Des pasteurs plus soucieux de ne pas s’aliéner les politiques que de défendre leur troupeau: l’alignement de la hiérarchie ecclésiastique, jusqu’à son sommet, sur les décisions des autorités civiles (y compris celles qui empiètent sur les prérogatives de l’Eglise) restera un des faits marquants de cette crise. Un article de Phil Lawler.


S’en remettre à César en cas d’épidémie: les limites de l’autorité

Phil Lawler
www.catholicculture.org (via AMV)
20 mai 2020

Mon ami et collègue Jeff Mirus nous met en garde contre le fait que nous ne devrions pas nous précipiter pour juger nos leaders de l’Église; nous ne devrions pas conclure prématurément qu’ils s’inclinent face aux autorités civiles restreignant le ministère pastoral pendant l’épidémie actuelle. Il a raison, bien sûr, et je reconnais en moi une forte tendance au jugement hâtif: une tendance que je dois contrôler.

Néanmoins, je ne peux pas échapper à la conclusion que les catholiques fidèles ont de bonnes raisons de soupçonner que dans cette crise, leurs pasteurs se sont davantage préoccupés des ramifications politiques de leurs actions que des retombées pastorales. Je dis cela pour trois raisons :

  1. Bien souvent, les restrictions annoncées par les leaders de l’Église ont exactement correspondu, point par point, aux règlements émis par les autorités civiles. À Rome, la police a fermé l’accès à la place Saint-Pierre (qui est sous sa juridiction), puis quelques heures plus tard, le Vatican a annoncé la fermeture de la basilique Saint-Pierre (qui est sous le contrôle du Vatican). Était-ce une coïncidence ? Le même schéma était évident partout dans le monde: les leaders ecclésiastiques ont fermé les églises dès que les autorités publiques ont imposé des règles d’urgence. Les dirigeants catholiques n’ont que rarement résisté à l’imposition d’ordres civils sur les activités religieuses.
  2. En règle générale, les évêques qui ont été les plus soucieux de restreindre l’accès aux sacrements – et les laïcs catholiques les plus soucieux de défendre ces restrictions – sont issus de l’aile libérale de l’Église. Sur le papier, cette corrélation n’a aucun sens. On pourrait s’attendre à ce que les catholiques les plus âgés et les plus malades soient favorables à des mesures de santé publique plus strictes, tandis que les jeunes et les téméraires s’irritent des restrictions. Mais si mes observations sont exactes, ce sont surtout les catholiques orthodoxes qui ont plaidé pour un plus grand accès aux sacrements, tandis que les progressistes ont fait valoir que la réouverture des églises serait peu judicieuse.
  3. La remarquable déférence envers l’autorité civile durant cette épidémie suit un schéma qui n’est devenu que trop commun ces dernières années. Nos dirigeants ecclésiastiques ont soigneusement évité toute controverse publique, même aux dépens de la discipline ecclésiastique. Prenez, par exemple, la réticence manifeste des évêques américains à empêcher les politiciens pro-avortement de communier. Depuis quarante ans, les catholiques libéraux nous disent que la cause pro-vie n’est pas une raison suffisante pour refuser l’Eucharistie à qui que ce soit. Pourtant, depuis quarante jours, on nous dit que la cause pro-vie est une raison suffisante pour refuser l’Eucharistie à tous. Allez comprendre.

On nous a dit que nous ne pouvions pas garder les églises ouvertes, parce que l’Église catholique est pour la vie, et que nous ne devons jamais faire quoi que ce soit qui mettrait en danger la vie de ceux qui viennent prier avec nous. Cette logique est saine, pour autant qu’elle soit appliquée. Mais elle ne va pas assez loin.L’Église catholique n’est pas là pour sauver des vies, mais pour sauver des âmes. Ainsi, en cas d’épidémie, si les responsables civiques ont, à juste titre, la santé physique du peuple au premier plan de leurs préoccupations, les responsables de l’Église devraient être plus attentifs au bien-être spirituel de leur peuple. Aussi important qu’il soit de se préoccuper de la santé des paroissiens, les pasteurs ne devraient jamais rien faire pour mettre en danger les âmes de ceux qui pratiquent le culte avec nous.

