Le philosophe Martin Steffens a accordé une longue interview à « Famille Chrétienne« , où il aborde le sujet crucial de cette rentrée 2020, le port obligatoire du masque. Il en balaie tous les aspects, politique, sociologique, moral, religieux et même pratique, et c’est passionnant. A lire sans faute, pour ne pas mourir (de covid…) idiots.

Le philosophe catholique Martin Steffens (son nom a attiré mon attention, car je l’ai eu brièvement comme collègue en prépa dans un lycée Lorrain) a accordé une longue interview à « Famille Chrétienne« , que l’on retrouvera en intégralité sur le site Belgicatho . Le sujet: le port du masque. Un sujet qui devrait se retrouver tout en haut des titres, mais dont on essaie de détourner notre attention en parlant d’autre chose (car évidemment, ce dont l’histoire se rappellera de cet étrange et terrifiant été 2020, ce n’est pas le « plan de relance de l’économie » claironné par les médias, ou les « petites phrases » d’un ministre de l’intérieur sur l' »ensauvagement », voire les états d’âme du président de la république, mais bel et bien ce fichu morceau de tissu).

Il aborde le sujet sous tous les angles, politique, sociologique, moral, religieux et même pratique.

Lorsqu’il dénonce le port obligatoire du masque à l’école pour les enfants, plus que le professeur – qui s’adresse à un public de jeunes adultes – , c’est le père de famille qui parle, et qui s’indigne, à l’instar de nombreux parents.

Pour les enfants, suivre six heures de cours avec un masque, c’est terrible. Le philosophe italien Giorgio Agamben dit que le camp de concentration est le modèle de la gestion des corps dans nos démocraties. Ce propos, choquant, trouve dans les mesures sanitaires imposées à nos enfants une terrible illustration. Pourquoi se soucie-t-on si peu de la violence qu’on leur inflige ?
(…)
Dans l’ordre de la vie, [les plus fragiles], ce sont d’abord les enfants. Est-ce qu’on a le droit de leur imposer ce discours permanent de la peur, puis ce masque qui en est le symbole ? On peut bien leur parler d’accueil et de tolérance en classe, mais on les élève dans une société organisée autour d’hygiène, de la peur de la mort et de la méfiance. L’humanité de nos enfants est une chose fragile autant que précieuse, qui ne croît pas dans n’importe quelles conditions.

Sur l’aspect politique de la mesure, il ne craint pas d’affirmer:

Quand une décision politique concerne toute la population, il doit y avoir une réflexion libre, donc critique. Problématiser la généralisation du masque est un devoir citoyen.

et il n’a pas peur non plus d’utiliser un mot chargé d’un poids symbolique très lourd, « dictature« , en posant la question:

Sur le plan politique, on doit se demander par exemple quel est le statut légal de ces mesures. Est-ce un décret ? L’état d’urgence, dont on est censé être sorti, est en toute rigueur de termes ce qu’on appelle une dictature, c’est-à-dire la délégation, normalement temporaire, de toutes les décisions au seul gouvernement. Or la dictature n’est ni un état politique normal, ni donc quelque chose à quoi s’habituer.

A la journaliste qui lui demande comment on peut réagir à « une telle inflation de mesures sanitaires », il répond en renvoyant dos à dos deux attitudes selon lui peu pertinentes:

On peut être tétanisé par la peur, peur d’être infecté et d’infecter et ne pas oser dire son malaise. Se taire et se terrer…
On peut aussi faire le malin. Snober la peur des autres. Or nous ne pouvons pas mépriser la mort. Même les chrétiens ont peur de la mort, comme Jésus à Gethsémani. Mais ils ont plus peur encore de ne pas vivre ce qu’il y a à vivre quand on est humain. Si Jésus s’était arrêté à Gethsémani, il n’y aurait certes pas eu la Passion, mais non plus la Résurrection.

Il rejette également la posture d’indignation, qu’il qualifie d’injuste:

Nous avons les chefs que nous méritons, ils ont la puissance que nous leur donnons. Ce sont les Français eux-mêmes qui ont réclamé des masques, qui ont demandé à être protégés. De même, j’entendais un intellectuel, athée militant, s’indigner : un membre de sa famille, mort du Covid, avait été « mis dans un sac poubelle », puis incinéré après une cérémonie expéditive à suivre un réseau social. Que fait l’Église catholique, demandait-il, en rappelant que c’est l’attachement aux formes symboliques qui fait l’homme. Or cet homme a toujours combattu et méprisé le rite chrétien et ses dogmes. Ce qui lui arrivait de terrible, c’est qu’il avait gagné. Il obtenait en retour le traitement du déchet humain.
Ainsi, au lieu de s’indigner, demandons-nous aussi si nous n’avons pas voulu ce qui nous arrive…

Il n’est pas tendre avec l’Eglise, et je pense que beaucoup de catholiques sincères se reconnaîtront dans ses propos:

Le zèle de l’Église est encore plus violent que le zèle à l’école : le saint chrême au bout d’un coton-tige, des billets avec QR-code pour réserver sa place à la messe, des flèches au ruban adhésif sur le sol… La dernière fois que je suis allé à la messe, le distributeur de désinfectant était dans le bénitier. Le prêtre nous parlait des consignes de façon infantilisante.

A la question de la journaliste, qui s’inquiète d’une dérive totalitaire de nos sociétés, il répond:

On s’imagine le totalitarisme avec des bottes battant le pavé, parce que nous viennent les images de la guerre 39-45. Mais dans son fonctionnement normal, le totalitarisme repose sur un État souvent faible, incapable d’assurer la sécurité intérieure, mais omniprésent, incirconscrit dans ses missions, s’occupant de tout et de rien. (…) on croit que le totalitarisme vient d’en-haut alors qu’il repose sur le zèle de quelques-uns et la peur collective.

Dans l’échange final, son interlocutrice lui demande comment faire pour résister à cette tentation totalitaire. Et il répond, en toute humilité:

Je ne sais pas. Pas par des coups d’éclat. Polyeucte en détruisant les idoles va au-devant du martyre. Nous sommes pour l’heure appelés à une autre forme de résistance. Je pense à un ami prêtre qui, depuis la reprise des messes, n’a jamais parlé du Covid dans son église. Surtout ne pas en rajouter. Dans la préface de mon prochain livre, Marcher la nuit, je rappelle que les grands régimes totalitaires s’effondrent par la somme des non-consentements individuels. Chacun faisait un peu moins bien sa tâche. Les régimes ont besoin de cœurs de pierre façonnés par la peur, la haine, l’endurcissement. Il faut donc cultiver un cœur de chair qui se tient à l’écart de tout zèle et travailler chaque jour à souffrir de cette situation. Dire à qui veut l’entendre qu’on en souffre, que la situation ne va pas de soi, qu’il ne faut jamais s’y faire, sans s’enfermer dans une posture de mépris pour les autres.

En un moment où il est plus difficile que jamais d’avoir des certitudes granitiques, cette humilité est bienvenue. Et elle renferme toute entière le ton de l’article: lucide et réaliste, sans condamnation des opinions divergentes, équilibré, mais pas neutre pour autant.

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