, l’anticipation de la biographie de Ratzinger, écrite par Peter Seewald, qui sort en Allemagne sous le titre « Benedict XVI : Ein Leben » (Benoît XVI : une vie), un livre qui paraîtra en italien à l’automne, a déchaîné la polémique.

Dans le livre, le pape émérite répond à quelques questions et explique, par exemple, cette phrase dramatique et énigmatique prononcée dans l’homélie du début de son pontificat : « Priez pour moi, afin que je ne fuie pas par peur devant les loups ».

C’est une phrase qui a pris un poids énorme depuis le 11 février 2013, lorsque Benoît XVI a annoncé son pas en arrière. À quoi faisait-il allusion avec ces mots? Est-ce là qu’il faut chercher la raison de sa « renonciation » ? A-t-il été contraint de se retirer (ce qui invaliderait la renonciation elle-même)?

Le Pape, en réponse, nous invite donc à réfléchir sur « ce qui peut inspirer de la peur à un pape ». Beaucoup – surtout après son pas en arrière – ont pensé à la malheureuse affaire Vatileaks, « mais la vraie menace pour l’Eglise et donc pour le ministère pétrinien » explique le Pape

« ne réside pas dans ces choses, mais dans la dictature mondiale d’idéologies apparemment humanistes, dont ceux qui les contredisent restent exclus du consensus social de base. Il y a encore cent ans, tout le monde aurait jugé absurde de parler de mariage homosexuel. Aujourd’hui, ceux qui s’y opposent sont excommuniés par la société. Il en va de même pour l’avortement et la production d’êtres humains en laboratoire. La société moderne est en train de formuler une foi antichrétienne, à laquelle on ne peut s’opposer sans être puni par l’excommunication sociale. Il est donc plus que naturel d’avoir peur de cette force spirituelle de l’Antéchrist et il faut vraiment l’aide de la prière de tout un diocèse et de l’Église universelle pour y résister ».

Dans ces quelques lignes, anticipées par le site catholique américain Lifesitenews, Ratzinger – comme toujours – parvient à condenser des réflexions extraordinaires dignes d’une profonde méditation.

Bien entendu, « Repubblica » a immédiatement déformé son raisonnement, le réduisant à une controverse sur « l’avortement » et le « mariage gay », donnant ainsi le « la » à tout le système médiatique et déchaînant la meute des réseaux sociaux contre le Pape, une fois de plus couvert de boue. Ce faisant, ces champions de la tolérance à sens unique ont immédiatement prouvé la véracité des paroles de Benoît XVI sur l’anathème qui touche ceux qui ne s’alignent pas sur le courant dominant.

Mais la réflexion de Ratzinger est ici beaucoup plus profonde. En parfaite continuité avec le Magistère de Paul VI et de Jean-Paul II, Benoît XVI dénonce à nouveau l’idéologie moderne dominante qui est non seulement anti-chrétienne, mais aussi dramatiquement hostile à la vie humaine.

Le Pape saisit – comme Montini et comme Wojtyla – la connotation apocalyptique du moment présent, en particulier de cette « dictature du relativisme » qui s’est opposée à lui pendant son pontificat et qui domine aujourd’hui, se répandant même dans l’Église.

Benoît XVI ne craint pas de parler de l’Antéchrist, faisant s’insurger et ironiser ceux qui se croient éclairés et progressistes, mais ne sont pas familiers avec les livres et les débats philosophiques et théologiques.

En fait, pas mal d’hommes de pensée non catholiques ont traité ce sujet. Mario Tronti – philosophe de matrice marxiste – put dire en 2013, après la « renonciation », que le pontificat de Joseph Ratzinger était une « tentative héroïque d’endiguer la forme post-moderne de l’Antéchrist ».

Réflexions tout aussi dramatiques, celles faites par Massimo Cacciari [cf. Un tournant radical de l’Eglise | Benoit et Moi ]. Cacciari a notamment déclaré: « On peut supposer que Ratzinger a démissionné parce qu’il ne pouvait plus contenir les forces antéchristiques au sein même de l’Église ». Mais à présent, « l’Eglise fait face, pour la première fois, à la véritable essence de l’Antéchrist ». Cacciari a également publié, en 2013, une réflexion plus philosophique, « Le pouvoir qui freine ». Également précieux, l’essai de Giorgio Agamben: “Il mistero del male (Benedetto XVI e la fine dei tempi)”.

Face aux paroles de Benoît XVI (« Il est donc plus que naturel d’avoir peur de cette force spirituelle de l’Antéchrist »), certains pourraient croire qu’il a dû fuir « devant les loups ». Ce qui invaliderait sa « renonciation ».

Mais quel type de « renonciation » a-t-il faite? Comme il l’a expliqué le 27 février 2013, il reste pape « pour toujours » et conserve en fait son nom et son titre pontifical.

Dans le livre « Le secret de Benoît XVI », j’ai montré qu’en raison de l’énormité de l’Ennemi qui se trouvait devant lui, il s’est humblement « écarté » pour faire place à quelqu’un qu’il pourrait aider par la prière et les conseils dans la tâche de Kathécon. Dans une nouvelle saison, de « collégialité » sans précédent de la papauté, parce qu’apocalyptique.

Mais les cardinaux ont choisi celui qui s’opposa à lui en 2005, le pape aimé des pouvoirs mondains, si bien qu’aujourd’hui Benoît XVI se trouve mystérieusement appelé à une tâche que seul Dieu connaît. Il reste en mission pour le compte de Dieu.

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