En 2016, sept ans après son premier article, le Père Scalese reprend sa réflexion au point où il l’avait laissée, et la met à jour en tenant compte des derniers développements en date. L’esprit du Concile s’est vu adjoindre le qualificatif « 2.0 ».

Le Père Scalese constate que la tâche d’interprétation du Concile, telle qu’elle avait été initiée par Benoît XVI en décembre 2005, n’est plus du tout à l’ordre du jour sous ce Pontificat (François n’est jamais cité dans l’article, mais il est bien présent en filigranne). Ou pour dire les choses crûment, les textes du Concile n’intéressent plus personne. Les « novateurs » sont arrivés à leurs fins, l’esprit du Concile l’a finalement emporté, le Concile lui-même ayant rempli son rôle: rompre avec le passé.
Et pourtant, solder le bilan de Vatican II reste selon lui une nécessité plus urgente que jamais «parce que seule une solution correcte à la « question conciliaire » peut donner à l’Église la tranquillité d’esprit qu’elle n’a pas en ce moment».

[Dans l’ Église du XXe siècle], le problème [de la modernité] n’avait absolument pas été résolu; il avait seulement été mis sous silence: le modernisme, subrepticement, avait continué à se répandre dans l’Église, en imprégnant tous les secteurs; il devenait de plus en plus urgent de régler les comptes avec lui, non pas tant sur le plan de la discipline, mais plutôt sur celui de la doctrine. Il me semble que le Concile Vatican II a servi justement à cela, à faire un ‘discernement‘ sur le modernisme, pour voir ce qu’il y avait de bon en lui, qui puisse d’une certaine manière être conservé, et ce qui au contraire devait être définitivement rejeté.

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P. Giovanni Scalese

CONCILE ET « ESPRIT DU CONCILE » 2.0

Père Giovanni Scalese CRSP
querculanus.blogspot.fr
2 mars 2016
Ma traduction

En rédigeant le billet de la semaine dernière, où je parlais de la grande nostalgie pour le Concile et les années qui l’ont immédiatement suivi, de la part de ceux qui occupent maintenant des postes de responsabilité dans l’Église, il m’était venu à l’esprit que le moment était peut-être venu de reprendre le discours sur Vatican II, avec lequel ce blog était né. (…)

Il convient, tout d’abord, de poser une question, comme prémisse:  aujourd’hui, une réflexion sur Vatican II intéresse-t-elle encore quelqu’un?

Cette réflexion avait été initiée il y a dix ans, à l’occasion du quarantième anniversaire de la conclusion du Concile, par le discours de Benoît XVI à la Curie romaine (22 Décembre 2005).

Le pape avait posé la question de l’interprétation correcte du Concile: une «herméneutique de la réforme» par opposition à une «herméneutique de la discontinuité et de la rupture». S’en était suivi, durant les années du Pape Ratzinger, un débat intense, dont on espérait qu’il conduirait, tôt ou tard, à une clarification sur la question, avec des effets bénéfiques sur la vie de l’Eglise. 

Mais, avec le changement de pontificat, il semblerait que de ce débat, il ne reste plus rien: qui se soucie, aujourd’hui, de savoir comment interpréter le Concile? Vatican II semble désormais relégué à l’histoire, non pas parce qu’il n’est plus valide, mais simplement parce qu’il aurait rempli son rôle, lequel, selon la vision des ‘novatores‘, devait être de «rompre» avec le passé; cette mission accomplie, aujourd’hui, ce que le Concile a dit n’intéresse plus; ses documents ont une valeur purement historique; surtout, étant le résultat de compromis entre les différents partis, leur valeur est toute relative; ce qui compte, c’est l’«esprit du Concile», autrement dit l’esprit qui a suscité le Concile, qui l’a animé dans son déroulement (mais « piégé » dans la rédaction finale des documents) et qui continue aujourd’hui à nous suggérer comment répondre aux défis le monde contemporain, indépendamment de ce que les Pères ont écrit il y a cinquante ans.

