On peut ne pas partager les analyses d’Andrea Gagliarducci, mais elles ont le mérite d’aborder les problèmes (en particulier ceux liés à ce pontificat) de façon objective – si tant est que cela soit possible – et « raisonnée », et surtout, toujours à la défense de l’Eglise. C’est le cas pour cette réflexion sur l’affaire McCarrick, qui examine la question sous un angle inédit: à travers ce qui peut passer pour une sordide histoire de mœurs impliquant – À TORT OU À RAISON – des prélats corrompus, c’est la papauté qui est assaillie, et l’Eglise pourrait sortir affaiblie de cette opération-transparence exigée et exploitée de façon éhontée par les médias qui – François ou pas – n’ont pas changé d’un iota depuis Benoît XVI.

Image de couverture du livre de Malachi Martin « Windswept House »

Le Pape François face à un 2010 – 2.0?

Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
16 novembre 2020
Ma traduction

La publication du rapport McCarrick ne pouvait pas être plus inopportune. Le rapport de 461 pages, qui documente les erreurs d’évaluation, les superficialités et les défauts majeurs dans la sélection des évêques, est sorti le lendemain de la diffusion en Pologne d’un documentaire critique sur le cardinal Dziwisz. Le documentaire attaquait Dziwisz pour avoir prétendument couvert des abus. Le matin du 10 novembre, lorsque le rapport McCarrick a été publié, un autre reportage a fait la une au Royaume-Uni, ciblant le cardinal Vincent Nichols, archevêque de Westminster, pour avoir mal traité des cas d’abus dans le passé. Le soir du 10 novembre, en France, le procès contre l’archevêque Luigi Ventura, nonce papal, a commencé : Ventura est accusé d’agression sexuelle.

En fin de compte, le rapport McCarrick n’est qu’un élément d’un cadre plus large. Il semble inévitable que d’autres allégations viennent, l’une après l’autre, puisque les attaques contre l’Église sur la question des abus ne sont certainement pas encore terminées.

Sans tomber dans les théories complotistes, il semble évident qu’il y a des manœuvres en cours pour répandre une idée négative de l’Église dans l’opinion publique. Si l’on y réfléchit émotionnellement, les cas d’abus, avec tout leur bagage de dissimulations et de négligences, sont le meilleur moyen d’exercer une pression contre l’Église. C’est ce qui s’est passé en 2010, l’annus horribilis de l’Eglise pour la crise des abus. Cela peut se reproduire aujourd’hui.

Pourquoi 2020 est-il si semblable à 2010, et quelles sont les différences ?

Les similitudes concernent surtout les attaques contre l’Eglise. Il s’agit d’allégations d’abus et de dissimulations, souvent anonymes, faisant référence à des événements qui ont eu lieu il y a de nombreuses années. Les cas des cardinaux Philippe Barbarin et George Pell se sont trouvés piégés dans ce schéma – ils ont été blanchis de toute allégation.

La cible semble maintenant être le cardinal Stanislaw Dziwisz et, à travers lui, Jean-Paul II. Il semble que ce soit la destruction systématique du pontificat de Jean-Paul II. Avant cela, même le pape François a été confronté à des problèmes d’abus, avec le cas chilien. Au début, le pape a ignoré les rapports, puis il a mandaté un envoyé spécial au Chili, il a convoqué à deux reprises les évêques chiliens à Rome, et tous ont démissionné.

Le pape François aussi pourrait se retrouver impliqué dans de vieilles affaires. Certains disent qu’en tant qu’archevêque de Buenos Aires, il n’a pas traité correctement un cas d’abus – John Allen en a parlé [cf. benoit-et-moi.fr/2014-II-1/actualites/pedophilie-dans-le-clerge–le-cas-de-largentine.php]. Par ailleurs, l’archevêque Gustavo Zanchetta, que le pape a nommé assesseur de l’Administration du patrimoine du Siège apostolique, est maintenant impliqué dans un procès en Argentine. Des allégations d’abus ont également été formulées à l’encontre de proches collaborateurs du pape François.