Il est rare que les exigences de la santé physique entrent en conflit avec les exigences du bien-être spirituel. Mais un tel conflit est apparu ces dernières semaines. Différents pasteurs ont résolu ce conflit de différentes manières, et je ne vais pas remettre en cause leurs jugements. Mais beaucoup trop de pasteurs, au lieu de prendre leurs propres décisions, s’en sont entièrement remis aux autorités laïques. Et c’est un choix que je remets en question.

Dans un excellent article de Catholic World Report, Douglas Farrow a fait remarquer que certains catholiques sincères sont réticents à rouvrir les églises :

Ils font appel au cinquième commandement, « Tu ne tueras point ». Et à ce que Jésus a identifié comme le deuxième grand commandement, « Aime ton prochain comme toi-même ». Ils les ont fusionnés pour justifier le nouveau commandement COVID: « Tu aimeras ton prochain en t’éloignant de lui, de peur de lui transmettre un virus qui pourrait le tuer. » Et le commandement COVID, soulignent-ils, reste également en vigueur.

Tout en admettant volontiers la nécessité de faire preuve de prudence en matière de santé, Farrow ajoute qu’un sens de l’équilibre et de la proportionnalité est nécessaire, car « il ne suffira pas de protéger les gens d’un virus mortel pour les livrer à la pauvreté, à la famine, à la tyrannie, à la guerre ou à la mort par négligence ». Pourtant, même cela n’est pas sa principale préoccupation. Le plus grand danger, selon Farrow, réside dans la volonté des responsables de l’Église d’accepter les restrictions imposées par le gouvernement – même extrêmes – sans exiger que le gouvernement comprenne les priorités de l’Église.

Mon inquiétude est que par leur respect, ils approuvent, ou seront perçus comme approuvant, non pas l’évangile du royaume mais l’évangile de l’État; qu’ils font leurs les priorités de l’État, plutôt que les priorités de Jésus.

Dans un article publié le même jour par Le Figaro, le cardinal Robert Sarah fait une remarque similaire, exprimant sa préoccupation quant au fait que les dirigeants de l’Église, dans leur désir d’être de « bons citoyens », ont trop souvent perdu de vue leur mission plus importante. Oui, l’Église travaille pour le bien de la société dans son ensemble, et offre ses conseils sur les affaires temporelles, comme il convient (selon les mots du Pape Paul VI) à un « expert en humanité ». « Mais peu à peu, les chrétiens en sont venus à oublier la raison de cette expertise », remarque le cardinal.

L’Église catholique peut offrir des conseils aux responsables civils, dans la poursuite du bien commun, car l’Église sait ce dont l’humanité a besoin pour trouver un bonheur véritable et durable. Mais les responsables civils ne peuvent pas rendre la pareille; ils ne peuvent pas offrir le même type de conseils à l’Église, parce que le monde séculier ne comprend pas la mission de salut de l’Église. L’Église comprend le monde; le monde ne comprend pas l’Église.

L’Église ne peut donc pas, et ne doit même pas, accepter la présomption selon laquelle l’État sait ce qui est bon pour l’Église. La tâche de l’État est de savoir ce qui est bon pour le bien-être temporel des citoyens en général. Lorsque les lois de l’État sont conçues dans ce but et appliquées équitablement, l’Église a intérêt à y obéir. Par exemple, les églises paroissiales doivent se conformer aux réglementations locales en matière de sécurité incendie. Mais lorsque l’État décide arbitrairement que les services religieux ne sont pas des activités essentielles, l’Église ne peut et ne doit pas y consentir. Le culte est essentiel. L’Église le sait parce qu’elle est « experte en humanité » et parce qu’elle connaît le premier commandement. Accepter d’être désignée comme « non essentielle » revient à nier l’autorité propre de l’Église du Christ.

Lorsque les fonctionnaires civils émettent des ordres sur ce qui est bon pour la santé publique, les évêques catholiques devraient écouter, car les fonctionnaires civils ont l’autorité nécessaire pour faire respecter les règles de santé publique. En effet, un évêque prudent respecterait normalement ces règles même s’il pense personnellement qu’elles sont malavisées, car l’évêque n’est pas un expert dans le domaine de la santé publique. Mais si et quand les règles empiètent sur les prérogatives de l’Église – si elles compromettent la mission évangélique – alors l’évêque doit s’insurger, protester et, si nécessaire, défier l’autorité civile. Et nous devons faire de même.

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