Au moment où Monseigneur Georg Ratzinger s’apprête à rejoindre son ultime demeure terrestre dans la tombe des Regensburger Domspatzen du cimetière de Ratisbonne, la belle interview de Michael Hesemann (qui a co-écrit avec lui « Mon frère le Pape ») à Zenit est le dernier cadeau qu’il nous fait: un moment de pur bonheur et, curieusement, d’apaisement et d’espoir.

Interview exclusive:

Mgr Georg Ratzinger raconté par Michael Hesemann

DEBORAH CASTELLANO LUBOV
6 juillet 2020
zenit.org
Ma traduction

Georg Ratzinger « était un homme qui cachait sa finesse intellectuelle et sa grandeur derrière une humilité encore plus grande. Une âme aimable, un vrai gentilhomme, chaleureux et amical envers tous, avec un merveilleux sens de l’humour, typiquement bavarois… »
Le célèbre frère aîné de Benoît, qui est rentré dans sa patrie céleste le 1er juillet et dont les funérailles seront célébrées à la cathédrale Saint-Pierre de Ratisbonne ce mercredi 8 juillet, ne pouvait être expliqué de manière plus claire et plus personnelle que par Michael Hesemann, son co-auteur dans le livre d’entretiens « Mon frère, le pape ».

ZENIT : Comment avez-vous connu Monseigneur Georg Ratzinger?

Michael Hesemann : En 2009, lorsque les attaques contre le pape Benoît XVI ont commencé, nous avons fondé une association pour le défendre et l’avons appelée « Germany pro Papa« . Notre représentante à Ratisbonne, Roswitha Biersack, a tenu Georg Ratzinger informé de toutes nos activités et m’a finalement présenté à lui en décembre 2010. Je peux dire que je l’ai aimé dès le premier instant: il était le vieux monsieur sage, doux et plein d’humour que nous souhaitions tous connaître. Je lui ai apporté certains de mes livres, il a vérifié auprès de son frère et finalement il m’a fait confiance. Quand j’ai réalisé à quel point il avait une mémoire brillante et qu’il était doué pour raconter des anecdotes de sa vie, je me suis dit: C’est quelque chose que nous devons préserver pour le monde, pour l’avenir. C’est ainsi qu’est né le projet de notre livre commun « Mon frère, le pape ». Il avait 86 ans à l’époque, en assez bonne santé, dans les meilleures dispositions, et le moment était venu.

ZENIT : Qu’est-ce qui vous a le plus frappé chez lui ?

Michael Hesemann : C’était un homme qui cachait sa finesse intellectuelle et sa grandeur derrière une humilité encore plus grande. Une âme aimable, un vrai gentilhomme, tellement chaleureux et amical avec tout le monde, avec un sens de l’humour typiquement bavarois, merveilleux, charmant, espiègle. En même temps, il avait les pieds sur terre et était beaucoup plus extraverti que son frère plutôt timide. Il aimait avoir des gens autour de lui, sa maison ressemblait parfois à une ruche, avec des visiteurs le matin et l’après-midi. Beaucoup de ses anciens enfants du Chœur de la cathédrale de Ratisbonne (« Regensburger Domspatzen« ) sont restés en contact avec lui pendant des décennies, ils lui rendaient régulièrement visite comme s’il était devenu un membre de leur famille et venaient l’aider lorsqu’il est devenu presque aveugle et incapable de marcher. Ils lui lisaient des livres, écrivaient des lettres pour lui ou venaient simplement discuter et déguster un café, un thé ou un morceau de gâteau qui leur était toujours offert. Il a vraiment changé leur vie et est devenu une source d’inspiration pour beaucoup. Ainsi, il a effectivement laissé derrière lui une grande famille d’amis et d’étudiants.

ZENIT : Dr Hesemann, parlez-nous un peu de Mgr Georg Ratzinger. Par exemple, quels étaient ses hobbies, ses favoris, ses priorités, ses espoirs…