Justement … il y a cinquante ans: nous venons de célébrer l’anniversaire de la conclusion de Vatican II. Quelqu’un l’a-t-il remarqué? Le grand événement qui a caractérisé la journée du 8 Décembre 2015 a été la projection d’un spectacle de l’environnement sur la façade de la basilique Saint-Pierre … Nous célébrons un jubilé extraordinaire, convoqué précisément à l’occasion du cinquantième anniversaire du Concile. Mais qui s’en souvient? Avouons-le: le Concile a désormais été archivé, tandis que l’Eglise poursuit son chemin, guidée par l’Esprit.

Et pourtant, je suis convaincu que la réflexion sur le Concile est encore loin d’être terminée, mais est plus urgente que jamais, parce que seule une solution correcte à la «question conciliaire» peut, à mon avis, donner à l’Église la tranquillité d’esprit qu’elle n’a pas en ce moment. Pour reprendre cette réflexion, je suis allé relire ce que j’avais écrit il y a sept ans. Je dois dire que, malgré les années, cela me semble une réflexion toujours valable, mais qui devrait être complétée parce que, dans l’intervalle, il y a eu des contributions supplémentaires, qui ne peuvent pas être ignorées. Parmi les nombreuses contributions, deux en particulier ont attiré mon attention.


Je me réfère, en premier lieu , à l’étude du Prof. Roberto De Mattei, écrite en 2010, « Il Concilio Vaticano II. Una storia mai scritta » (traduite en français sous le titre « Le Concile Vatican II. Une histoire à écrire« ). Il s’agit d’un essai historique extrêmement précieux pour reconstituer le déroulement effectif du Concile. Parmi les nombreuses incohérences d’un Concile qui avait la prétention d’être «pastoral», une m’a particulièrement frappé: le fait que Vatican II, pour des raisons d’opportunité politique, n’ait pas estimé nécessaire de prendre position face au communisme, un phénomène certes pas marginal dans cette période historique. Mais on pourrait faire la même observation sur la franc-maçonnerie et les autres grandes idéologies qui ont caractérisé l’ère moderne. On en vient à se demander: mais de quel «monde contemporain» a parlé du Concile, s’il a ignoré complètement les systèmes de pensée qui, à cette époque, le dominaient?


En second lieu, au cours de ces années, des jugements très critiques envers le Concile, tirés de journaux inédits de don Divo Barsotti, ont été portés à l’attention du grand public. Ce qui frappe, c’est qu’un homme de Dieu, comme l’était sûrement don Barsotti, voyait plutôt dans le Concile – qui nous a toujours été présenté comme une sorte de «printemps de l’Esprit» -, une forme d’hybris toute humaine, en révolte contre le Créateur. Il y a là, pour le moins, de quoi réfléchir.
Si nous nous limitions à ces considérations, nous devrions inévitablement en conclure qu’il aurait peut-être été préférable de ne pas convoquer Vatican II.

Mais il y a d’autres considérations à faire sur l’opportunité, et peut-être la nécessité, tôt ou tard, de faire un Concile. Dans mon article de 2009 je mentionnais la nécessité de reprendre et de terminer le travail commencé par le Concile Vatican I. Le mérite d’avoir complété Vatican I est à attribuer principalement à Paul VI, qui a transformé ce qui avait commencé comme un Concile purement pastoral en un Concile doctrinal, avec une attention particulière à l’ecclésiologie. Et je dirais que c’est précisément sur ce plan doctrinal que peuvent être identifiés les fruits les plus durables du Concile, indépendamment des résultats plus ou moins heureux de ses réformes disciplinaires ou de ses analyses pastorales.

Mais, en plus du Concile Vatican I, il y avait un autre compte qui était resté en suspens dans l’Eglise du XXe siècle, celui avec la modernité. Pendant trop longtemps, on avait fait comme si le problème avait été résolu avec la publication du décret Lamentabili et de l’encyclique Pascendi (1907) et avec la répression consécutive de toute forme de dissidence. Mais le problème n’était absolument pas résolu; il avait seulement été mis sous silence: le modernisme, subrepticement, avait continué à se répandre dans l’Église, en imprégnant tous les secteurs; il devenait de plus en plus urgent de régler les comptes avec lui, non pas tant sur le plan de la discipline, mais plutôt sur celui de la doctrine. Il me semble que le Concile Vatican II a servi justement à cela, à faire un ‘discernement‘ sur le modernisme, pour voir ce qu’il y avait de bon en lui, qui puisse d’une certaine manière être conservé, et ce qui au contraire devait être définitivement rejeté. C’est ce qu’a fait l’Église, c’est-à-dire l’Épouse du Christ, guidée par l’Esprit saint, à travers la réflexion de ses pasteurs , sous la direction du Successeur de Pierre, une réflexion qui a abouti à l’approbation des documents conciliaires, qui expriment sans l’ombre d’un doute, le jugement faisant autorité de l’Eglise dans les domaines doctrinale, disciplinaire et pastoral.