Il semble donc que revenir sur les années de Jean-Paul II soit une façon de ne pas regarder le présent. Cependant, ce n’est pas le pape qui est assiégé, comme beaucoup le pensent à tort. C’est la papauté qui est assiégée. Elle était assiégée sous Benoît XVI, elle l’est encore plus sous le pape François, puisque le pape François fait passer les questions individuelles avant les questions institutionnelles.

Avant le pape François, il pourrait être tentant de dire qu’une realpolitik du Vatican empêchait de rendre compte des cas d’abus. Mais ce n’est pas exact. Il est bien plus exact de dire que le pape François a lui aussi une realpolitik. Cependant, la realpolitik « franciscaine » ne consiste pas à défendre les institutions de l’Église ou la papauté, mais plutôt SON pontificat.

Le rapport McCarrick en est un indice. Le rapport est né de la nécessité de rejeter le récit selon lequel le pape François avait initialement soutenu McCarrick et ignoré les sanctions (il est plus juste de dire, les recommandations) prises à son encontre. Cependant, le rapport McCarrick soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses.

Le rapport est vague sur la conversation entre l’archevêque Viganò et le pape François au sujet de McCarrick, disant qu’il n’y a aucune preuve de cette conversation. C’est vrai, puisqu’il ne s’agissait pas d’une conversation officielle, et qu’il n’existe aucun document qui rend compte de l’objet de cette conversation. Alors, pourquoi le mentionner dans le rapport ?

Le rapport fait référence à plusieurs entretiens, mais le texte n’en contient que des citations. En même temps, il n’y a pas de transcription complète des entretiens à la fin du rapport, ce qui rend impossible de comprendre le contexte et les questions qui ont conduit à ces réponses.

En fin de compte, le rapport semble essayer de pointer du doigt le passé, et non de s’attaquer au présent.

L’histoire passée était-elle si mauvaise ?

Oui et non. Il y a eu des erreurs et de nombreux scandales dans la manière dont les abus ont été traités. Cela ne doit pas être sous-estimé. D’autre part, nous devons savoir que le processus de sélection des évêques est un processus consultatif fondé sur la pleine bonne foi des personnes impliquées et sur leurs compétences à réfléchir et à analyser les rapports. Ce n’est pas toujours une tâche facile. Dans le cas de McCarrick, c’était une tâche ardue.

McCarrick jouissait universellement d’une grande estime et a été largement salué pour ses compétences en matière de collecte de fonds. Des rumeurs circulaient à son sujet, mais elles n’ont jamais donné lieu à des accusations formelles. De plus, les rumeurs portaient sur les relations avec de jeunes adultes, et non avec des enfants.

Une promotion de McCarrick a cependant été arrêtée à trois reprises. McCarrick n’a pas réussi à devenir archevêque de Chicago, de New York et – du moins au début – de Washington. La dernière promotion a été temporairement interrompue par une lettre du cardinal O’Connor. L’archevêque de New York, O’Connor, a alors fait remarquer que, compte tenu des rumeurs, la nomination de McCarrick à Washington pourrait comporter certains risques.

Cette histoire montre que le système des rapports fonctionnait. D’un autre côté, McCarrick disposait d’informations solides en provenance du Vatican. Il a pris connaissance des rumeurs le concernant et a écrit directement à Dziwisz, alors secrétaire du pape, en lui jurant qu’il n’avait jamais rien fait d’inconvenant ou d’imprudent.

