Belle critique, sur la Bussola, de la monumentale biographie de Benoît XVI par Peter Seewald, sortie récemment en italien.

De Ratzinger à Benoît XVI, le récit d’une vie

Fabio Piemonte
La NBQ
3 février 2021
Ma traduction

De l’enfance aux côtés de ses parents qui récitaient le chapelet ensemble tous les jours jusqu’à son élection au trône de Pierre puis son renoncement. Dans la puissante biographie « Benoît XVI. Une vie », l’écrivain et journaliste Peter Seewald retrace l’existence de Joseph Ratzinger, alternant discours publics et « confessions » privées de l’actuel pape émérite, qui a fait face aux défis contemporains de l’Église avec charité mais sans craindre de paraître dérangeant au monde.

« Joseph Ratzinger a fait l’histoire. Petit nouveau au Concile, novateur en théologie, préfet qui, aux côtés de Karol Wojtyla, a mené l’Eglise dans une phase historique tumultueuse. Il a également été le premier pape à démissionner pour raisons d’âge : jamais auparavant il n’y a eu de « pape émérite ». Jamais auparavant, et du jour au lendemain, un seul homme n’a changé la papauté de manière aussi décisive ».

C’est Peter Seewald qui l’écrit dans la puissante biographie « Benoît XVI. Une vie », consacrée justement au pape émérite. L’écrivain allemand qui, de 1992 à aujourd’hui, a eu l’occasion de lui poser quelque deux mille questions, décrit Ratzinger comme « l’un des penseurs les plus intelligents de notre temps », qui « a montré que la religion et la raison ne sont pas en opposition ».

Seewald note l’habitude que Ratzinger a prise dès la maternelle de préférer le crayon au stylo pour l’écriture, afin d’avoir toujours la possibilité d’effacer. Une habitude qui devait l’accompagner aussi dans l’écriture de ses livres. « Dans sa jeunesse, souligne Seewald, il aimait aussi composer de la poésie, mais il se sentait surtout appelé à ‘transmettre ce qui est connu’, en allant toujours plus loin ». Et il l’a fait en combinant l’esprit et le cœur, « d’une manière émotionnelle en ce qui concerne les expériences intérieures et spirituelles, et d’une manière rationnelle lorsqu’il a considéré le message de la foi également comme un défi intellectuel ».

Une foi solide, que celle des Ratzinger, cultivée dans les murs du foyer depuis l’enfance; ainsi « plus les pressions de la dictature et la misère générale augmentaient, plus la dévotion de la famille devenait intense. Les parents récitaient le chapelet ensemble chaque jour ». Après le dîner, tous ensemble, ils récitaient le Notre Père plusieurs fois et invoquaient la protection de saint Jude Thaddeus pour une bonne mort et celle de sainte Disma pour être libérés des voleurs et des criminels. Dans une famille modeste, il a appris à « concilier la vie avec ce qui est possible et à trouver de la joie dans peu de chose – c’était en substance l’ora et labora de la règle de Saint Benoît ». Devenu professeur à Tübingen, il consacre une partie de son salaire pour payer les études de ses étudiants les plus pauvres. Parmi ses dons, on trouve aussi une grande humilité et une grande réserve. En fait, « on le percevait comme un théologien génial, mais il n’a jamais fait étalage de sa particularité. Il n’a même jamais laissé dire qu’il était le ‘chef’. Pourtant, à l’école, ses compagnons l’appelaient en plaisantant « Joseph l’omniscient ».

Concernant la menace représentée par le pouvoir d’Hitler, Joseph écrit: « Dans la foi de mes parents, j’avais trouvé la confirmation que le catholicisme était le rempart de la vérité et de la justice contre le royaume de l’athéisme et du mensonge représenté par le national-socialisme ».

Sa passion pour les études philosophiques et théologiques, en particulier pour saint Augustin, dont il affirme: « Je le sens comme un ami, un contemporain qui me parle », l’amène à partager la même aspiration existentielle que l’évêque d’Hippone, c’est-à-dire à prendre conscience que « plus vous connaissez Jésus, plus son mystère vous attire; plus vous le rencontrez, plus vous êtes poussés à le chercher ».

Les cours du professeur Ratzinger sont très suivis; les notes pour ses cours « étaient écrits dans une sténographie qu’il avait lui-même inventée et ne contenaient que les grandes lignes des principaux sujets qu’il entendait traiter. Dans l’amphi, il parlait a braccio, en utilisant des phrases très claires et pleines d’images… ».

Ratzinger participe au Concile Vatican II en qualité d’expert (peritus) et rappelle sa position d’alors en ces termes : « J’étais certainement progressiste. A cette époque, le progressisme ne signifiait pas rompre avec la foi, mais apprendre à mieux la comprendre et à la vivre de manière plus juste, en repartant de ses origines« . En effet, dans le même temps, « il était convaincu que la simple intention de s’adapter au monde, sans trouver un juste équilibre avec la tradition, conduirait l’Eglise non pas à gagner de nouveaux fidèles, mais à se perdre elle-même« .

Intelligence aiguisée, capacité à aimer dans la vérité, zèle pastoral pour les voisins et les lointains distinguent Joseph Ratzinger, y compris lorsqu’il devient Benoît XVI. « Sa communication était encore souvent celle d’un homme de bureau, dont le caractère réservé et délicat n’était pas conçu pour s’adapter aux médias« . Au lieu d’utiliser des slogans, Benoît XVI préfère les contenus, les arguments pour expliquer l’espérance chrétienne. Au contraire, les journaux et les programmes d’information extrapolent fréquemment certaines de ses phrases pour manipuler l’information. Les attaques injustifiées contre ses déclarations concernant la question des préservatifs en Afrique, le prétendu manque de rigueur dans le traitement des cas de pédophilie au sein de l’Église et l’affaire Vatileaks en sont des exemples. Autant de prétextes pour frapper Benoît XVI et, avec lui, salir toute l’Eglise.

Et pourtant, avec un travail apostolique patient, il poursuit jusqu’au bout l’œuvre de « démondanisation » de l’Église, jetant les bases d’une nouvelle évangélisation, à laquelle il contribue d’arrache-pied par de profondes encycliques, d’admirables catéchèses et le splendide ouvrage « Jésus de Nazareth » : « Son objectif était de continuer à résister, de rester dérangeant, incommode, de démontrer une fois de plus que la foi chrétienne allait bien au-delà de tout ce qui est lié à une vision purement mondaine et matérialiste du monde, y compris le secret de la vie éternelle ».

Complètement aveugle de l’œil gauche à cause d’une maculopathie et souffrant d’une arthrite au genou droit qui l’empêche de se déplacer, il démissionne avec une admirable liberté intérieure, soucieux uniquement de suivre le mystérieux plan d’amour du Père. Et, en ce qui concerne la mission inédite de pape émérite, Benoît XVI a déclaré à son intervieweur qu’elle consiste à « servir le Siège d’autrefois dans l’intériorité de sa propre relation avec Dieu, dans la participation et le dévouement de la prière ». En ce qui concerne sa relation avec le pape François, il admet enfin que son amitié avec lui « s’est accrue au fil du temps ».

La biographie de Seewald, qui consacre quelque 900 pages à la vie de Joseph Ratzinger avant son ascension sur le trône de Pierre, se lit agréablement comme un roman car elle consacre également une large place au contexte historique et aux nombreuses histoires des coulisses de l’Eglise, du débat théologique international au récit du conclave, en alternant habilement des extraits de discours publics et des « confessions » privées inédites de « l’humble ouvrier dans la vigne du Seigneur »…

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