Michael Hesemann : Bien qu’il fût presque aveugle, il était extrêmement bien informé, car il avait ses lecteurs bénévoles et une mémoire brillante. On pouvait vraiment parler avec lui de tout, des questions d’Église à la politique en passant par le football. Mais son grand amour, bien sûr, était la musique. Je pense que le meilleur cadeau d’anniversaire que je lui ai fait a été d’inviter une bonne amie, la pianiste de renommée mondiale Anastassiya Dranchuk, à jouer pour lui. Nous l’avons refait pour son anniversaire suivant et pour son dernier anniversaire. Son point faible était les sucreries et je lui apportais toujours des biscuits et des gâteaux, mais il aimait surtout les biscuits de Noël. En général, Noël était très important pour lui et une fois, dans une fête donnée à l’occasion de son 90e anniversaire que nous avons célébré au Vatican, je l’ai appelé “a christmassy person” (« une personne qui aime Noël »).
Il est né le 15 janvier, qui était encore dans la période de Noël et, comme nous le savons tous, Noël a été la naissance non seulement du Christ, mais aussi de la musique d’Église: c’est à ce moment que les anges ont chanté leur « Alléluia » à Bethléem. L' »esprit de Noël » a donc influencé sa vie, son travail et sa vocation et ce n’est pas un hasard si son CD le plus réussi avec les « Regensburger Domspatzen » est celui avec les Chœurs de Noël allemands; presque toutes les familles allemandes l’ont chez elles. Cela reflète également son éducation dans une famille très pieuse qui célébrait vraiment les fêtes de l’Église de la manière la plus solennelle, qui priait le chapelet ensemble chaque jour, agenouillée sur le sol dur de la cuisine et, puisqu’elle priait ensemble, restait toujours ensemble dans les bons et les mauvais moments.

ZENIT Quelle était sa relation avec son frère?

Michael Hesemann : Un amour fraternel profond. Les Ratzinger ont toujours été une famille très proche, aimante et attentionnée. Les frères et sœurs se sont encore rapprochés lorsque leurs parents sont morts dans les années 1960 ; leur sœur aînée Maria est devenue la gouvernante, la secrétaire et l’assistante de Joseph Ratzinger et Georg est allé à Ratisbonne en tant que directeur musical de la cathédrale de Ratisbonne, « Domkapellmeister« . Mais ils se rencontraient régulièrement, célébraient les fêtes ensemble et se rendaient sur la tombe des parents qu’ils transférèrent à Ratisbonne. En 1969, lorsque Joseph Ratzinger reçut l’appel de l’université de Ratisbonne et y enseigna désormais la dogmatique, commença la période la plus heureuse de leur vie d’adulte, puisque les trois frères et sœurs étaient à nouveau réunis. Malheureusement, le Seigneur avait d’autres projets. En 1977, Joseph Ratzinger devient archevêque de Munich et de Freising et doit déménager. En 1983, le pape Jean-Paul II l’appelle à Rome en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

En 1991, Maria Ratzinger meurt, ce qui ne fait que renforcer le lien entre les deux frères qui restent. Ils étaient tellement impatients d’être à nouveau ensemble après la retraite de « Joseph Cardinal Ratzinger ». Le cardinal Ratzinger a gardé sa maison à Ratisbonne pendant toutes ces années, pour y venir en vacances, pour rencontrer son frère et pour avoir un endroit où rester après sa retraite de Rome. Mais une fois de plus, le Seigneur avait d’autres projets.
Et, croyez-moi, pour Georg Ratzinger, l’élection de Benoît XVI a d’abord été un choc. Tous les plans communs qu’ils attendaient ont été brisés une fois pour toutes. Pendant toute une journée, il n’a pas répondu au téléphone, tellement il se sentait frustré. Dieu merci, ils ont trouvé un moyen de rester proches. Ils se parlaient presque tous les jours au téléphone et Georg rendait visite à son frère à Rome environ quatre fois par an, la dernière fois en janvier 2020. Il voulait revenir fin mars 2020, mais la crise du Corona l’en a empêché. C’est donc une bénédiction qu’au moins le pape Benoît ait pu venir lui dire adieu, il y a deux semaines.

ZENIT: Quels sont les souvenirs de ce qu’ils faisaient ensemble? Des anecdotes?

