Le cardinal Becciù vient de renoncer à ses droits liés au cardinalat et à sa fonction de Préfet de la Congrégation pour la Cause des Saints, a-t-on appris hier de source officielle. Je n’avais pas l’intention d’approfondir, encore moins d’en parler ici, ne souhaitant pas me joindre au chœur, suffisamment encombré, des ennemis de l’Eglise, toujours prêts à dénoncer la corruption de la Curie et à faire l’éloge d’un Pape qui, contrairement à son prédécesseur, ne craint pas, LUI, de nettoyer les « écurie d’Augias ». Mais le commentaire de Riccardo Cascioli, qui élargit le regard aux nombreux scandales qui émaillent le pontificat du pape argentin, m’a fait changer d’avis.

Comme une junte militaire sud-américaine

Riccardo Cascioli
La NBQ
25 septembre 2020
Ma traduction

La disgrâce du cardinal Becciu est une purge de plus au sommet du Saint-Siège qui ait lieu dans le cadre de ce pontificat. Des purges dignes des juntes militaires sud-américaines, qui évitent de faire apparaître la vérité et ne sauvent que la cordée (1) gagnante.

Coupable ou innocent? Nous ne le saurons peut-être jamais, mais il est certain que le cardinal Angelo Becciu était déjà tombé en disgrâce aux yeux du pape depuis un certain temps; et donc, comme c’est désormais la coutume dans ce pontificat, sa tête a roulé dans le panier (métaphoriquement parlant). La liste des personnalités du Vatican qui ont été épurées, mises à la retraite ou privées de leurs pouvoirs est désormais longue : les cardinaux Müller, Burke, Comastri, l’archevêque Georg Gänswein, pour ne citer que les cas les plus célèbres. Et maintenant Becciu.

Les raisons de ces choix ne sont jamais claires, jamais expliquées, des méthodes de junte militaire sud-américaine. Il faut se contenter des on-dit, du patient alignement des indices recueillis au fil du temps, de la reconstitution de certains faits qui ont mis la victime désignée sous un mauvais jour aux yeux du Pape. Pour Becciù, ce qui a dû compter, c’est l’imbroglio de l’achat du désormais célèbre immeuble de Londres, même si l’aile allemande de l’Ordre de Malte a aussi sabré le champagne pour son torpillage. Le pape devait être convaincu – ou a été convaincu – de la corruption de Becciù, et n’a fait ni une ni deux.

Mais l’impression est que l’immeuble de Londres est le prétexte pour une guerre interne qui n’a pas grand-chose à voir avec le besoin de transparence et de correction dans la gestion économique. Il y a quelques mois, au moment du tollé public entre le secrétaire d’État du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, et le cardinal Becciù, nous avons parlé d’une guerre des gangs au sommet du Vatican, avec de probables autres développements. C’était une prophétie facile.

Cette dernière affaire met vraiment en évidence une caractéristique inquiétante des décisions gouvernementales du pape François. La sentence est exécutée publiquement sans procès. Par ces mesures, le cardinal Becciù a été de fait défini comme « corrompu », mais sans jamais avoir été formellement inculpé par un juge ou reconnu comme tel par un tribunal. Même dans le cas de l’immeuble de Londres, on ne sait pas encore bien de quel crime on parle et s’il y a vraiment eu crime.

On dira : peu importe, en attendant, on fait le ménage des corrompus sans procès interminable. Or, le justicialisme (2) est tout le contraire de la justice. Et les décisions draconiennes prises à l’encontre de certaines personnes prétendument corrompues se concilient mal avec la protection, la défense et la promotion d’autres personnes qui font également l’objet de lourdes accusations – voir le cardinal Maradiaga – ou qui sont certainement responsables de manquements criants – voir l’archevêque Paglia -.

Les jugements sans procès empêchent pourtant de faire toute la vérité sur les situations pénales ou présumées telles. Sur l’affaire de Londres, si le cardinal Becciù a eu ses responsabilités, il n’était certainement pas le seul et le rôle de l’ensemble du sommet actuel de la Secrétairerie d’État devrait être clarifié. Chose qui a peu de chances de se produire.

Il s’agit du même modus operandi que dans le cas de l’ex-cardinal Theodore McCarrick, accusé d’avoir abusé de dizaines et de dizaines de séminaristes. Sa culpabilité ne fait guère de doute, mais sa réduction à l’état laïque était un acte d’imperio du pape sans enquête précise et sans procès équitable. Ainsi, non seulement un droit qui appartient à tout accusé – exclu dans les régimes dictatoriaux et totalitaires – a été refusé, mais on a empêché de reconnaître et de poursuivre de tous ses complices influents, ceux qui lui ont permis de faire carrière et même de devenir un envoyé spécial pendant les premières années de ce pontificat.

Il y a un an, le Vatican a promis un rapport précis sur toute l’affaire McCarrick : il était censé être publié dans quelques mois mais on ne sait encore rien de ce rapport. Cependant, même s’il était publié, il ne pourrait pas remplacer un procès équitable, ce qui n’aura pas lieu. Seule la version du chef passera.

Et les fidèles catholiques, consternés, devront continuer à subir ce triste spectacle d’embuscades, d’opérations imprudentes, de purges, venant de pasteurs qui devraient se préoccuper avant tout du salut du troupeau qui leur est confié.

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Ndt

(1) Cordate, qu’on peut traduire par « alliances », « coalitions d’intérêt », voire « mafia »
(2) On pourrait évidemment penser dans ce contexte à la doctrine politique de Perron, mais plus vraisemblablement dans le jargon journalistique italien, giustizialismo désigne l’exigence d’une justice rapide, sévère et parfois sommaire contre les coupables de crimes particuliers, notamment ceux de nature politique, le crime organisé et la malhonnêteté dans l’administration des affaires publiques (wikipedia).

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