Dans notre société hygiéniste et fermée à la verticalité, la mort est le seul sujet qui reste vraiment tabou (et je n’ai aucune leçon à faire à quiconque sur le sujet!), car elle concerne la partie la plus intime de notre être. Mais parler de se préparer à la mort ne veut nullement dire être mourant. Et Benoît XVI avait abordé le sujet très librement avec Peter Seewald dans son dernier livre d’entretiens. Aujourd’hui, les nouvelles inquiétantes sur la santé du Pape émérite ont donné aux médias une occasion de plus de se comporter comme des chacals, en titrant généralement sur le fait qu’il serait à la dernière extrémité – ce dont nous ne savons rien, et qui n’est sans doute pas vrai. Voici à ce sujet un très bel article paru sur le site Aletéia en langue italienne le 27 août, jour de la fête liturgique de sainte Monique, la mère de saint Augustin.

Voilà comment Benoît XVI s’imagine l’au-delà

Giovanni Marcotullio
27 août 2020
it.aleteia.org
Ma traduction

« Je prierai Dieu d’être indulgent avec ma misère », a dit le pape émérite dans les « Dernières conversations » avec Peter Seewald : il y a une page que ceux qui se demandent ce que signifie le fait que Benoît XVI « se prépare à la mort » pourraient relire avec profit.

Alors, comment va Benoît XVI ?
Il semble qu’il ait eu le « feu de saint Antoine » (le zona, ndt) et qu’il l’ait surmonté. Certaines photos le montrent certes affaibli mais pas en fin de vie. Il est vrai aussi qu’à son âge, la mort se contente de n’importe quel prétexte, pour arriver… (mais qui parmi nous, après tout, peut être sur le matin de parvenir au soir et le soir de se réveiller le matin ?) C’est donc vrai qu’il est mourant ?

C’est vrai – c’est même très vrai – qu’il se prépare à mourir.

Mgr Georg Gänswein l’avait dit il y a quelque temps, et comme nous le savons, les secrétaires sont appelées ainsi parce qu’ils gardent des secrets, et non parce qu’ils les divulguent: que Benoît XVI se prépare à mourir, il l’avait dit lui-même, et s’était arrêté un moment pour expliquer ce qu’il voulait dire lors de ses dernières conversations avec son ami journaliste Peter Seewald.

C’est dans le premier chapitre du livre – Jours tranquilles à Mater Ecclesiæ – que le journaliste interrogeait le pape émérite sur sa vie monastique « dans l’enclos de Pierre », et donc sur ses activités quotidiennes. Après avoir abordé le thème de l’écriture et de la prédication, et après une allusion à la rédaction du testament final, est venue la question funeste: « Un pape émérite a-t-il aussi peur de la mort ? Ou au moins de mourir? ».
Et la réponse mérite d’être rapportée dans son intégralité :

D’une certaine manière, oui. En premier lieu, il y a la crainte d’être un fardeau pour les autres en raison d’un long handicap. Je trouverais cela très triste. Mon père l’a toujours craint, lui aussi, mais il a été épargné. Ensuite, même avec toute la confiance que j’ai dans le fait que le bon Dieu ne peut pas m’abandonner, plus le moment de voir son visage se rapproche, plus la perception de combien de choses mauvaises on a faites est forte. On se sent donc accablé par le fardeau de la culpabilité, même si, bien sûr, la confiance sous-jacente ne fait jamais défaut.

A Seewald qui le pressait alors, lui demandant ce qu’il dira au Tout-Puissant lorsqu’il sera face à face avec lui, le Pape émérite répondait:

Je le prierai d’être indulgent avec ma misère.

