ou « la leçon précieuse des paysans ‘ignorants' ». Une très belle et très émouvante allégorie d’Aldo Maria Valli, à partir d’un reportage sur des paysans interrogés sur le covid-19. Épargnés par le raz-de-marée d’informations qui nous submerge depuis des semaines, ils sont restés sereins. Vierges, en quelque sorte. Et porteurs d’une sagesse atavique. Une leçon pour nous, urbains qui nous croyons surinformés et qui en réalité n’en savons pas plus (et même encore moins) qu’eux.


J’ai été très touché par une vidéo qu’un ami m’a envoyée ces jours-ci. Elle recueille les témoignages de quelques paysans et éleveurs âgés, qui me semblent originaires du centre de l’Italie et qui, interrogés sur la pandémie, le coronavirus et les mesures pour contenir la contagion, montrent avec candeur qu’ils en ignorent tout. La vidéo est belle parce que les témoignages sont chargés d’une sincérité désarmante, les visages expriment une simplicité digne et aucune des personnes interpellées n’essaie d’être ce qu’elle n’est pas.

J’ai à mon tour envoyé la vidéo à quelques amis et l’un d’eux, qui s’occupe d’agronomie, a commenté: « Ils m’inspirent beaucoup de tendresse, et j’en connais tellement comme eux! Personnes peu instruites, loin des réseaux sociaux et du monde. Je les aime énormément parce qu’ils sont notre histoire: gare à celui qui y touche!

Et voici le commentaire d’une amie: « Tellement attendrissants dans leur simplicité. Ils vivent dans le même monde que nous mais ne sont pas emportés par lui. Ils méritent attention et respect ».

Il n’est venu à l’idée d’aucun de mes amis de définir les personnes de la vidéo comme des ignorants. Et je ne les définirais jamais de cette façon non plus. En réalité, ils sont ignorants au sens littéral du terme, car ils ignorent beaucoup de choses, mais ce n’est pas comme si nous, métropolitains alphabétisés, en sachions beaucoup plus !

Si nous réfléchissons à ce que nous savons réellement sur le Covid-19, nous devons admettre que nous aussi, nous sommes profondément ignorants. Malgré notre fréquentation des réseaux sociaux et la lecture quotidienne de quantité de nouvelles et de commentaires, nous sommes pleins de doutes, et les choses que nous ne savons pas dépassent de loin celles dont nous pourrions plus ou moins nous faire une idée. Nous ne savons toujours pas comment et où le virus est né, nous ne savons pas comment il a été transmis initialement, nous ne savons pas de quoi beaucoup de gens sont réellement morts (par exemple, d’une pneumonie ou d’une thrombose), nous ne savons pas s’ils sont morts du Covid ou avec le Covid, nous ne savons pas si le virus a vraiment disparu, nous ne savons pas s’il reviendra, nous ne savons pas si nous devons chercher un vaccin ou non, nous ne savons pas quelles sont les thérapies les plus efficaces, etc. etc.

Si nous savions que nous ne savons pas, nous serions prudents et humbles, mais au lieu de cela, remplis de nouvelles, nous supposons que nous savons, et nous devenons donc souvent agressifs. Mais c’est l’agressivité du faible qui attaque parce qu’il n’est pas sûr de lui.

Les paysans interrogés dans la vidéo ont de beaux visages bronzés, de personnes âgées habituées à être dehors. Le fait de vivre à la campagne, dans des villages isolés, les a automatiquement protégés de la contagion, mais pas seulement de celle causée par le virus: je parle aussi de la contagion de l’information. On peut voir dans leurs yeux qu’ils n’ont pas été stressés par la terreur et le sensationnalisme. Ayant évité la télévision, les journaux, les médias sociaux et toutes les autres sources d’information, ils ont conservé une sérénité et un détachement royaux que personne ne peut égratigner.

Cela signifie-t-il donc que nous ne devons pas nous informer? Non, bien sûr. Mais la leçon qui nous est donnée par nos vieux compatriotes non métropolitains reste instructive: on peut mourir de trop d’informations, comme du coronavirus. On meurt d’indigestion d’information, de stress d’actualité, d’épuisement nerveux par overdose de news.

Il n’est pas facile de dire quelle peut être la quantité raisonnable de nouvelles utiles pour nous tenir informés sans tomber dans une forme de névrose. Chacun peut s’autoréguler comme il le souhaite. Mais le problème n’est pas seulement quantitatif. Il s’agit de viser une information de qualité, c’est-à-dire vraiment libre: rara avis in terris [oiseau rare sur terre]!

En regardant la vidéo avec les témoignages des vieux paysans, j’ai aussi pensé aux apparitions du Premier ministre pendant la pandémie, quand, à l’heure de l’audience maximale de la télévision, il entrait dans nos maisons, où nous étions confinés, et il commençait à débiter des chiffres et à annoncer les mesures prises sur la base des formulations du Comité technico-scientifique. Voici un cas classique dans lequel nous avions la présomption de savoir, mais en réalité nous ne savions rien. Nous n’étions pas en mesure de savoir comment étaient nées les données qui nous étaient fournies ; nous n’avions pas la possibilité de faire une comparaison entre différentes sources ; nous n’avions pas la possibilité de comprendre comment le Comité en était arrivé à prendre certaines décisions; nous ne savions pas quelle était la compétence réelle des personnes appelées à prendre les décisions. En l’absence de possibilités objectives de jugement, nous avons tous été appelés, ni plus ni moins, à un acte de foi. D’où le sentiment totalement illusoire de savoir, alors qu’en réalité, nous croyions savoir.

Nous avons vécu et nous vivons, il faut l’admettre, dans l’illusion. Illusion de savoir, illusion d’être libre de nous faire une idée, illusion de pouvoir juger. Et l’illusion continue.

On pense spontanément à la caverne dont parle Platon , avec les esclaves enchaînés, ignorants qu’ils ne voyaient que des ombres car, car ne pouvant se tourner vers la source de la projection, ils identifient les ombres à la réalité effective.

Alors les voix de ceux qui, en nous aidant à déclarer nos limites, nous rappellent au réalisme de l’humilité, sont les bienvenues.

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