Un passage d’une interview télévisée qu’il avait accordée en 2019 à une journaliste mexicaine (*), légitimant les unions civiles y compris entre personnes du même sexe, et qui avait été coupé au montage, ressort aujourd’hui à travers un documentaire tourné par le cinéaste russe Evgeny Afineevsky, présenté hier à Rome et qui recevra même aujourd’hui le « Prix Kinéo » dans les Jardins du Vatican (!!!). Une manipulation du « cercle magique » entourant le Pape, certes, mais qui a surtout le mérite de faire la lumière sur ce que pense vraiment le Pape. Pour ceux qui auraient encore des doutes. Le point très complet (hors objections théologiques évidentes…!) sur la Bussola.

(*) Nous avions parlé de cette interview dans ces pages. Voir ICI

Le cardinal Bergoglio pensait déjà la même chose, en opposition avec la hiérarchie

François légitime les unions homosexuelles

et c’est le début du tsunami médiatique

Andrea Zambrano
La NBQ
21 octobre 2020
Ma traduction

« Ce que nous devons faire, c’est une loi sur les unions civiles. De cette façon, les homosexuels sont couverts juridiquement ». L’anticipation de « Francesco », le nom du court-métrage présenté hier au Festival du film de Rome, a déclenché un tsunami médiatique prévisible qui semble destiné à ne pas s’arrêter.

« Ce que nous devons faire, c’est une loi sur les unions civiles. De cette façon, les homosexuels sont couverts juridiquement ». Ce sont les mots prononcés par le Pape dans l’extrait d’une interview incluse dans un documentaire qui lui est consacré par le réalisateur russe Evgeny Afineevsky.

L’anticipation de « Francesco » – c’est le nom du documentaire présenté hier au Festival du film de Rome -, a déclenché un tsunami médiatique prévisible qui semble destiné à ne pas s’arrêter. L’édition numérique du New York Times, le quotidien le plus important au monde, l’a inclus comme nouvelle principale, avec le titre: « Le pape François, marquant un tournant pour l’Église, s’exprime en faveur des unions civiles entre personnes du même sexe« .

Quelques minutes après le premier lancement de la nouvelle par l’agence américaine CNA, en l’absence d’une communication officielle du Vatican, les citations papales rapportées ont eu un effet explosif et ont provoqué des réactions en chaîne, surtout dans le monde politique. Parmi les commentaires enthousiastes, on peut citer ceux des députés du PD Monica Cirinnà, auteur de la loi italienne sur les unions civiles et Alessandro Zan, premier signataire du projet de loi sur l’homo-transphobie.

Ce dernier a même demandé que les paroles du pape soient lues comme un encouragement aux législateurs à aller de l’avant avec l’approbation de sa mesure. Mgr Bruno Forte, archevêque métropolitain de Chieti-Vasto et théologien, qui fut secrétaire spécial du Synode des évêques sur la famille, a tenté d’expliquer les propos qui ont fait le tour du monde, en affirmant que « le Pape François a toujours souligné qu’il ne peut y avoir de confusion entre la famille voulue par Dieu, qui est l’union entre un homme et une femme ouverts à la procréation, et tout autre type d’union. »

Au départ, on pensait que la déclaration du Pape avait été confiée directement à Afineevsky, mais dans la soirée, une interview éclairante du Père Antonio Spadaro, qui s’est exprimé au micro de Tv2000 en marge du Festival du film, a expliqué qu’il s’agissait d’une interview connue : « Le réalisateur du film ‘Francesco‘ – a expliqué le jésuite sicilien – rassemble une série d’interviews qui ont été faites au Pape François au fil du temps en donnant une grande synthèse de son pontificat et de la valeur de ses voyages. Entre autres, il y a divers passages tirés d’une interview de Valentina Alazraki, une journaliste mexicaine, et dans cette interview, le Pape François parle d’un droit à la protection juridique des couples homosexuels, mais sans toucher à la Doctrine ».

C’est vrai jusqu’à un certain point car c’est précisément ce passage sur les unions civiles qui est coupé dans l’interview disponible encore aujourd’hui sur la chaîne Youtube de la chaîne Televisiva.