Les protestations de McCarrick sont jugées plausibles. La raison réside dans le climat anti-églises qui régnait à l’époque. Quelques années (pas tant que cela) auparavant, le cardinal Joseph Bernardin de Chicago avait été injustement accusé d’abus, et les préjugés contre lui ont persisté jusqu’à ce que les allégations soient abandonnées (??). En outre, nous devons nous rappeler que Jean-Paul II venait de Pologne. Les communistes avaient l’habitude d’attaquer l’Église sur les questions de sexualité pour saper son autorité. Ainsi, Jean-Paul II peut concevoir la possibilité d’une attaque injuste, et pour cette raison, il s’est abstenu de censurer McCarrick.

Le choix de croire McCarrick, et donc de l’inclure dans la liste restreinte des candidats au poste d’archevêque de Washington, repose sur une double logique : la nécessité de croire qu’un pécheur peut être racheté, et la nécessité de protéger l’Église des scandales lorsque cela n’est pas nécessaire.

Selon le sentiment général, l’Église était protégée des scandales tant que les évêques les couvraient. Ce n’est pas exact.

En couvrant, sous-estimant ou ne considérant pas les allégations d’abus, les évêques n’ont pas soutenu l’institution de l’Église – ils se sont surtout aidés eux-mêmes. Préoccupés par leur propre position, les évêques ont souvent décidé de ne pas signaler les abus à Rome, agissant ainsi de manière erronée. Lorsque Jean-Paul II, à la suite des scandales d’abus aux États-Unis, a décidé que chaque rapport sur les delicta graviora devait être transmis à la Congrégation pour la doctrine de la foi, il l’a fait pour éviter toute dissimulation possible. Il s’agit d’une centralisation pour affronter le problème, et non pour le cacher.

Jean-Paul II a chargé la Congrégation pour la doctrine de la foi de recueillir les rapports d’abus pour souligner que les abuseurs sont des pécheurs, et que les relations homosexuelles sont un péché. Pourtant, le rapport McCarrick semble accepter tacitement qu’un évêque puisse entretenir des relations inappropriées avec les séminaristes puisque ce n’est pas un crime. Oui, ce n’est pas un crime, mais c’est un péché et une conduite immorale. Et quand il n’y a pas de conscience du mal, c’est dangereux pour l’Église.

Et pourtant, le rapport ne s’attache pas à réprimander McCarrick pour son comportement. Il semble plutôt chercher un bouc émissaire, sans considérer les conséquences possibles pour l’Eglise.

Parmi les conséquences :

  • il y aura des demandes d’autres rapports chaque fois que des ecclésiastiques seront confrontés à des allégations d’abus, et le Saint-Siège devra répondre positivement et expliquer chaque geste, bien que les actions et le processus de décision doivent être discrets et doivent respecter, dans le cas d’allégations non prouvées, le principe de la présomption d’innocence ;
  • la possibilité qu’il y ait d’autres attaques contre le Saint-Siège basées sur des allégations de mauvais traitements de la part d’abuseurs connus, afin d’affaiblir le Saint-Siège à commencer par son système juridique – ce qui pourrait également avoir d’autres conséquences sur l’impact du Saint-Siège sur la scène internationale ;
  • En raison de l’affaiblissement de son influence sur la scène internationale, les fidèles perdront leur protection, en particulier ceux qui sont injustement persécutés dans des zones critiques.

Pour autant que le rapport McCarrick soit un effort louable et significatif, il pourrait également affaiblir l’Église. Tous sont obligés de se défendre car il n’y a plus d’institution qui les protège, mais une institution qui les expose. Il est donc essentiel de trouver un équilibre entre la responsabilité et la protection de l’Église.

Il y a donc une différence substantielle entre 2010 et 2020. Aujourd’hui, l’Église s’accuse, à juste titre ou non, selon les cas. L’Église semble avoir une sorte de crainte révérencielle pour le système médiatique, et l’opinion publique est plus importante que la vérité. En fin de compte, le rapport McCarrick est publié dans une saison avec beaucoup trop d’enquêtes et de procès, ce qui a conduit à des confrontations publiques entre les hommes d’Eglise. Comme si l’Église collaborait à la destruction du Saint-Siège.

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