La vicissitude purement matérielle passée, ou du moins (nous l’espérons), le mal qui frappe le visage si beau de Benoît XVI en voie de guérison, un prêtre italien prend de la hauteur et nous en offre, à travers le blog d’AM Valli, une lecture métaphorique de toute beauté. C’est, dit-il « comme si le Sauveur nous obligeait à regarder, dans le visage marqué de son Vicaire, le visage de l’Épouse: désormais défigurée, muette, couverte de boue, violentée ».

Juillet 2009, Les Combes

Il n’est pas interdit d’imaginer qu’un homme d’une aussi profonde spiritualité que Benoît XVI a lui-même réfléchi à la signification de son mal.
A ce sujet, il me revient à l’esprit l’été 2009: alors qu’il était en vacances aux Combes, dans le Val d’Aoste, et travaillait dans la fièvre à son « Jésus de Nazareth », il avait fait une chute et s’était fracturé le poignet . Prenant congé de ses hôtes, au terme du séjour, il leur avait confié qu’il s’était demandé ce que le Seigneur voulait lui dire à travers cet accident: « Peut-être que le Seigneur voulait m’enseigner davantage de patience et d’humilité, me donner plus de temps pour la prière et la méditation« .
Cette fois, évidemment, c’est différent, mais il s’est certainement demandé aussi « ce que le Seigneur voulait m’enseigner »

Benoît XVI, nouveau prophète, qui porte sculptées dans son visage les plaies de l’Eglise

Aldo Maria Valli
5 août 2020
20 août 2020

L’érysipèle (du grec ερυσίπελας , peau rouge) est une infection cutanée aiguë, touchant le derme profond et en partie l’hypoderme, causée par des bactéries pyogènes ; le principal responsable est le streptocoque bêta-hémolytique du groupe A, mais il est provoqué parfois par le staphylocoque doré ou d’autres germes moins courants. Une bactérie pénètre dans la peau et l’infecte de l’intérieur. Au début, personne ne remarque sa présence, mais ensuite elle apparaît de plus en plus et répand son mal

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(extrait de Wikipedia).

Et ce discours sur la propagation des infections, affaire en soi banale et je dirais même ordinaire pour la médecine, éveille d’autres échos dans l’esprit des fidèles. Surtout, l’écho de saint Pie X autour du Modernisme : « Quiconque est infecté de quelque façon que ce soit par le Modernisme », où le binôme hérésie-infection vibre plus d’une fois dans l’encyclique Pascendi et dans le Magistère authentique de l’Église. Enseignements qui ont pour base les épîtres du Nouveau Testament, dans lesquelles l’histoire est lue comme une propagation du mal vers la fin des temps. Et enfin, la parole du Seigneur lui-même qui a fait de l’eschatologie, l’étape, l’avant-dernière mais incontournable, de l’humanité.

Et donc, quel rapport entre le pauvre Benoît XVI et cet entrelacement de maladies, d’abord physiques et ensuite spirituelles, là personnelles et ici historiques ?

Il y a un grand rapport, car d’une certaine manière, la fuite de nouvelles sur l’érysipèle qui l’aurait frappé au visage peut nous amener à le voir comme un nouveau prophète, un de ceux durs, antiques, qui portaient en eux le message destiné à l’humanité et que l’humanité ne voulait pas écouter.

Comme le joug que portait Jérémie, et que son adversaire Ananias tenta de briser dans une tentative impie de censurer l’infortune divine. Jérémie voulait porter le joug de la bête sur lui-même, pour rappeler au peuple d’Israël le destin de servitude auquel l’apostasie le conduisait (Jérémie 27, 2-3).

Comme la vocation qu’Osée accepta et qui le conduisit à épouser une femme infidèle, pour montrer à tous le degré d’amour divin, fidèle à nous malgré nos trahisons explicites et tacites: « Lorsque le Seigneur commença à parler à Osée, il lui dit: ‘Va, prends une putain pour épouse, engendre des enfants de la prostitution, car la terre ne se prostitue qu’en se détournant du Seigneur' »(Os 1, 2).

Il en est ainsi de Benoît XVI, désigné prophète par son rang pontifical même – qui plus que le Grand Prêtre nommé sur terre peut se vanter de se tenir devant le Très-Haut ? – mais prophète doublement pour avoir vraiment assumé la tâche de dire la Parole divine au monde, sans se soucier de caresser aucune oreille et se retrouvant ainsi importun à tous. Prophète de la conversion, qui avait invité l’Eglise à trouver une joie, mais une joie plus sobre, plus authentiquement chrétienne, plus humble. Aussi loin des drames apocalyptiques d’un certain conservatisme, que du faste naïf et irresponsable du progressisme désormais triomphant : « Même aujourd’hui, nous sommes heureux, nous apportons de la joie dans nos cœurs, mais je dirais une joie peut-être plus sobre, une humble joie ».