Dans le documentaire, qui a été présenté hier en avant-première au Festival du film de Rome et qui débarquera aujourd’hui dans les Murs Léonins avec la remise du Prix Kinéo dans les Jardins du Vatican, l’auteur russe a inclus un extrait inédit de l’interview exclusive accordée par le Pape en 2019 à Televisa. A cette même occasion, le Souverain Pontife avait déclaré que « les personnes homosexuelles ont le droit de rester dans la [en?] famille », phrase déjà dans le domaine public en 2019 et qui a été reprise dans l’œuvre présentée hier à l’Auditorium de Rome, bien que privées de la partie immédiatement suivante dans laquelle François avait souligné que « cela ne signifie pas approuver les actes homosexuels, au contraire » et aussi de celle immédiatement précédente, où il avait demandé aux journalistes de ne pas décontextualiser « ce petit mot pour annuler le contexte ». Une invitation manifestement non respectée dans le montage du court métrage.

Pour réaliser son documentaire Afineevsky, déjà nominé pour un Oscar et un Emmy pour « Winter of fire« , a dû avoir un large accès aux archives audiovisuelles liées à l’actuel pontificat et a ainsi pu mettre la main sur un échange sur les homosexuels qui n’apparaissait pas dans la vidéo complète de l’interview d’Alazraki publiée le 31 mai 2019. Le documentaire recueillait les commentaires du Pape sur des questions telles que l’environnement, les guerres, le climat et les migrations et pour sa réalisation, un élément décisif aurait été, selon Associated Press, la contribution de Paolo Ruffini, Préfet du Département pour la Communication du Saint-Siège, qui a suggéré à l’auteur de commencer son travail, en écoutant les témoignages de personnes qui avaient capté l’attention du Pape en quelques minutes : « des réfugiés rencontrés (…) lors de certains de ses voyages à l’étranger, des prisonniers qu’il a bénis et quelques homosexuels« .

Les mots datant de plus d’un an mais encore inédits prononcés par le Pape dans l’interview à Televisa et repris dans le documentaire représentent la première déclaration d’un pape en faveur des unions civiles. Diverses reconstructions attribuent cependant à Bergoglio une position similaire déjà au cours de son expérience en tant qu’archevêque de Buenos Aires et président de la conférence épiscopale argentine. John Allen, en effet, avait affirmé il y a des années qu’il avait consulté des sources argentines qui lui avaient confirmé la faveur du primat de l’époque à cette solution jugée « moindre mal » dans les discussions entre 2009 et 2010 pour l’approbation de la loi nationale qui reconnaissait le soi-disant mariage entre homosexuels.

Austen Ivereigh lui-même, plume très influente du catholicisme anglo-saxon, a écrit dans sa biographie « Le temps de la miséricorde » qu’à l’époque du débat « le cardinal Bergoglio soutenait un type de loi, concernant également les homosexuels, dans laquelle il y avait une reconnaissance légale des unions civiles et de certains droits, mais pas une loi conçue exclusivement pour les unions civiles homosexuelles ».

Dans son controversé « Sodoma », Frédéric Martel lui aussi rapporte quelques confidences que le père Guillermo Marcò, ancien collaborateur de l’archevêque de Buenos Aires de l’époque, lui aurait faites : « Le Vatican étant hostile aux unions civiles, Bergoglio a dû suivre cette ligne en tant qu’archevêque. En tant que porte-parole, je lui ai conseillé d’éviter le sujet et de ne pas en parler, afin de ne pas le critiquer [le Vatican]. Après tout, il s’agissait d’une union sans sacrement et non d’un mariage : pourquoi en parler ? Jorge a approuvé cette stratégie ».

