A l’occasion de la sortie en langue anglaise de sa monumentale biographie de Benoît XVI « Benedict XVI, a life« , il a répondu aux questions du site Aleteia (version en anglais). On y apprend rien de vraiment inédit, mais un article entièrement positif (avec en plus de bonnes nouvelles récentes) est quelque chose de suffisamment rare pour constituer un évènement.

Seewald : Benoît XVI n’a jamais été un « shadow pope ».

Aleteia.org
Ary Waldir Ramos Diaz
13/12/20
Ma traduction

Un entretien avec l’homme qui a eu l’opportunité inégalée d’interviewer Ratzinger-Benoît, et de le partager avec nous.
Depuis plus d’un quart de siècle, Peter Seewald (né en 1954) a accompagné le cardinal Joseph Ratzinger/Benoît XVI, premier pape émérite depuis des siècles.

Son dernier livre, « Benedict XVI, a life » , qui totalise plus de 1 000 pages en deux volumes, n’est pas seulement une biographie (la traduction anglaise de la première partie sortira dans les prochains jours).

C’est une rencontre avec les événements de l’Église et l’histoire de l’époque contemporaine : le Concile Vatican II, l’un des plus longs pontificats de l’histoire avec Jean-Paul II, la sécularisation, la mondialisation et la coexistence sans précédent de deux papes au Vatican.

Ratzinger est une figure de l’histoire de notre temps dont la vie reflète les événements des XXe et XXIe siècles à travers sa carrière personnelle, théologique et ecclésiale.

Seewald s’est plongé dans sa personnalité, dans les vicissitudes dramatiques de sa vie, et est arrivé – grâce à la reconstitution d’événements tels que l’affaire Williamson et les Vatileaks, en plus de son surprenant renoncement au pontificat – à peindre un tableau détaillé du 265e successeur de Pierre.

Dans cette interview exclusive pour Aleteia, le journaliste exprime sa conviction que le pape émérite n’est jamais devenu un « shadow pope » [pape de l’ombre]. Au contraire, il a toujours veillé à ne pas entraver l’action de François. Pourtant, « Benoît n’a jamais fait vœu de silence », a-t-il précisé.

Il est à noter que le nouveau livre inclut la plus récente interview inédite du pape Benoît XVI depuis sa retraite du Vatican. L’interview a eu lieu à l’automne 2018.


Aleteia : Voici une question qui résume les nombreuses questions que nous recevons des lecteurs au sujet du pape émérite : Quel est l’état de santé physique, émotionnel et psychologique de Benoît XVI après avoir subi son éruption faciale (érysipèle), l’expérience de la mort de son frère et ses limites physiques ?

Seewald : L’érysipèle était très douloureux. Mais depuis, le pape émérite s’est complètement remis et est de nouveau en forme, autant qu’il se peut pour un homme de 93 ans physiquement fragile. Il célèbre la Sainte Eucharistie tous les jours, médite, lit, fait de courts déplacements en fauteuil roulant, et envoie et reçoit du courrier.
Et il a le sens de l’humour et garde confiance face à toutes les tribulations concernant l’Église et le monde dont il doit entendre parler chaque jour dans les nouvelles.

Aleteia : Benoît XVI a été le premier pape à démissionner en près de 600 ans. En tant que biographe, considérez-vous qu’il est impératif de faire connaître d’autres mérites de la doctrine et de la vie du pape Ratzinger afin que l’histoire ne réduise pas son héritage au moment de sa démission? Quels aspects biographiques humains de la vie et de l’œuvre de BXVI mettriez-vous en avant ?

Seewald : Les adversaires de Ratzinger – « mes non-amis« , dirait-il – ne se lassent jamais de répéter un de leurs dictons favoris: Benoît XVI n’était pas le bon pape, et sa démission a été son plus grand acte. Quelle absurdité ! Ce n’est pas sans raison que mon livre est devenu si long. Il y a beaucoup de choses à dire. Des choses très importantes, très excitantes et aussi très divertissantes.

