Marcello Veneziani est un intellectuel de droite fièrement assumé, et certainement l’un des meilleurs analystes du dualisme gauche/droite aujourd’hui. Un clivage qu’on prétend dépassé, mais qui est éternel (étant entendu que chez nous, la seule droite admise au jeu politique est celle dite « républicaine »… qui n’en finit pas de singer la gauche et de trahir les valeurs qui sont pourtant de façon organique celles de droite). Beaucoup de ses articles traitent du sujet, et j’en ai traduit plusieurs dans ces pages. Le dernier en date, paru dans la Verità d’hier illustre magistralement ce que sont ces valeurs (que Benoît XVI incarnait si bien, mais passons): Dieu (racines chrétiennes), famille, patrie… devenus malheureusement des gros mots dans l’ensemble du paysage politique dit « fréquentable » d’Occident.

Que cela vous plaise ou non toutes les droites populaires qui ont gagné ou sont en train de gagner sont une variation sur le thème Dieu, patrie, famille. Variation actualisée ou dégradée, vulgarisée ou modernisée, mais l’axe sur lequel tourne la droite dans le monde est celui-là.

La droite qui plaît à ces messieurs

Marcello Veneziani
La Verità, 26 juillet 2020
Ma traduction

Il ne se passe pas un jour sans qu’un chroniqueur, un corsivista [jargon journalistique: un journaliste qui parsème ses articles de caractères en italiques], un rédacteur de rubrique sur un grand journal ou dans ses périphéries alignées, ne fasse l’éloge de la bonne droite – qui n’existe pas. C’est une vieille histoire, qui est exacerbée chaque fois que dans notre pays ou dans le monde, la majorité des consensus vont à la droite, par définition mauvaise.
La connotation principale d’une bonne droite, répétons-le, est celle d’être une minorité, perdante, subordonnée à l’establishment et à la gauche, qui est son bras politico-idéologique; et ses meilleures références sont toujours des morts. Habituellement, les références positives que l’on parvient à pêcher parmi les vivants proviennent de la dernière expérience désastreuse de [Gianfranco] Fini et se trouvent aujourd’hui dans le PD. Curieux, non ?

Mais je ne veux pas me lancer sur le terrain de la petite politique, des cas personnels et des intérêts passagers, et avant de revenir au scénario politique actuel, à la droite à travers le monde, je vous demande : mais à votre avis, quel est le trait typique et général de la droite, ce qui la caractérise et la distingue, au niveau des principes et de la sensibilité populaire ? Cela me semble évident. Que cela vous plaise ou non toutes les droites populaires qui ont gagné ou sont en train de gagner sont une variation sur le thème Dieu, patrie, famille. Variation actualisée ou dégradée, vulgarisée ou modernisée, mais l’axe sur lequel tourne la droite dans le monde est celui-là. Après, il peut y avoir des droites plus laïques qui laissent la connotation religieuse en arrière-plan, d’autres qui atténuent l’aspect nationaliste ou d’autres qui adoucissent les droits civils. Le thème principal est la tradition, le sentiment commun, le réalisme combiné à la méritocratie; ensuite, les déclinaisons peuvent être conservatrices ou souverainistes, sociale-réformistes et même révolutionnaires-conservatrices.
Mais si vous regardez la réalité au lieu du cloaque de vos désirs, la droite, c’est cela, ce sont ses points fixes qui l’opposent à l’idéologie mondiale politiquement correcte.

Moi, une droite avec ces connotations ne me dérange pas, mais j’ai le souci inverse: ces thèmes sont trop grands, trop sensibles et touchent trop l’âme humaine pour les réduire à de la marchandise électorale, des slogans et des gestes vulgaires. Ils doivent donc être sauvés, ai-je écrit dans un livre intitulé justement Dio patria e famiglia, de leur banalisation instrumentale.

Mais mes pensées sont une chose et la réalité en est une autre : et chaque droite dans le monde, qui a conquis le consensus des peuples et le gouvernement, toujours détestée et délégitimée par ces messieurs, tourne autour de ces principes mis en route.

Dieu se traduit par la défense de la civilisation chrétienne et de ses valeurs, le sens religieux et le respect du sacré ; la patrie se traduit par la souveraineté nationale, l’éthique communautaire, le respect de la mémoire historique et l’amour patriotique ; la famille se traduit par la défense de la société naturelle, la priorité aux familles composées du père, de la mère et des enfants, la dénonciation de l’utilisation idéologique et pénale de la protection des homos, trans et ainsi de suite. C’est cela la droite, messieurs, la droite réelle. Ensuite, il y a des manières dignes et indignes de l’interpréter, vulgaires ou nobles, décentes ou grossières. Mais c’est là qu’intervient la mystification ou l’incompréhension de la « bonne droite ». Cet axe porteur disparaît dans les prescriptions de la bonne droite. Et les traductions de ces principes dans la réalité disparaissent:

La bonne droite de ces messieurs doit être génériquement libérale, libertaire, européiste au sens de cette UE, globale, modérément progressiste et moderne, répudiant les thèmes susmentionnés et leurs dérivations. Et elle doit accepter le statut de perdant. Une droite comme celle-là est pensée sur mesure pour l’establishment dans lequel ces messieurs s’insèrent. C’est l’opposition de Sa Majesté, obséquieuse au Canon Royal.

Or, le premier principe de toute droite, comme de toute gauche, est qu’elle doit plaire à ceux qui votent pour elle et s’y reconnaissent. Elle ne doit pas plaire à ceux qui ne voteront jamais pour elle ou qui sont de l’autre côté. Je ne rêverais jamais d’établir le périmètre dans lequel la gauche est bonne ou non; je peux la critiquer sévèrement ou non, mais la gauche est choisie par ceux qui la font et votent pour elle. C’est la base de la démocratie et de la liberté; vous ne pouvez pas prescrire le périmètre autorisé de la bonne droite. L’important, c’est qu’elle répudie la violence, l’intolérance et les tentations despotiques et totalitaires ; qui, comme on le sait historiquement, peuvent surgir aussi bien à droite qu’à gauche, ou dans un environnement technolibéral, anti-politique et même sanitaire (nous l’avons testé récemment).

J’ai un jugement différencié, parfois critique, sinon d’antipathie, à l’égard de certains leaders de droite gagnants, trumpiens ou trumpistes de chez nous: mais aux États-Unis comme en Grande-Bretagne, dans les pays de Visegrad comme dans d’autres grands pays de l’Est et au Brésil, le consensus populaire sur lequel se fondent ces expériences de gouvernement est sur cet axe.

Mais pour ces messieurs, le représentant idéal de la droite mondiale est ce faux philosophe nommé Francis Fukuyama qui a écrit des banalités cosmiques sur la fin de l’histoire et signe maintenant le manifeste de 150 intellectuels libéraux pour freiner le politiquement correct, et qui, interviewé par la Repubblica, ajoute trois notations : a) le politiquement correct est positif, il faut juste en limiter les excès sinon il favorise Trump ; b) lui, en Amérique, il vote progressiste, il vote pour Biden parce que la bonne droite le fait ; c) la troisième, ridicule : le politiquement correct naît en réaction à Trump, alors que nous savons tous – et il l’admet aussi – que Trump a gagné parce qu’il a réagi au politiquement correct. Au contraire, le philosophe-fonctionnaire inverse la séquence et attribue à Trump le mal contre lequel il a obtenu le consensus: c’est comme accuser l’autan parce qu’il y a trop de moustiques. Non, Fukù, il y a trop de moustiques et c’est pour cela que beaucoup de gens achètent l’autan.

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