La question « comment t’imagines-tu l’au-delà », nous la poserions à n’importe qui dans une conversation – étant donné que le but de la mort est l’un des très rares auxquels nous sommes tous vraiment destinés – mais d’autant plus à l’un des plus grands théologiens des XXe et XXIe siècles, qui a consacré toute son existence à contempler et à enquêter sur le Mystère de Dieu.
Voici la réponse de Benoît XVI à Seewald:

Il y a plusieurs niveaux, en premier lieu le niveau le plus théologique. Ici, les paroles de Saint Augustin sont d’une grande consolation et font beaucoup réfléchir. En commentant le psaume « Cherche toujours sa face » [Ps 104, NDLR], il dit : « Ce ‘toujours’ vaut pour l’éternité ». Dieu est si grand que nous ne finissons jamais de le connaître. Il est toujours nouveau. Pour nous, c’est un mouvement continu et infini, une découverte et une joie toujours nouvelles. Voilà pour les réflexions théologiques. En même temps, il y a le côté complètement humain, qui fait que je me réjouis de revoir mes parents, mes frères et sœurs, mes amis réunis à nouveau et d’imaginer que ce sera aussi beau qu’avant à la maison.

Aujourd’hui, nous rappelons la mémoire de Sainte Monique, et l’Office des Lectures propose la belle page augustinienne des Conf. IX,10,11, où se trouvent, entre autres, ces deux courts paragraphes:

Au cours de sa maladie, un jour, elle s’est évanouie et a perdu connaissance pendant un certain temps. Nous nous sommes précipités, mais elle a rapidement repris conscience, nous a regardés, mon frère et moi, debout près d’elle, et a dit, comme si elle cherchait quelque chose: « Où étais-je? »
Puis, nous voyant affligés par le chagrin, elle a dit: « Vous enterrerez votre mère ici ». Je me suis tu avec un nœud à la gorge et j’ai essayé de retenir les larmes. Mon frère, par contre, a dit quelques mots pour exprimer son souhait de la voir fermer les yeux dans sa patrie et non dans un pays étranger. En l’entendant, elle a hoché la tête en signe de désapprobation. Puis, se tournant vers moi, elle m’a dit: « Tu entends ce qu’il dit? » Et peu après, à tous deux : « Vous enterrerez ce corps », a-t-elle dit, « où vous voulez; je ne veux pas que vous vous donniez de la peine. Je vous prie seulement de vous souvenir de moi sur l’autel du Seigneur, où que vous soyez ».

Il est certain qu’Augustin et Monique seront pour Benoît XVI parmi les amis proches qu’il aura la joie de rencontrer au Ciel, ayant été leurs compagnons de parole dans des décennies de méditation de l’homme qui est aujourd’hui le Pape émérite. Deux choses m’ont frappé ce matin, et j’aime à penser que le blanc locataire de Mater Ecclesiæ y a également prêté attention :

  • malgré la latinité bien-aimée, malgré l’éducation et les expériences positives en Italie, malgré l’édit de Caracalla, etc… cette famille de numides ne se sentait pas « chez elle » à Ostie ;
  • au fils qui lui parlait d’une « patrie », qui ne pouvait cependant pas être le port de Rome, Monique a réfuté qu’elle se souciait plutôt de leur mémoire constante « sur l’autel du Seigneur », partout dans le monde, et il me semble voir dans ce testament spirituel – déposé dans le cœur d’Augustin, à trente-trois ans – la graine de certains aspects de la théologie politique qui fleuriront dans De civitate Dei.


D’ailleurs, la Lettre à Diognète l’avait déjà dit, qui présentait les chrétiens à son ami païen en ces termes:

Ils vivent dans leur patrie, mais comme des étrangers ; ils participent à tout comme des citoyens et sont détachés de tout comme des trangers. Toute patrie étrangère est leur patrie, et toute patrie est étrangère. […] Ils vivent sur terre, mais ils ont leur citoyenneté au ciel.

Plus de deux siècles plus tard, Augustin fera de ce manifeste l’une des lignes directrices de sa « grande et difficile oeuvre », dans laquelle l’évêque d’Hippone consigne au millénaire le projet d’une humanité capable de vivre en accord mais sans faire confiance aux promesses d’un quelconque Empire: le carburant de cette cité- la Cité de Dieu – est le sacrement de l’amour, que le culte chrétien délivre en permanence par l’Eucharistie et par d’autres sacrements, et pour lequel il est donné à chacun de reconnaître (selon les mots du jeune Orosius) « partout ma patrie, partout ma loi et ma religion ».

Share This