La vie de Ratzinger est une biographie du siècle. Au fond, Benoît est peut-être le seul pape dont l’œuvre était grande et importante avant même son pontificat. Il a commencé comme une jeune étoile qui a su transmettre l’enseignement chrétien avec une fraîcheur nouvelle, avec la plus grande intelligence et en même temps , en tant que théologien du peuple, dans toute sa simplicité et sa beauté. Sans la contribution de Ratzinger, le Concile Vatican II n’aurait jamais ouvert les choses comme il l’a fait.

Ses livres sont devenus des best sellers mondiaux et ont confirmé ou même amené la foi à des millions de personnes dans le monde entier. Il en est résulté d’innombrables vocations sacerdotales. Il a été le premier pape de l’histoire à présenter une christologie révolutionnaire. Sa déclaration de tolérance zéro et ses nouvelles normes ont marqué le début d’une nouvelle ère dans la poursuite et l’expiation des abus sexuels dans l’Église, même si beaucoup plus aurait dû être fait.

La plus grande importance de Benoît XVI réside probablement dans son orthodoxie inébranlable. Il est prêt à être détesté et à être attaqué. En retour, tout le monde savait que tout ce qu’il faisait et disait pouvait être dérangeant, mais que cela correspondait fidèlement à l’enseignement de l’Évangile, du Concile et de la tradition catholique.

Aleteia : Selon vous, quelle a été la réponse la plus surprenante que Joseph Ratzinger vous a donnée lors de ses longues interviews ?

Seewald : Ratzinger est la personne la plus intelligente que j’ai jamais rencontrée. Et il est toujours facile pour lui de vous surprendre. En vérité, il est resté un penseur moderne, bien que certainement pas moderne dans le sens d’une dilution de la foi.

J’ai trouvé une réponse surprenante et particulièrement belle dans notre premier livre d’entretiens, Le sel de la terre, de 1996. Je lui ai demandé : « Votre Éminence, combien y a-t-il de chemins vers Dieu ? » Il n’a pas eu à y réfléchir à deux fois et a répondu sans hésiter : « Autant qu’il y a de personnes. »

Aleteia : François affirme que Benoît XVI est comme un grand-père ou un membre de sa famille pour lui. Cependant, il y a des voix critiques à l’intérieur et à l’extérieur de l’Eglise qui appellent à une réforme canonique pour empêcher un pape émérite, à travers sa vie publique et ses déclarations d’agir comme un contrepoids au souverain pontife ou au pontife actif. Benoît XVI est-il conscient que tout ce qu’il écrit ou dit crée un contrepoids inévitable ou provoque des débats qui renforcent ceux qui n’aiment pas le Magistère ou les réformes du pape François ?

Seewald : Bien sûr qu’il est conscient de cela. Il le savait déjà quand on ne savait même pas qui serait son successeur. Déjà avec sa déclaration de renonciation, il a promis son obéissance absolue. Le pape est le pape. Il ne doit pas y avoir de shadow pope ni même de pape parallèle. Ces jours sont révolus. Mais cela ne signifie pas qu’on soit d’accord avec tout ce que dit le Pasteur Suprême de l’Eglise.

Il n’y a jamais eu une situation comme celle que nous connaissons aujourd’hui, avec un pape au pouvoir et un autre qui a abdiqué. Mais qui sait ? Peut-être que bientôt, nous aurons même deux vieux papes, puis trois hommes habillés de blanc. Benoît XVI a créé une nouvelle tradition avec tout ce qu’il a fait, que ce soit par sa démission ou par son lieu de résidence.

Il avait annoncé qu’il se retirerait en silence. Et il l’a fait. Mais cela ne veut pas dire qu’il doit abandonner sa façon de penser ou faire vœu de silence. Il a déjà donné à son successeur un ou deux conseils, très discrètement. Et il est à ses côtés, priant pour lui chaque jour.

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