Dans sa chronique hebdomadaire sur Radio Roma Libera (le titre est tout un programme!), Aldo Maria Valli reprend un article paru sur le site ukrainien « Union des journalistes orthodoxes« . L’auteur, Kirill Aleksandro, observe qu’en Occident, le christianisme est pratiquement en phase finale, alors que les pays de l’ex-bloc soviétique, qui ont connu la persécution, en particulier la petite Ukraine, majoritairement orthodoxe, ont bien mieux résisté. L’attraction de l’Occident et la marche inéluctable vers l’Europe et ses non-valeurs vont-elles rompre cet élan et se traduire aussi dans la vie religieuse?

« L’Ukraine a adopté l’intégration à l’Europe et l’adhésion à diverses structures supranationales européennes comme objectif stratégique pour son développement. Mais le coût d’une telle intégration pourrait être le rejet du christianisme. Bien entendu, tout se fera progressivement, afin que notre conscience puisse s’y habituer et que le processus ne soit pas effrayant. Nous pourrons peut-être maintenir notre religiosité, mais il est fort probable que nous devrons choisir. Les mots sur lesquels il faut méditer sont toujours ceux de l’Évangile : ‘Nul ne peut servir deux maîtres, car soit il haïra l’un et aimera l’autre, soit il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. On ne peut pas servir Dieu et l’argent‘ (Mt 6,24) ».

Dans nos analyses, nous abordons souvent la situation de l’Église catholique en Italie et, plus généralement, en Occident. Mais comment la question est-elle perçue de l’extérieur et surtout par les pays de l’Est qui, après la longue domination soviétique, se sont résolument engagés dans une marche vers un « développement » de type occidental ?

Une évaluation intéressante vient de l’Église orthodoxe ukrainienne, qui est sous la juridiction du Patriarcat de Moscou.

Dans l’article « ‘Leur’ et ‘notre’ christianisme: que se passera-t-il demain? » Kirill Aleksandrov part de ce qui se passe en Occident, où le christianisme, écrit-il, est de plus en plus « poussé à la périphérie : les églises ferment, le nombre de croyants diminue ». D’où la question : étant donné que « l’Ukraine a pris son envol vers l’Europe », va-t-elle suivre son cours également en ce qui concerne la vie religieuse ?

« L’Occident – observe Aleksandrov – est considéré, du moins au cours des derniers siècles, comme beaucoup plus progressiste, prospère, riche, etc. Il est de coutume de s’en inspirer, de l’admirer, alors que l’union avec l’Occident est généralement dans les rêves de la plupart de nos citoyens ». Mais en est-il vraiment ainsi pour nous, croyants ?

Bien que le concept de religiosité soit très large et puisse être lu et interprété de différents points de vue, une chose semble claire: l’Occident s’éloigne du Dieu du christianisme et du comportement dicté par la loi divine.

Bien qu’il existe des exceptions comme la Pologne et l’Italie, où une grande majorité de personnes se disent encore, du moins sur le papier, religieuses, les statistiques indiquent qu’ailleurs la situation est tout autre : en Allemagne, le nombre de personnes qui se considèrent comme religieuses est de 34%, en France de 40%, en Suède de 19%, aux États-Unis de 56% (chiffres Gallup).

L’Ukraine et la Russie (avec respectivement 73% et 70%) semblent toujours être des pays à majorité religieuse, mais la tendance est occidentale.

« En 2009 », écrit Aleksandrov, « le psychologue américain Gregory Paul a publié les résultats d’une étude qui a montré que le niveau de religiosité est corrélé à des indicateurs tels que la criminalité, le bien-être matériel, la consommation d’alcool, etc. En conséquence, « plus le niveau de vie et de sécurité sociale sont élevés, plus le niveau de religiosité est bas, et l’amélioration de la situation économique conduit de plus en plus de personnes à s’éloigner de la foi en Dieu.

En Allemagne, environ 220 000 personnes, dont des protestants et des catholiques, quittent l’Église chaque année. Des dizaines d’églises (des centaines dans le cas des églises luthériennes) sont fermées ou démolies.

Le magazine Spiegel a écrit que dans les années à venir, les évangéliques allemands devront abandonner un millier de bâtiments ecclésiastiques. La raison est simple : le nombre de paroissiens diminue et il n’est pas possible de supporter les coûts d’entretien des églises. Il y a quelques années, l’Église évangélique allemande a commencé à évoquer l’hypothèse d’un renoncement total aux services dominicaux réguliers, et de la tenue de services uniquement lorsqu’un certain nombre de personnes se rassemblent.

Les catholiques allemands ne sont pas beaucoup mieux lotis. Au cours de la dernière décennie, 515 églises catholiques ont été fermées, tandis que sept cents autres pourraient subir le même sort.

Face à la crise, les solutions proposées vont toutes dans le sens d’une plus grande implication sociale et d’une adaptation de l’Eglise à la pensée dominante. « Cela signifie – écrit Aleksandrov – que les catholiques ne doivent pas intensifier le jeûne et la prière, revenir à la lecture de la littérature patristique, accorder plus d’attention à la lutte contre les passions de l’âme ». Non! Ils doivent développer des « projets originaux et créatifs » pour répondre aux besoins des consommateurs de la société. Et ensuite, peut-être, les consommateurs se tourneront vers les églises pour obtenir une aide sociale ».

Alors que la pression augmente dans la société allemande, non seulement dans le sens de l’assistance sociale, mais aussi pour la reconnaissance des « droits » des LGBT, la « libéralisation » de la morale sexuelle, l’introduction de la prêtrise féminine, etc., voilà que l’épiscopat a entrepris un parcours pour satisfaire ces requêtes Tout cela pour aller vers le monde.