Resté inécouté – en font foi le traitement subi ces dernières années et l’oubli dans lequel ses enseignements sont tombés – Benoît XVI a choisi d’exprimer par sa vie le message le plus élevé. Dans son renoncement, dans son être au centre du monde catholique (au Vatican) et pourtant isolé et muet, Benoît XVI a incarné la présence divine à notre époque. Pas un Dieu muet, mais un Dieu écarté, mis de côté, dérangeant, ignoré. Comme divinité, la Pachamama est certainement moins dérangeante pour nous, semblent dire aujourd’hui certains prélats et de nombreux fidèles. Nouveau Jérémie, nouvel Osée, vrai prophète : Benoît XVI révèle par sa vie la relation entre Dieu et le monde à l’époque contemporaine.

Et maintenant, l’érysipèle. Le visage enflammé. Et que de choses signifie ce visage! Il suffit de relire la réflexion de Levinas, offrant quelques suggestions et rappelant la grandeur du thème :

La nudité absolue du visage, ce visage absolument sans défense, sans écran, sans vêtement, sans masque, est pourtant ce qui s’oppose à mon pouvoir sur lui, à ma violence, ce qui s’y oppose de façon absolue, avec une opposition qui est une opposition en soi. L’être qui s’exprime, l’être qui est devant moi, me dit non avec son expression. Ce non n’est pas simplement formel, mais ce n’est pas non plus le non d’une force hostile ou d’une menace; c’est l’impossibilité de tuer celui qui présente ce visage… Le visage est, pour un être, le fait de s’engager non pas à l’indicatif mais à l’impératif, et donc d’être extérieur à toute catégorie ».

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E. Lévinas – A. Peperzak, L’éthique comme philosophie première

Comme cette intuition du visage s’accorde avec le visage de Benoît XVI, avec sa mission, avec sa souffrance actuelle! Nu et impuissant dès son élection pontificale, dans le besoin de se protéger des loups voraces ; puis dépouillé de l’habit et de du rôle, presque un cas unique dans l’histoire du Trône le plus haut. Et en même temps inamovible et dérangeant dans son silence. S’opposant sans hostilité. Dur, comme il est dur de reconnaître que la Vérité ne peut jamais vraiment être mise à la porte. Urticant comme le visage du Sauveur qui fut frappé alors qu’il n’avait rien exprimé de mal (« Si j’ai mal parlé, montre-moi où est le mal ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me bats-tu? » Jean 18.23). Tel fut Benoît XVI pour le monde contemporain et pour les phalanges du modernisme qui bouillonnent aujourd’hui dans la Catholica.

Il est un tel témoin qu’il se sacrifie, comme une offrande symbolique extrême, dans le mal de l’érysipèle. Je veux y voir une dernière prophétie, donnée par le Christ lui-même. Presque comme si le Sauveur nous obligeait à regarder, dans le visage marqué de son Vicaire, le visage de l’Épouse: désormais défigurée, muette, couverte de boue, violée. Et qu’il nous demandait de prendre conscience de l’heure, du kairos dans lequel nous nous trouvons. L’heure de l’outrage au visage, de l’infamie, de la honte. Mais aussi l’heure de la plus grande intolérance envers l’impératif chrétien dont témoigne au monde la vie même, sic et simpliciter, de la minorité des vrais fidèles, bien que muette et isolée.

Comme dans un miroir, le visage du Pasteur et celui de l’Épouse sont rappelés, et avec eux le destin du Messie dans l’histoire. Méprisés par le monde, souvent reniés et trahis par les baptisés eux-mêmes, toujours sobres et humbles. Si beaux bien que tuméfiés et étouffée par le mal.

Bien sûr, quand on cherche des interprétations, on peut dire tout et le contraire de tout. Il en est ainsi de la douleur qui frappe Benoît XVI. C’est d’ailleurs là que se trouve le nœud du défi entre Elie et les prophètes de Baal, ou entre Jérémie et Ananias déjà mentionnés. Ni l’homme ni Dieu ne semblent destinés à le gagner toujours, et même dans la Bible, les épisodes dont le contexte historique est le moins bien connu sont les seuls dans lesquels les vrais prophètes triomphent ; plus on s’approche des événements historiquement crédibles, plus on constate la défaite des saints. C’est le cas de Jérémie, mais plus encore du seul prophète de Dieu: Jésus-Christ! Et ainsi soit-il, je préfère risquer et déposer mes prières devant cette âme victime, Benoît XVI, qui est encore le guide spirituel et la mère de l’Église, et qui prend sur lui les labeurs, les rébellions, les fuites, le vide, le mal, la défiguration, l’incendie et l’étouffement, le dégoût et l’abandon. Et si je me trompe, ce sera une douce errance, aux pieds d’un Pontife qui nous a toujours communiqué, en fait plus que par des slogans, la douceur et l’humilité du Christ Seigneur.

Grâce à son intercession, je me rétablis encore. Et pour lui, je prie, sachant que la prière adressée au Saint-Père est une prière adressée à toute l’Église. Et sachant que dans le Vicaire on voit d’avance la présence du Seigneur, je ne peux que faire miennes les rimes d’une petite grande sainte, elle aussi missionnaire dans la clandestinité, avec elles je me tourne vers le Sauveur, mais en elles j’entends prier pour toute l’Eglise, à commencer par les maux qui affligent son Souverain Pontife :

[L’article se conclut par la « Prière à la sainte Face » de Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus – en français ICI]

Don Marco Begato

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