Aldo Maria Valli vient de co-signer avec Aurelio Porfiri (*) un livre de dialogues dont le titre en français est « Décadence: mots d’ordre de l’Eglise post-conciliaire » . Je ne l’ai pas encore lu, et je doute, malheureusement, que l’ouvrage sera traduit en français, mais beaucoup de catholiques se reconnaîtront dans l’aperçu qu’en donne ici Valli : il me semble que, par son sujet, en plus de démystifier l’Eglise « en sortie » claironnée avec l’avènement de François – et misérablement naufragée sur les rivages boueux du Covid – il pourrait éclairer utilement le débat sur les suites du Concile qui fait rage en ce moment dans l’Eglise. Comme le livre est enrichi d’une préface de Marcello Veneziani, je ne pouvais pas ne pas en parler ici.

« Deux catholiques vrais, convaincus et pratiquants, tissent un dialogue dense, avec peu de divergences et beaucoup de convergences, sur l’état de la foi et du christianisme, de l’Église et des catholiques à notre époque ».

Voilà ce qu’écrit Marcello Veneziani dans sa présentation de Decadenza. Le parole d’ordine della Chiesa postconciliare, le livre que j’ai consacré avec Aurelio Porfiri à dix mots que l’Eglise catholique a mis au centre de sa prédication et de son enseignement depuis le Concile Vatican II, avec une attention particulière à certains mots privilégiés par le Magistère de François. Les dix mots sont : dialogue, pastorale, synodalité, ponts, autoréférentiel, fragilité, miséricorde, œcuménisme, discernement, périphéries.

Je remercie Veneziani de m’avoir qualifié de catholique convaincu. Il est certain que l’étiquelle s’applique à mon ami Aurelio. Quant à moi, je ne me sens qu’un pauvre chrétien quelque peu perplexe face à la dérive rapide de l’Église catholique dans un sens protestant, néo-païen et relativiste. C’est précisément de cette désorientation qu’est né le livre avec Aurelio, un duo à l’instar de celui déjà réalisé avec Sradicati, quei Dialoghi sulla Chiesa liquida [Déracinés, ces Dialogues sur l’Eglise liquide] qui ont eu une certaine résonance, méritant même la traduction en anglais (Unrooted. Dialogue on the Liquid Church).

Résumant le status quaestionis Veneziani écrit:

« C’est comme si l’Eglise du temps de Bergoglio était sur la croix: en haut, clouée par la perte de la vérité et l’oubli de Dieu, en bas par sa réduction à l’aide humanitaire et à un centre d’accueil; sur les côtés, transpercée d’une part par l’abandon à la culture protestante et d’autre part par l’ouverture unilatérale au dialogue avec l’Islam. A ce croisement, l’Eglise perd sa lumière, son aura et ses fidèles. Les églises sont vidées, le message chrétien perd de sa force, il se confond avec l’esprit du monde et des organisations humanitaires ».

Voilà donc le sentiment de décadence qui, chez deux catholiques comme Aurelio et moi-même, se traduit parfois par un profond découragement et, chez d’autres, par le désir de lutter pour que le patrimoine de sagesse, de beauté et de sainteté qu’est l’Église catholique ne soit pas complètement perdu, vendu au désir insensé de plaire au monde en mettant l’homme à la place de Dieu.

Veneziani notent à juste titre que le livre (exceptionnellement volumineux, 318 pages, pour nos habitudes) est veiné d’un grand amour de la tradition, comprise non pas comme immobilité, mais comme fidélité à ce qui compte et qui ne peut tout simplement pas être changé, car le changement équivaut à l’effondrement et à la trahison. En réalité, tous deux (je pense que je peux aussi parler au nom de Porfiri), nous ne sommes pas des traditionalistes au sens strict du terme (pour ce que peuvent valoir ces définitions). Nous sommes simplement des catholiques qui, bien qu’ayant été élevés dans l’Église post-conciliaire, ont progressivement ouvert les yeux sur certaines folies présentées comme un renouveau.

Je dois avouer qu’Aurélio et moi avons apprécié le travail de démantèlement de certains mots-talismans dont les paladins des différents progressismes et modernismes ont la bouche pleine. C’était un peu comme un jeu de constructions, mais à l’envers. Nous avons commencé avec le mot et, brique par brique, nous l’avons réduit en poussière. Comme il le méritait.

Veneziani dit :

« Nous sommes très vite passés d’une Église qui mettait au centre le Mystère, la Résurrection et l’Immortalité à une Église qui ne fait que parler de solidarité, de fraternité (rappelons l’arrivée imminente d’une encyclique de François) et de rédemption dans un sens social. Et il y a aussi la prétention de justifier l’opération comme une récupération des origines. Une mystification qui se joue sur le plan idéologique ».

Comment est-il possible de ne pas voir, de ne pas réagir ?

Veneziani observe que « la décadence n’est pas encore la mort et peut-être, avec l’aide de la Providence, est-elle réversible, comme les saisons ». C’est certainement le cas, et si le Seigneur nous envoie cette épreuve, c’est pour notre bien, aussi douloureux soit-il. Dans la décadence, il y a aussi une composante de purification. C’est pourquoi je pense pouvoir dire qu’aussi douloureux soit-il, le livre que j’ai écrit avec mon ami Aurelio est exempt de tout symptôme de désespoir. De l’amertume, oui, voire un certain découragement. Mais jamais d’angoisse.

Veneziani observe que « nous vivons l’automne de la chrétienté, l’hiver de l’Eglise catholique ». Mais le printemps viendra et ce ne sera pas le printemps imaginé au moment du Concile, quand les germes de l’humanitarisme et du relativisme (inoculés par certains par malveillance, par d’autres par naïveté) ont fait perdre leurs repères à beaucoup de pasteurs et de laïcs. Ce sera une belle surprise.

À la fin de la conversation avec Aurelio, je fais deux citations: d’une part Don Divo Barsotti qui médite sur la mort, de l’autre Celentano qui, dans sa célèbre chanson Azzurro, chante : « Maintenant je m’ennuie plus qu’avant, même pas un prêtre pour bavarder ».
Voilà le problème, même pas un prêtre pour bavarder. Le problème est là: où trouver un prêtre si vous voulez parler de la mort, du destin éternel de l’âme, de la résurrection des corps, du jugement divin, du péché ? Vous en trouverez beaucoup, au contraire, si vous voulez parler d’écologie, de solidarité, d’humanitarisme, de fraternité. Et nous, cela ne nous plaît pas.

Mais sursum corda ! Portae inferi non praevalebunt !

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