En général, le tableau est celui d’une déchristianisation progressive. La mention des racines chrétiennes de la civilisation européenne est interdite. Les croix et autres symboles chrétiens sont retirés des rues, des écoles, des bâtiments publics. Le traditionnel marché de Noël à Bruxelles a changé de nom et s’appelle désormais « Joie de Noël ». Les cartes de vœux qui ne disent pas « Joyeux Noël » mais « Bonnes fêtes de fin d’année » sont considérées comme plus correctes. Le gouvernement slovaque a décidé de supprimer les halos des images des saints Cyrille et Méthode sur les pièces en euros.

Souvent, observe Aleksandrov, « pour plaire aux migrants des pays musulmans, les Européens abandonnent non seulement les traditions et les coutumes chrétiennes, mais aussi les normes de comportement généralement acceptées. En Allemagne, dans de nombreuses cantines scolaires, il est interdit de servir des saucisses et des pâtés de porc, ou même d’emporter des sandwiches avec ces ingrédients de la maison, afin de ne pas heurter les sentiments religieux des musulmans. Pendant le ramadan, de nombreuses entreprises allemandes exhortent leurs employés à ne rien manger ni boire avant le coucher du soleil afin de ne pas embarrasser leurs collègues musulmans. L’apogée de cette attitude peut être considérée comme le cas de la Suède, où la première évêquesse lesbienne de l’Église luthérienne, Eva Brunne, a demandé le retrait des croix et autres symboles des églises pour plaire aux migrants musulmans ».

En Ukraine, écrit Aleksandrov, pour l’instant « le tableau est complètement différent ». « Si l’on prend comme point de départ l’année 1988, lorsque l’Etat a levé toutes les restrictions à l’activité religieuse à l’occasion du millième anniversaire de la christianisation de la Rus’, les statistiques montrent qu’en trente-deux ans, plus de 8 500 églises ont été restaurées et construites. Cela représente quelque 280 églises par an, deux églises tous les trois jours ». Rien qu’en 2019, le nombre de communautés ecclésiastiques de l’Église orthodoxe ukrainienne a augmenté de 246.

« Une question se pose spontanément: pourquoi, dans l’Europe riche, n’y a-t-il pas d’argent pour l’entretien des églises, alors que dans l’Ukraine pauvre, les gens en trouvent non seulement pour l’entretien, mais aussi pour la construction, malgré le fait qu’en Ukraine, à de rares exceptions près, l’État ne finance pas les projets de construction d’églises? Il faut également considérer qu’en Ukraine, il n’y a pas d’impôt religieux comme en Allemagne et que les églises sont construites et financées par les dons des paroissiens.

« Bien sûr, la religiosité ne se limite pas à la construction de bâtiments de culte, mais c’est un indicateur qui distingue de manière surprenante la situation dans notre pays et en Europe, où les églises sont démolies plutôt qu’érigées. Le nombre de ceux qui souhaitent devenir prêtres et moines est également un indicateur assez significatif. Alors qu’en Europe et aux États-Unis, les catholiques tirent la sonnette d’alarme sur le manque de vocations, dont le nombre diminue encore plus rapidement que celui des paroissiens, en Ukraine, le nombre des personnes qui souhaitent entrer dans des établissements d’enseignement théologique plutôt que dans d’autres filières d’enseignement augmente. Au total, fin 2019, l’Église orthodoxe ukrainienne comptait 4609 moines et 1372 étudiants à plein temps dans les établissements d’enseignement théologique ».

Dans le même temps, les milieux politiques occidentaux qui tentent depuis une dizaine d’années de faire reconnaître les « droits » des LGBT rencontrent encore un net rejet en Ukraine.

« La question de savoir quelle société est la plus religieuse – note l’auteur – ne se réduit pas à un concours. Il s’agit de nos perspectives d’avenir. Il est vrai que le monde occidental connaît une plus grande réussite matérielle, que le niveau de vie y est plus élevé, que la science, la médecine et l’éducation s’y développent mieux. Mais en même temps, nous pouvons constater que le monde occidental a officiellement renoncé au christianisme en tant que tel. À la place du Christ, d’autres divinités ont été mises en avant : tolérance, libéralisme, droits de l’homme, servilité envers les migrants. Pour le bien de ces divinités, les croix sont enlevées des églises, il n’y a plus le son des cloches, les églises sont détruites, et les croyants ont peur de citer l’Évangile parce qu’il est politiquement incorrect ».

« L’Ukraine a adopté l’intégration à l’Europe et l’adhésion à diverses structures supranationales européennes comme objectif stratégique pour son développement. Mais le coût d’une telle intégration pourrait être le rejet du christianisme. Bien entendu, tout se fera progressivement, afin que notre conscience puisse s’y habituer et que le processus ne soit pas effrayant. Nous pourrons peut-être maintenir notre religiosité, mais il est fort probable que nous devrons choisir. Les mots sur lesquels il faut méditer sont toujours ceux de l’Évangile : ‘Nul ne peut servir deux maîtres, car soit il haïra l’un et aimera l’autre, soit il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. On ne peut pas servir Dieu et l’argent’ (Mt 6,24) ».

Pour ceux qui se soucient du vrai progrès, ce qui compte n’est pas de savoir qui est le plus riche, mais où nous allons. « Et s’il y a un abîme devant, il vaut probablement mieux rester derrière. Pour les croyants, l’indicateur du bien-être d’une société n’est pas le niveau de la vie matérielle, mais la façon dont la société approche Dieu et l’Église.

A.M.V.

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