Giuseppe Rusconi (« Rosso porpora ») a lu “Un altro Papa – Ratzinger, le dimissioni e lo scontro con Bergoglio” le dernier livre de Marco Ansaldo, vaticaniste de Repubblica. On en apprend de belles, entre les confidences de « don Georg », le rôle de Francesca Immacolata Chaouqui – l’étrange protagoniste des Vatileaks -, et les corbeaux qui alimentent en ragots des journalistes peu scrupuleux en mal de scandales.

Des livres qui stimulent la réflexion sur différents thèmes

[Le livre d’Ansaldo est le premier de cinq livres qui sont recensés ici par Giuseppe Rusconi]

Giuseppe Rusconi
Rosso Porpora
30 décembre 2020
Ma traduction

« Ici au Vatican, parfois, on ne sait pas ce qui va se passer demain. Tout est devenu extrêmement imprévisible. La perception, de temps en temps, est celle d’une barque. Cela va un peu par-ci et un peu par-là ».

Qu’en pensez-vous ? L’incipit est alléchant, surtout si l’on découvre qu’il s’agit de Mgr Georg Gänswein, bref de don Georg, le très fidèle secrétaire particulier (depuis 2003, mais ils se connaissaient déjà depuis quelques années) de Joseph Ratzinger. Mais l’incipit de quoi ? D’un livre au titre tout aussi alléchant: “Un altro Papa – Ratzinger, le dimissioni e lo scontro con Bergoglio” (Un autre pape – Ratzinger, la démission et le choc avec Bergoglio »). L’auteur est un collègue qui est avant tout un expert en histoires à scandales, bref, pas un débutant frou frou [en français dans le texte], de ceux qui fourmillent dans le journalisme aujourd’hui : Marco Ansaldo, à sa grande surprise vaticaniste pour Repubblica de 2010 à 2017. Enorme, si l’on considère le lien intellectuel et affectif du fondateur [Scalfari] avec Sainte Marthe.

Eh bien, dans le livre Ansaldo rapporte (entre guillemets) le récit de trois rencontres en face à face où don Georg exprime – sur un ton souvent peiné – son état d’esprit sur ce qui se passe dans les murs léonins, sans trop de détours: « Il n’y a même pas une question de ma part – note Ansaldo – j’écoute simplement ». Les témoignages répétés de don Georg sont naturellement fondamentaux dans le livre, mais – en parcourant les 150 pages du texte – on trouve d’autres points juteux (et souvent pas exactement positifs) pour ceux qui veulent en savoir plus sur la vie du Vatican ces dernières années.

Essayons d’extrapoler du livre quelques points (affirmations, thèses) qui frappent indubitablement le lecteur (mais ne sont certainement pas exhaustifs de tout le contenu).

Le premier: la renonciation du pape Benoît XVI au ministère pétrinien découle avant tout de « raisons de santé et d’âge ». Gänswein dixit et cela reste en tout cas la version la plus plausible rationnellement, la plus logique rappelant aussi ce que Joseph Ratzinger avait déclaré à plusieurs reprises.

Deuxième point : « L’intention du scandale Vatileaks était de frapper le cardinal Tarcisio Bertone (Gänswein dixit), mais « par ricochet, l’affaire a fini par affecter le pape Ratzinger lui-même ». Plus loin dans le livre, cependant, Ansaldo corrige, en citant « un des Corbeaux » : « Nous avons ciblé Bertone afin de le coincer. Et une campagne massive a été montée contre le secrétaire d’État. Mais la véritable cible est Ratzinger. C’est lui qu’il faut écarter pour obtenir un autre Pape, complètement différent« .

Troisième point: la coexistence pas facile (au-delà du côté humain) entre les deux papes. Loin de la « continuité » Ratzinger-Bergoglio, mise en évidence à tout bout de champ (et peut-être de façon compréhensible) par les thuriféraires de la cour! La situation, note Ansaldo, s’est précipitée (après plusieurs avertissements retentissants) au début de l’année 2020, avec la destitution de don Georg de la direction de la Préfecture pontificale suite à la publication en France du livre « Des profondeurs de nos cœurs » signé par le cardinal Robert Sarah et Benoît XVI. Confirmations, démentis, agitation… bref, Sainte Marthe n’a pas digéré et don Georg y a laissé des plumes. Cependant, la question – observe Ansaldo – a révélé « la réelle impossibilité non seulement d’une coexistence, déjà problématique en soi, sous le même toit du Saint-Siège, mais aussi la contrainte d’un accord, dans une continuité impossible et en fait irréalisable, entre deux Pontifes si différents de tempérament, de parcours personnel et spirituel, d’ancrage évangélique et doctrinal ».

Quatrième point: un chapitre est consacré à un « volcan entreprenant de femme, calabraise de mère, égyptienne de père » qui « avait encore fait des siennes » : Francesca Immacolata Chaouqui, la PR (public relation) qui avait ensorcelé durant des années (grâce à des artifices objectivement assez mystérieux) des laïcs et des consacrés, retournant même ce misérable Mgr Vallejo Balda. Ansaldo, qui nourrit à son égard une reconnaissance professionnelle et manifestement aussi une certaine admiration, écrit : « À Rome, j’ai assisté à des scènes incroyables en compagnie de Francesca Chaouquì. (…) Elle conduisait sa Smart blanche comme d’habitude de manière imprudente, la laissant garée dans les endroits les plus impensables du centre historique de Rome, ne se souciant littéralement pas des amendes qui pleuvaient sur son tableau de bord ». Peu après sa nomination en tant que vaticaniste pour Repubblica, Ansaldo reçut un appel de l’irrécupérable ensorceleuse, accepta de la rencontrer et de là a commencé une telle collaboration qu’ils ont fini par « s’appeler tous les jours ». Il est certain que Chaouquì était « une source précieuse » pour le journal de Scalfari et une fois – Ansaldo se souvient encore – elle a passé « une demi-matinée à discuter avec l’un des hommes les plus influents et les plus puissants du monde de l’information italienne (…) ». Eugenio Scalfari en personne, déjà engagé dans ses rencontres avec le locataire de Sainte Marthe.

Cinquième point : non seulement Francesca Immacolata, mais aussi divers Corbeaux ont abondamment fourni Ansaldo et Repubblica en nouvelles et rumeurs venant du Vatican. Que ce soit « dans un bar de banlieue », « dans des restaurants des quartiers chics » ou « dans les trattorias de la zone de Borgo Pio », durant les années « chaudes », du matériel explosif à usage journalistique a été injecté dans les oreilles d’Ansaldo (mais aussi dans celles d’autres personnes), dont le destinataire a fait bon usage, à tel point que l’on peut lire dans le livre : « Le fait de pouvoir compter sur ces ‘gorges profondes‘ s’est avéré décisif. Sans eux, je n’aurais jamais pu informer les lecteurs de La Repubblica de toutes les choses passionnantes, politiquement et éthiquement pertinentes qui se passaient dans ce petit État, seulement fragile en apparence mais crucial pour le monde ».

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