Tout cela, naturellement, ne peut être perçu et accueilli qu’avec un regard de foi, qui n’ignore pas, mais dépasse les luttes entre factions opposées, les jeu de pouvoir, les manèges des lobbies, les abus de la présidence, les compromis au rabais, qui ne peuvent certes pas être niés sur le plan purement historique. Et c’est sur ce plan que certains ont interprété le Concile, non pas comme un discernement, mais comme un ‘dédouanement‘ du modernisme. L’ambiguïté de certains textes conciliaires (inévitable quand il s’agissait de trouver un accord entre des positions opposées) a permis de donner une interprétation «moderniste» de Vatican II; interprétation combattue par les Pontifes qui se sont succédé sur la chaire de Pierre au cours des cinquante dernières années (Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI), mais qui a continué à se propager insidieusement dans l’Eglise à tous les niveaux, jusqu’à refaire surface de façon manifeste (et je dirais, dans certains cas, arrogante) au cours des dernières années.

Il faut ajouter que, peut-être, l’oubli actuel du Concile peut avoir un effet bénéfique: il pourrait marquer la fin de l’absolutisation qui en avait été faite durant le dernier demi-siècle. Il semblait presque que le Concile était devenu plus important que le Christ et son Evangile: comme je le soulignais il y a sept ans, l’acceptation inconditionnelle de Vatican II semblait être devenue la condition suprême pour être considéré comme catholique. Il est juste d’historiciser le Concile: il doit être inséré dans son contexte historique; il est seulement une étape du pèlerinage de l’Eglise à travers le temps; il a été précédé par un long chemin qui l’a préparé, et qui en lui a trouvé son couronnement; à son tour, il a entamé un processus d’approfondissement et de développement ultérieurs, dans la continuité de la tradition de l’Eglise. Il faudrait, manière solennelle, réaffirmer ce qu’est l’interprétation correcte des textes conciliaires: un discours d’un Pape à la Curie romaine, pour autorisé qu’il soit, ne revêt pas ce caractère d’officialité (plutôt que de bloquer l’Église pendant deux ans sur des questions qui avaient déjà été largement discutées et résolues, on aurait pu consacrer le Synode de 2015 précisément à cette fin). Ne s’agissant pas d’un Concile dogmatique, il n’est pas exclu que l’on puisse revoir certains points, soit parce qu’ils sont ambigus, soit parce qu’ils sont dépassés par les événements. Mais on ne peut pas remettre en cause ses principales acquisitions, non seulement dans le domaine doctrinal mais aussi disciplinaire et pastoral. S’il est vrai que le Concile n’a pas donné les résultats espérés, on devrait se demander, avant tout, si cet échec incontestable est à attribuer au Concile lui-même, ou plutôt à un éventuel manquement dans son application.

Pour terminer, je voudrais souligner que c’est justement l’expérience que nous vivons en ces années qui démontre la nature providentielle de Vatican II. Certains des aspects sur lesquels le Concile s’était arrêté et qui avaient fait l’objet de critiques de la part du monde traditionaliste, témoignent à quel point le Concile a fait preuve de prévoyance.

  • La collégialité épiscopale: nous avons tous « applaudi » les évêques qui, au cours des récents synodes, se sont opposés avec courage et ténacité aux manigances du lobby allemand pour faire une « mise à jour » de la doctrine morale de l’Eglise.
  • La responsabilisation des laïcs: nous avons vu en Italie ces derniers mois qui s’est démené pour défendre la famille, en l’absence presque totale de la hiérarchie.
  • L’oecuménisme: il a fallu la rencontre avec le Patriarche de Moscou pour que le Pape souscrive à quelques «principes non négociables» qui, ces dernières années, avaient été complétement mis de côté.


Alors remercions le Concile pour avoir, avec ses «innovations», mis l’Eglise en mesure de relever les défis de l’ histoire.

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