Si l’expression « deep state » n’avait pas, par la force de l’évidence, une conotation si profondément négative, le « hidden Vatican » tel que le décrit Andrea Gagliarducci dans cette remarquable analyse datant de 2015 serait son équivalent religieux. Ce sont ces saints prêtres et laïcs dévoués qui, dans l’ombre, font tourner la machine, en particulier dans les instances internationales et grâce auxquels la papauté reste sur les bons rails, quels que soient l’homme qui occupe le Siège de Pierre et le « cercle magique » qui s’agite autour de lui.

Mgr Ivan Jurkovic, observateur permanent du Saint-Siège à l’Onu

[Le hidden Vatican, c’est « le Vatican fait de prêtres et de fonctionnaires compétents, qui ne veulent rien d’autre que servir l’institution. Ils sont là, ils se déplacent sur la pointe des pieds, et ils se retrouvent aux prises avec des patrons qui viennent de mondes différents, ne parlent pas la langue du Vatican, et n’y restent que cinq ans ».

.

Andrea Gagliarducci,
Comment le Pape François change l’institution ,
11 août 2020

Derrière le pape François : Un Vatican caché

Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
2 mars 2015
Ma traduction

Négligé par les médias, il y a un Vatican caché qui travaille inlassablement à la promotion de l’être humain. C’est le Vatican de la diplomatie, le Vatican qui siège aux conférences internationales et qui est médiateur pour la paix, le Vatican qui use de son poids et de son influence pour favoriser la défense de chaque être humain. Ce Vatican n’apparaît pas dans l’actualité, apparemment parce qu’il est difficile d’en parler. Mais le vrai problème est peut-être plus profond : même les personnes qui travaillent au Vatican n’en sont pas vraiment conscientes.
Un aperçu de ce Vatican caché a été donné le 20 février [2015] lors de la présentation d’un livre sur Giorgio Filibeck. Filibeck était un expert en droit international, un laïc qui a servi pendant près de 40 ans comme fonctionnaire du Conseil pontifical pour la justice et la paix. Le livre – intitulé « Giorgio Filibeck. Un’uomo per i diritti » (un homme pour les droits) et publié par la maison d’édition du Vatican – rassemble les contributions de personnes ayant travaillé avec Filibeck, et est édité par Tommaso Di Ruzza, actuellement directeur de l’Autorité d’information financière. Di Ruzza est entré au service du Saint-Siège il y a dix ans, remplaçant Filibeck au Conseil pontifical pour la justice et la paix.

Guido Raimondi, juge à la Cour européenne des droits de l’homme, est l’un des collaborateurs de l’ouvrage. En présentant le livre, il a rappelé que Filibeck avait rédigé, soutenu et promu la Recommandation n° 3 (2000) du Conseil de l’Europe sur le droit à la satisfaction des besoins matériels élémentaires des personnes en situation d’extrême difficulté.

« La recommandation a été accueillie favorablement en vertu de la doctrine juridique qui souligne que la misère et l’exclusion sociale qui en résulte et qui compromet la dignité humaine ne peuvent être niées ni ignorées », a souligné M. Raimondi.

Raimondi a affirmé que Filibeck s’est inspiré d’un jugement de 1951 du Tribunal fédéral suisse en proposant un instrument juridique visant à garantir les besoins matériels fondamentaux de chaque être humain. Cela signifie « établir le droit de chacun – qu’il soit légalement reconnu ou non – à ne pas être laissé pour mort à cause de la faim, du froid ou du manque de biens de première nécessité », a déclaré Raimondi.

La recommandation a été acceptée en 2000, après quatre ans de discussions. Elle a représenté l’un des jalons de l’histoire du Conseil de l’Europe.

Ce n’est que l’un des nombreux points que le Saint-Siège a ajouté aux résolutions, documents internationaux et conférences diplomatiques dans son effort pour servir le bien commun. Ce travail inlassable n’est jamais reconnu à l’extérieur. Il n’est pas non plus reconnu au sein du Saint-Siège.