Bergoglio lui-même, selon les informations recueillies par le Vaticaniste Allen, aurait subi sa seule défaite « électorale » au sein de la Conférence épiscopale argentine précisément sur ce point, voyant sa position présumée modérée sur les unions civiles mise en minorité par ses confrères évêques. Mais à cette époque, bien que président, le cardinal aurait décidé de ne pas rompre l’unité de la Conférence et de s’adapter à la ligne de la majorité. Alors que son opposition aux prétendus mariages homosexuels, en polémique avec la présidente Cristina Kirchner, faisait de lui l’une des figures les plus représentatives de la protestation qui a rempli les places de la capitale à l’été 2010 au cri de « nous voulons une maman et un papa » contre la loi qui a fait de l’Argentine le premier pays d’Amérique du Sud à légaliser les unions homosexuelles. L’intervention du futur pontife a galvanisé les manifestants pro-famille qui parlaient d’une loi « visant à détruire le plan de Dieu » et revendiquaient le droit des enfants à grandir dans « l’environnement naturel du mariage ».

Les paroles de François dans le documentaire d’Afineevsky sont ses premières déclarations publiques en faveur d’une loi sur les unions civiles. Dans le passé, un autre jésuite et ecclésiastique de poids comme le cardinal Carlo Maria Martini, tout en n’arrivant pas à une véritable approbation, avait déclaré qu’il ne partageait pas « les positions de ceux qui, dans l’Église, s’en prennent aux unions civiles », affirmant que « si certaines personnes, de sexe différent ou même de même sexe, aspirent à signer un pacte pour donner une certaine stabilité à leur couple, pourquoi n’en voulons-nous absolument pas ? »

Une critique à peine voilée de la position officielle de l’Eglise réitérée en 2003 par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi dirigée par le Cardinal Préfet Joseph Ratzinger qui, dans le document « Considérations sur les projets de reconnaissance légale des unions entre personnes homosexuelles » approuvé par Saint Jean-Paul II, soutient:

« En présence de la reconnaissance légale des unions homosexuelles, ou de l’égalisation légale de celles-ci au mariage avec l’accès aux droits qui sont propres à ce dernier, il est nécessaire de s’opposer de manière claire et incisive. Nous devons nous abstenir de toute forme de coopération formelle dans la promulgation ou l’application de ces lois manifestement injustes et, dans la mesure du possible, de toute coopération matérielle dans leur application. Dans cette affaire, chacun peut revendiquer le droit à l’objection de conscience ».


La genèse de l’affaire

Pape et gays, le feuilleton de l’interview coupée

Andrea Zambrano
La NBQ
22 octobre 2020
Ma traduction

Le père Spadaro tente de normaliser en disant que les mots du Pape sur les unions civiles sont tirés d’une interview bien connue de Valentina Alazraki. C’est vrai, mais ce passage n’a jamais été diffusé : dans la vidéo, on peut voir la coupure quand il est question des homosexuels. Inutile de nier qu’il les a prononcés, maintenant que les journaux télévisés les ont montrés : ils n’étaient pas publics, ils ont même été coupés de la transcription complète de l’interview. Mais il est évident qu’ils étaient jalousement gardés par quelqu’un au Vatican, qui doit maintenant expliquer pourquoi, malgré la « coupure », le dédouanement des unions homosexuelles est réapparu dans un documentaire du réalisateur russe sur la cause cathogay.

Le père Antonio Spadaro dit qu' »il n’y a rien de nouveau. Ce qui reste et qui est frappant, c’est la capacité d’écoute de François ». Mais ce n’est pas vrai. La nouveauté est la phrase prononcée par le pape François sur les unions civiles et le fait qu’il s’est battu pour cela. Spadaro attribue ce passage à une interview donnée par le Souverain Pontife à Valentina Alazraki, une journaliste mexicaine « et dans cette interview le Pape François parle d’un droit à la protection juridique des couples homosexuels mais sans toucher en aucune façon la Doctrine ».

Le directeur de La Civiltà Cattolica se dépêche de normaliser et essayer d’éteindre le feu avec un seau d’eau, mais la hâte, comme on le sait, est mauvaise conseillère. Au minimum, on donne pour acquis au grand public des déclarations perturbantes que les fidèles n’avaient jamais entendues auparavant prononcées par un pontife.

