Si l’on en croit les médias, au moins français, le « Premier » italien est l’un des gouvernants qui a le mieux géré la pandémie. L’anti-Trump-Bolsonaro, en somme. Il s’y serait acquis un large consensus populaire, et y aurait même gagné une stature d’homme d’état. Mais si l’on en croit Marcello Veneziani, la réalité est légèrement (!!) différente. De quoi réfléchir aussi sur notre pays, où la situation n’est certes pas superposable à 100% (entre Conte et Macron, il y a au moins une différence de forme) mais présente de larges similitudes.

Quatre raisons pour chasser Conte

Marcello Veneziani
La Verità, 8 juillet 2020
Ma traduction partielle (*)

La position de Premier ministre de Conte soulève, à mon avis, au moins quatre questions graves.

Une question politique, tout d’abord. À quel genre de pays sommes-nous réduits si le président du Conseil arrive en fonction sans avoir jamais joué sur le terrain, sans aucun CV, ni politique ni d’une quelconque autre excellence? Quel exemple donnons-nous au monde, aux jeunes, à la classe dirigeante, si l’on peut devenir Premier ministre d’une manière plus arbitraire que la loterie, sans mérite ni capacité, sans avoir jamais gagné un consensus électoral, sans avoir jamais rien administré? Juste un faux CV de petit prof. C’est la fin de la politique, de sa dignité, de son rôle, si l’on devient premier ministre, rien que pour trouver un prête-nom à une dyarchie telle que celle qui se profilait entre grillini (5 stelle/Beppe Grillo) et leghisti (Ligue).

Ensuite, il y a une question morale. On ne peut pas présider deux gouvernements de signe opposé, en passant de la direction d’un gouvernement sous l’hégémonie de Salvini à un gouvernement anti-salvinien. Nous avons vu toutes les trahisons en Italie, un pays traître, mais jamais celle de confier la direction de la trahison à la même personne qui a dirigé le gouvernement précédent. C’est comme si après la destitution du 25 juillet (25 juillet 1943: Mussolini est renversé), Mussolini avait présidé un gouvernement antifasciste pro-alliés… C’est une question morale grande comme une maison, qui n’a pas de précédent dans le monde, honte de l’Europe. Le discours doit concerner toutes les forces politiques de toutes les couleurs, car il discrédite tout le monde. Je dis cela à ceux qui pensent que la question morale consiste seulement à ne pas voler; la malhonnêteté est une mère prolifique, le vol n’est qu’un de ses nombreux enfants. Conte est aujourd’hui la première question morale italienne.

Troisièmement, une question institutionnelle. Conte s’est donné un pouvoir et une visibilité à laquelle même les deux egolâtres de ces dernières années, Berlusconi et Renzi (qui au moins n’ont pas été appelés au gouvernement pendant qu’ils étaient à la pêche, mais ont construit leur ascension politique)…. Grâce à l’utilisation de la pandémie, Conte est apparu comme le seul homme aux commandes que nous ayons eu depuis l’époque du Duce. Il a contourné le Parlement et le chef de l’Etat lui-même, il s’est arrogé le pouvoir par une salve de décrets et de sermons que même les républiques présidentielles de dirigeants élus par le peuple…

Enfin, une question nationale réduite au Fait Personnel. Au moment le plus dramatique de notre pays, alors que nous étions les premiers au monde en termes de nombre de décès dus au covid-19, Conte s’est vanté de son gouvernement et du modèle italien comme d’un exemple pour le monde entier. Et pendant qu’il annonçait que notre pays entrerait dans l’histoire, ce n’est que grâce à l’abnégation des médecins, des bénévoles et des infirmières qu’il a pu tenir bon. Des plans de santé inexistants aux masques. Sans parler des instructions grotesques données aux citoyens. Pendant des mois, Conte a balancé des paquets de milliards jamais vus auparavant, trompant un peuple, essayant de transformer le désespoir et la peur en consensus personnel. Chacal. Un président-annonceur qui s’apprête à décider que.., qui pense faire…, qui est sur le point de… Un vendeur de vent. Conte n’a d’autre intérêt que lui-même, le retour d’image et de consensus pour lui et sa persistance au pouvoir, à tout prix, avec tous les transformismes, dans toutes les conditions. Prêt à vendre tout et tous, y compris l’Italie, à condition qu’il continue à flotter.

Le consensus donné à Conte est la confirmation d’une loi commerciale combiné à un état psychologique de masse. Si vous matraquez encore et encore, jour après jour, un seul produit en position prioritaire et prédominante sur le marché ; et si vous combinez cette loi du marché avec le syndrome d’un pays effrayé et affamé, cherchant refuge et paternité de substitution, vous obtenez ce résultat. Ajoutez à cela l’anomalie d’un pays où les médias et la culture attaquent l’opposition plus que le gouvernement.

Le seul argument en faveur de Conte est le monde qui l’entoure: si la politique italienne n’a rien trouvé de mieux que de se rabattre sur lui et de le maintenir dans deux phases opposées, si des « minus haben » comme les grillini et les zingarettini [du nom de Nicola Zingaretti, actuel secrétaire du PD, i.e. les socialistes qui sont l’autre parti de la coalition au pouvoir avec les 5 étoiles] mènent la danse, si les alternatives qui se profilent sont pauvres et peu fiables ; et si tout le monde a peur de prendre des risques, alors ne vous plaignez pas si Conte est là. Mais le fait que Conte ne soit ni de gauche ni de droite mais marque la fin de toute politique, à la fois dans la version parodique du pouvoir démocrate-chrétien et le triomphe de la pire transformation dans le pire moment de notre histoire républicaine, m’amène à dire que la « chasse au Conte » afin de redonner de la dignité à la politique et aux institutions est une priorité incontournable.

Mots Clés : ,
Share This