Néanmoins, la réforme tant débattue de la Curie romaine devrait être basée sur une évaluation complète et précise du travail du Saint-Siège. La rationalisation des structures et la mise en œuvre de la subsidiarité dans l’administration peuvent résoudre de nombreux problèmes d’organisation. Un gel des embauches pourrait résoudre le problème des coûts. Mais le vrai problème est qu’une vision globale semble faire défaut.

Actuellement, de nombreux dicastères du Vatican font parler d’eux en organisant des activités dans le but d’avoir un impact médiatique qui les distingue. Par exemple, une source vaticane a noté que les 24 heures d’adoration organisées par le Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation sont louables, mais ce n’est pas le genre d’activité qui devrait être confiée à un Conseil pontifical. Ce sont les paroisses qui devraient être chargées de l’organisation de ces activités, tandis que les Conseils pontificaux devraient être appelés à fournir une vision générale et éventuellement à superviser les activités. Comme les dicastères du Vatican sont devenus de moins en moins prophétiques dans leur vision, en partie parce qu’ils ont repris les activités des paroisses, la pensée de l’Église n’a pas réussi à avoir un impact global dans le monde.

C’est l’un des sujets brûlants qui ont conduit aux discussions sur la réforme curiale. A-t-on besoin des dicastères du Vatican? Comment s’acquittent-ils de leurs tâches ? Quelle est leur utilité générale ?

Les réponses à ces questions sont pour la plupart pragmatiques – parfois la réforme curiale semble surtout cosmétique : les noms des dicastères sont changés, mais cela n’améliore pas leur fonctionnement. Un manque général de vision globale entrave la formation d’un cadre solide pour la réforme.

Certains observateurs ont remarqué que « les propositions de réforme manquent de cohérence. Une personne dotée de bon sens aurait pu mieux les rédiger ».

Ce problème est lié à l’un des effets du pontificat du pape François : plus qu’une vision générale unifiée, ce que nous trouvons, ce sont surtout des visions particulières. Et – au milieu de la guerre des gangs (gang war) actuelle – tout le monde veut mettre la main sur le Vatican.

Il faut bien comprendre que ce n’est pas quelque chose qui s’est produit seulement pendant le pontificat du pape François. Tous les autres pontificats – sans exception – en ont fait l’expérience. Il est cependant paradoxal que la poursuite d’intérêts particuliers, et leurs conséquences, se soient multipliées sous le pape François.

François a toujours soutenu qu’il n’avait pas de programme pour l’Église ; néanmoins, il a involontairement [ndt: ???] aidé beaucoup d’autres à mettre en avant leurs propres programmes, et à les cacher derrière son dos. Derrière une papauté décrite comme « révolutionnaire » ou « purificatrice », la même vieille guerre des gangs se poursuit aujourd’hui. Cette guerre des gangs faisait déjà l’objet de discussions lors des réunions pré-conclaves, et le nouveau pape a été chargé de faire avancer une réforme pour y mettre fin. Pour l’instant, le pape François n’a pas encore réussi.

En attendant, le « Vatican caché » continue à travailler au nom de l’humanité. La vie de Giorgio Filibeck en est la preuve. Filibeck a consacré toute sa vie à promouvoir les droits de l’homme et à expliquer au monde que l’Église n’est pas opposée à ces droits, mais qu’elle les promeut. L’histoire de sa vie, qui n’a pas été racontée, et ce que ce livre de souvenirs nous révèle un peu, n’est qu’une des nombreuses vies du Vatican qui méritent d’être racontées, de personnes qui se sont consacrées à cette institution et qui ont su la réformer, étape par étape. Ces serviteurs du Saint-Siège n’ont jamais prétendu entreprendre une révolution, mais ils n’ont jamais non plus reculé devant les réformes nécessaires.

Ce sont des individus comme eux qui ont conduit le Vatican à devenir un État doté d’un code pénal moderne, d’une loi financière qui surpasse celle des autres États, avec une solide crédibilité internationale. Malheureusement, leurs histoires ne sont pas des hard news; elles font partie du Vatican caché. Ce Vatican caché doit être pris en compte lorsque l’on parle de réforme curiale. Sinon, le Vatican restera soumis aux attaques de ceux qui veulent en prendre le contrôle de l’extérieur, ou pire, il sera à la merci de ceux qui veulent porter atteinte à sa souveraineté.

Share This