Que s’est-il passé et d’où viennent ces mots qui font parler le monde entier ? Ils viennent de l’interview du Pape avec la journaliste mexicaine réalisée en mai 2019 pour la chaîne Noticieros televisa. Quand Spadaro dit que l’interview était connue, il dit la vérité, mais il ne dit pas que ce passage n’a jamais été publié. Tout le monde peut le vérifier.

L’interview – entièrement en espagnol -abordait tous les thèmes de l’époque, du cas Viganò à la pédophilie dans l’Église, des ouvertures du pape François sur diverses questions morales aux relations avec le pouvoir et les gouvernements.

À un certain moment, le sujet porte également sur l’homosexualité. Le pape se plaint d’avoir été mal compris à plusieurs reprises et tente de se défendre en disant « qu’il a toujours défendu la doctrine » et que « cela ne signifie pas qu’il approuve les actes homosexuels ». Mais il y a un passage à la minute 56 dans lequel il réitère que les homosexuels ont le droit d’être accueillis dans la famille (en famille?), puis il parle du moment où les journaux l’ont attaqué avec le titre « le Pape envoie les homosexuels chez le psychologue ». C’est aussi cette phrase que Bergoglio explique à la journaliste. Puis, à la minute 57:58, arrive le clou. Le pape François répète : « Ce que j’ai dit, c’est qu’ils ont le droit à une famille et cela ne signifie pas que j’approuve les actes homosexuels… ». Soudain,on perçoit une coupure nette car le pape continue de parler mais il est interrompu et immédiatement réapparaît la journaliste qui lui rappelle les mots dans l’avion « qui suis-je pour juger », occasion de parler de la façon dont les journalistes cueillent les déclarations sorties de leur contexte. Immédiatement après, le pape hoche la tête et l’on passe à Amoris Laetitia et au thème de la communion pour les divorcés remariés.

Le passage, donc, que les nouvelles diffusent depuis hier et qui montre clairement le pape se prononçant en faveur des unions civiles appartient certainement à cette interview car le décor est le même, comme on peut le voir sur la chaise en osier derrière le pontife qui apparaît dans tous les plans. Mais le passage de l’interview diffusée en mai 2019 n’y figure pas. Il a certainement été coupé et probablement coupé à la minute 58 peu après que le Pape ait déclaré que « cela ne signifie pas approuver les actes homosexuels ».

Une coupure digne de figurer dans un manuel. Même la transcription que le portail d’information du Vatican en a fait le 28 mai 2019 en lançant l’avant-première de l’interview vidéo ne comporte pas le passage « mis en accusation ». Le texte intégral est publié, mais pas la référence à la « ley de convivencia civil« . Peu avant, le pape avait parlé des gays à accueillir dans les familles et peu après, il dira que la loi sur le mariage homosexuel est une incohérence. Il est probable que le réalisateur russe Afineevsky at collé différentes parties de la même interview. Mais pour ce faire, il devait avoir accès – et il l’a confirmé – aux archives qui étaient mises à sa disposition. Quelque part, dans un tiroir de bâtiments sacrés, il y avait le passage coupé sur les unions civiles.

A ce point, le Vatican devrait expliquer comment un passage coupé d’une interview officielle peut, un an et demi plus tard, réapparaître livré entre les mains d’un réalisateur russe qui l’utilise pour un documentaire sur le pape. Quelqu’un a-t-il voulu forcer la main et faire exploser la bombe gay en signalant au réalisateur le morceau de choix?

Mais ce n’est pas la seule interrogation: pourquoi Alazraki, qui est une journaliste scrupuleuse et sérieuse, a-t-elle dû effacer ce passage? Un journaliste laisserait difficilement passer une telle histoire. Mais peut-être que pour quelqu’un au Vatican, ces mots sur les unions civiles semblaient trop inappropriés dans la bouche d’un pontife? Ou peut-être trop tôt ? En tout cas, ce passage n’était pas public, pour une raison quelconque il avait été coupé, mais maintenant il est réapparu dans un contexte très spécifique: la cause catho-gay et homo-hérétique. Et personne ne peut plus faire semblant de rien.

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