Antonio Socci pose trois questions sur la « pandémie » qui prend résolument de jour en jour un visage terrifiant que nous n’imaginions pas il y a quatre mois: « y a-t-il eu (et y a-t-il) une utilisation politique de la peur par certaines élites gouvernementales? Et dans quel but? Ont-ils raison, ceux qui pensent qu’une gigantesque et inquiétante expérience politique est en cours? » (Avertissement aux allergiques au duo Attali-BHL, cités dans le titre: c’est pour la bonne cause).

L’utilisation politique de la peur
Ce qui se passe vraiment (Bernard Henri Lévy, Giorgio Agamben et Jacques Attali)

Antonio Socci
Libero, 3 août 2020
Ma traduction

La pandémie est un immense désastre pour tous les peuples. Mais y a-t-il eu (et y a-t-il) une utilisation politique de la peur par certaines élites gouvernementales? Et dans quel but? Ont-ils raison, ceux qui pensent qu’une gigantesque et inquiétante expérience politique est en cours?

Ce sont des penseurs « non alignés » qui en parlent, et ils sont immédiatement rejetés par le système médiatique comme « complotistes ». Mais parmi ceux qui constatent qu’il se passe quelque chose d’étrange, il y a aussi – par exemple – le penseur symbole de l’européisme mainstream, Bernard Henri Lévy, qui vient de publier un livre : « Ce virus qui rend fou« .

Lévy note à juste titre que l’épidémie de Covid n’était en aucun cas une nouveauté apocalyptique de nos années. Il rappelle la grippe de Hong Kong, « après mai 68 », qui a tué un million de personnes « par hémorragie pulmonaire ou asphyxie » ou, dix ans plus tôt, la grippe asiatique, également originaire de Chine, qui a tué deux millions de personnes.

Mais à l’époque, la panique planétaire d’aujourd’hui ne s’est pas produite. Lévy se dit « glacé », mais pas par la pandémie : par la « façon très étrange dont nous avons réagi cette fois », par « l’épidémie de peur qui s’est emparée du monde ».

En effet, « nous avons vu des villes du monde entier devenir des villes fantômes. Nous avons tous vu tout le monde, d’un bout à l’autre de la planète… des peuples entiers trembler et se faire traîner vers leurs maisons, parfois à coup de matraques, comme des animaux sauvages dans leur tanière ».

Lévy se demande si c’est « la victoire des sages du monde qui voient dans ce grand confinement – (…) le ‘grand internement’ théorisé par Michel Foucault dans les textes où il décrit les systèmes de pouvoir du futur – la répétition générale d’un nouveau type de détention et l’assignation à résidence des corps ». Ou si c’est « le contraire » autrement dit « le signe rassurant que le monde a changé, qu’il sacralise enfin la vie et qu’entre celle-ci et l’économie, il choisit la vie ».

La deuxième hypothèse me semble radicalement réfutée par de nombreux faits et données qui montrent comment la vie humaine dans le monde a totalement perdu son caractère sacré.

Il resterait la première, mais malheureusement Lévy ne l’analyse pas. Certes, il note que « c’est la première fois que nous avons vu tous les esprits critiques de la galaxie d’ultra-gauche applaudir à un état d’urgence« . Mais il s’arrête à la protestation contre la peur.

Il cite cependant au passage le philosophe italien Giorgio Agamben qui – étant de gauche – a déclenché le mécontentement et la controverse précisément à gauche car, réfléchissant sur les « conséquences éthiques et politiques » de la tempête, Covid a saisi « la transformation des paradigmes politiques que dessinent les mesures d’exception ».

Dans son livre « A che punto ne siamo?« , il évalue le Covid « dans une perspective historique plus large » et conclut que quelque chose d’important a été (et est) vécu.

Il écrit :

« Si les puissances qui gouvernent le monde ont décidé de prendre le prétexte d’une pandémie pour transformer de fond en comble les paradigmes de leur gouvernance des hommes et des choses, cela signifie que ces modèles étaient à leurs yeux en déclin progressif, inexorable et n’étaient plus adaptés aux nouveaux besoins (…) les puissances dominantes ont décidé d’abandonner sans regret les paradigmes des démocraties bourgeoises, avec leurs droits, leurs parlements et leurs constitutions, pour les remplacer par de nouveaux dispositifs dont on entrevoit à peine la conception, sans doute pas encore tout à fait claire ».

Peut-on vraiment utiliser politiquement « le prétexte d’une pandémie » ou Agamben exagère-t-il? En fait, il y a déjà quelques années, certains ont invité à « utiliser » une éventuelle pandémie à des fins politiques (évidemment, selon eux) louables.

En 2009 – alors qu’on redoutait la propagation de la grippe porcine – le célèbre économiste et technocrate français Jacques Attali, en analyste aiguisé, écrivit dans un article de « L’Express » : « L’histoire nous apprend que l’humanité n’évolue pas de manière significative, sauf lorsqu’elle a vraiment peur: alors elle met d’abord en jeu des mécanismes de défense, parfois intolérables (boucs émissaires et totalitarismes), parfois inutiles (distraction), parfois efficaces (stratégies thérapeutiques, rejetant si nécessaire tous les principes moraux antérieurs). Puis, une fois la crise passée, elle transforme ces mécanismes pour les rendre compatibles avec les libertés individuelles et les inclure dans une politique de santé démocratique. Cette première pandémie », a écrit Attali, « pourrait déclencher l’une de ces peurs structurelles.

En particulier, Attali, prévoyant la nécessité de régir « les mécanismes de prévention et de contrôle » pour « une distribution équitable des médicaments et des vaccins », écrivait: « Nous en viendrons donc, beaucoup plus vite que la seule raison économique ne l’aurait fait, à jeter les bases d’un véritable gouvernement mondial » et « en attendant, nous pourrons au moins espérer la mise en oeuvre d’une véritable politique européenne en la matière ».

En 2006, Attali avait publié « Une brève histoire de l’avenir » et déjà là, il aspirait à un « gouvernement mondial » qui marque la fin de l’hégémonie américaine et voyait « l’Union européenne à la pointe de l’hyperdémocratie ».

Mais son utopie avait les traits d’un sombre dystopie.

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