Michael Hesemann : Il était doué pour raconter des anecdotes, qui reflétaient toujours son humour chaleureux. Et il y a des centaines de photos de voyages touristiques qu’ils ont faits ensemble. C’était une longue tradition pour eux. Au milieu de la Seconde Guerre mondiale, en 1941, alors qu’en raison de la guerre aucun public international ne se rendait au célèbre Festival de musique classique de Salzbourg, il a réussi à acheter plusieurs billets bon marché et les deux frères ont fait le trajet à vélo, passant les nuits dans un petit hôtel. Georg avait 17 ans à l’époque, Joseph seulement 14! Ce voyage est vraiment devenu providentiel. Joseph a découvert son amour pour Mozart et est devenu le « Mozart de la théologie ». Georg a vu pour la première fois les légendaires « Regensburger Domspatzen« , le chœur de garçons de la cathédrale de Ratisbonne, et en est tombé amoureux. Vingt-trois ans plus tard, il est devenu leur directeur musical!
Une autre belle histoire qu’il raconte dans notre livre, c’est quand la guerre est finie et qu’il revient du camp de prisonniers de guerre américain; Joseph, qui était trop jeune pour devenir soldat, était déjà rentré chez leurs parents plus tôt. Ce jour-là, après un bref salut Georg est entré dans la maison, s’est assis au piano et a commencé à jouer le Te Deum. Puis tous se sont mis à pleurer et se sont embrassé.
Mais à côté de ces moments forts de leur vie, il y avait leur quotidien qui était si normal et si terre-à-terre, malgré leur importance. Même si Joseph Ratzinger était déjà cardinal et préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi et Georg Ratzinger un génie musical célébré dans le monde entier, ils n’étaient que deux frères ordinaires lorsqu’ils se rencontraient: Georg faisait la cuisine, Joseph faisait ensuite la vaisselle. Une fois de plus, la grandeur se cache derrière l’humilité! Il faut savoir que Georg Ratzinger n’a été « le frère du Pape » que pendant les quinze dernières années de sa vie. Pendant longtemps, au moins jusqu’en 1977, Georg était beaucoup plus connu. À cette époque, Joseph Ratzinger était parfois appelé « le petit frère du célèbre directeur musical ». Même après que le cardinal Ratzinger soit devenu pape, son frère Georg l’appelait « Joseph ». « Tout le reste ne serait pas naturel », me disait-il. Il avait tellement les pieds sur terre, alors que son âme se tendait vers le ciel. Mais pour résumer, ils ont toujours été « un seul cœur et une seule âme », comme on dit en allemand, et Georg, en tant qu’aîné et premier à avoir eu la vocation de devenir prêtre, était le modèle de son jeune frère Joseph.

ZENIT: Et quelques souvenirs avec leurs parents?

Michael Hesemann : Ce qui m’a le plus impressionné, c’est ce qui s’est avéré être le secret de la famille Ratzinger. Comment se fait-il qu’une famille plutôt simple, un policier de campagne et une cuisinière d’hôtel, ait élevé deux fils qui étaient tous deux des génies, chacun dans son genre – Georg Ratzinger, en tant que célèbre musicien, compositeur et chef de chœur qui a fait le tour du monde, et Joseph Ratzinger, le plus grand théologien allemand et 265ème successeur de Pierre. J’ai fini par découvrir que leur source d’inspiration était l’intense foi catholique et la forte piété de cette famille. Comme je l’ai déjà dit, ils priaient le chapelet ensemble tous les jours, agenouillés sur le sol de la cuisine; ils allaient régulièrement à l’église; ils célébraient les fêtes de l’année ecclésiastique.
Ils ont tiré toute leur inspiration de la richesse de la culture catholique bavaroise, une culture qui a donné naissance à Mozart et à tant d’autres génies, parce que sa beauté et sa richesse reflètent la beauté et la magnificence du ciel. En même temps, la prière et la dévotion communes sont devenues la source de l’amour fort qui a uni cette famille, la source puissante qui les a aidés à surmonter les tentations de ces temps turbulents, les a immunisés contre l’idéologie nazie blasphématoire et a suscité leur vocation. Il est intéressant de noter que les deux frères étaient, chacun à leur manière, une synthèse de leurs parents: Le policier strict et perfectionniste qui avait aussi un côté doux, un grand amour de la musique et une foi profonde, et la mère travailleuse, aimante et attentionnée qui n’était pas seulement une belle femme (comme le montrent les photos) mais aussi une femme merveilleuse et chaleureuse.

ZENIT : Lorsque Georg se rendait au Vatican, comment passaient-ils leur temps ?

Michael Hesemann : Georg Ratzinger avait sa propre chambre au Monastère Mater Ecclesiae et une sœur qui s’occupait de lui. Leur journée commençait par le temps fort, la Sainte Messe qu’ils célébraient ensemble. Ils prenaient le petit déjeuner, le déjeuner et le dîner ensemble et, entre-temps, priaient ensemble, jouaient ou écoutaient de la musique ensemble, parlaient entre eux et, le soir, regardaient parfois la télévision. C’était un moment calme et harmonieux et Georg Ratzinger était toujours impatient d’y aller et d’être avec son frère. Mais en même temps, il n’a jamais voulu s’y installer. Il aimait Ratisbonne et la Bavière, il appréciait la liberté et les visites régulières de ses amis. Il avait trouvé un foyer qu’il n’a jamais voulu abandonner. Et, bien sûr, le pape Benoît l’enviait. Sa belle Bavière bien-aimée lui manquait toujours, ses vertes prairies, ses fleurs colorées au balcon des maisons, ses montagnes, ses habitants, ses monastères baroques et ses villes médiévales. Quiconque a déjà visité la Bavière le comprendra parfaitement. Nulle part au monde vous n’êtes plus près du paradis!

ZENIT : Pourquoi Benoît est-il allé rendre visite à son frère récemment?

Michael Hesemann : Pour lui dire un dernier adieu. En janvier, Georg Ratzinger était allé à Rome pour la dernière fois. Le prochain voyage était prévu pour mars, mais il a été impossible en raison de la crise du Corona. En janvier, nous avons tous fêté son 96ème anniversaire et il était en pleine forme. Il avait des hauts et des bas, mais c’est normal à son âge. Mais ensuite sont arrivés les semaines et les mois d’isolement. Bien sûr, il avait sa gouvernante, une sœur merveilleuse, mais pas les cinq à dix visiteurs par jour qui le maintenaient jeune. Vers la Pentecôte, il a commencé à se sentir faible, son cœur lui a donné du fil à retordre. Lorsque la situation est devenue grave, son frère a décidé d’agir. Toute sa vie, le pape Benoît a regretté qu’il n’ait pas pu être avec sa sœur bien-aimée lorsqu’elle est morte en 1991 [voir ici: Deux frères], parce qu’il était lui-même malade à cette époque. Cette fois-ci, il savait qu’il ne pouvait pas attendre trop longtemps. Il a donc décidé, plus ou moins d’un jour à l’autre, de venir. Il est resté à Ratisbonne pendant quatre jours et a passé de nombreuses heures le matin et en fin d’après-midi avec son frère. Ils parlaient, célébraient la Sainte Messe ensemble, priaient ensemble ou se tenaient simplement la main. Cela leur a beaucoup apporté à tous les deux. Quand vous voyez les photos du pape Benoît à son arrivée et à son départ, c’est comme s’il avait rajeuni. La tension avait disparu, il souriait. Il savait que c’était leur dernière rencontre dans ce monde. Mais il sentait aussi que son frère partirait en paix maintenant. Ainsi, ils ont donné un merveilleux témoignage des deux choses, l’amour fraternel et la confiance catholique en Dieu et en la vie éternelle. Ils savaient, ils étaient confiants, que leur prochaine rencontre se fera au ciel, où tout le fardeau de cette existence matérielle a disparu et qu’ils vivront tous deux dans la joie éternelle de la présence de Dieu.

ZENIT : Comment la vie de prière de Monseigneur Georg l’a-t-elle préparé à un retour dans sa maison céleste ?

Michael Hesemann : Même à son âge avancé, sa vie de prière était intense. Jusqu’à ce qu’il devienne trop faible physiquement, il avait l’habitude de célébrer la Sainte Messe tous les matins, initialement à St. Johann, une petite église juste à côté de la grande cathédrale gothique de Ratisbonne, puis dans la chapelle privée de sa maison. Avec sa chère gouvernante, Sœur Laurente, il priait le chapelet et la prière horaire. Il aimait aussi écouter la musica sacra, juste pour se faire une idée de la beauté céleste. La musique, comme je l’ai déjà dit, est la langue des anges et il parlait très bien cette langue. Ces dernières semaines, il a contemplé toute sa vie de manière intense et s’est préparé à ce qu’il a appelé « l’examen céleste ». Je suis convaincu qu’il l’a passé facilement avec l’éclat, le charme et le sens de l’humour qu’il a toujours eus. Nous qui avons eu le privilège de le rencontrer, nous nous souviendrons toujours de lui avec gratitude comme d’un homme au cœur d’or. Toute sa vie, il a inspiré les gens à chercher Dieu dans la beauté de la musique. Aujourd’hui, il chante lui-même dans les chœurs célestes. Il a suivi le chemin qu’il a montré et préparé pour tant de gens et reçoit sa récompense divine.

Mots Clés :
Share This