S’interrogeant (entre autre) sur les implications de l’élection de Joe Biden pour l’Eglise, Roberto de Mattei s’introduit à son tour dans le débat à multiples facettes suscité par le discours du 30 janvier de François au Bureau catéchétique de la CEI, quand il déclarait que ceux qui refusaient Vatican II se plaçaient de facto hors de l’Eglise.

Voir à ce sujet:

Aujourd’hui, les critiques du Concile Vatican II ne viennent pas d’une minorité de traditionalistes entêtés, mais d’un nombre croissant de catholiques qui ont pris note des conséquences catastrophiques de Vatican II.

L’obéissance à Vatican II est l’acquisition, structurelle, de son « caractère pastoral ». C’est-à-dire d’une différence entre « substance de la tradition » et « formulation de sa présentation ». La grande saison inaugurée par le Concile Vatican II – nous n’en sommes qu’au début – passe par une profonde remise en question des ‘formes institutionnelles’ par rapport à la ‘substance de la tradition’ « 

Le Pape François, Biden, et les catholiques post-institutionnels

Roberto de Mattei
www.corrispondenzaromana.it
10 février 2021
Ma traduction

Quel sera l’impact de l’élection de Joe Biden sur la vie de l’Eglise ?
Biden est le deuxième président catholique de l’histoire des États-Unis après John Fitzgerald Kennedy, mais, comme l’observe Massimo Faggioli dans son récent livre « Joe Biden e il cattolicesimo negli Stati Uniti« , il est confronté à une situation inversée. Kennedy avait le problème de concilier sa foi religieuse avec un pays où la classe supérieure avait toujours été protestante et où les catholiques étaient considérés comme un corps extérieur, ayant tendance à être peu éduqués, plus loyaux envers le pape qu’envers les libertés démocratiques. Mais aujourd’hui, les catholiques font partie de l’establishment, du gouvernement à la Cour suprême, et le problème de Biden est de remédier à la division qui existe au sein du monde catholique, polarisé entre deux camps politiques et religieux. Cette polarisation a été exacerbée après la défaite d’Hillary Clinton en 2016, lorsque le pape François est devenu l’icône de la gauche internationale et que Donald Trump a été contraint de se présenter comme une figure alternative à son pontificat.

Aujourd’hui, Trump est hors jeu, l’archevêque Carlo Maria Viganò, qui a donné une voix à l’anti-bergoglianisme américain, est affaibli, tandis que la position du pape François, qui dans le nouveau président américain Biden n’a plus un ennemi, mais un allié, a été renforcée. Les récentes déclarations de François, qui pourraient préluder à une condamnation de ses opposants internes, ne sont donc pas surprenantes, mais elles soulèvent aussi de nombreuses questions. Lors de l’audience du 30 janvier 2021, s’adressant aux membres du Bureau Catéchétique de la Conférence épiscopale italienne, le Pape François a déclaré que le Concile Vatican II « est le magistère de l’Église ». Soit vous êtes avec l’Église et donc vous suivez le Concile, et si vous ne suivez pas le Concile ou si vous l’interprétez à votre manière, comme vous le souhaitez, vous n’êtes pas avec l’Église ». « Nous devons sur ce point être exigeants, stricts. Le Concile ne doit pas être négocié ».

De ces déclarations, on croit comprendre que, selon le pape François, ceux qui critiquent le Concile Vatican II se placent en dehors de l’Église. Cependant, aujourd’hui, les critiques du Concile Vatican II ne viennent pas d’une minorité de traditionalistes entêtés, mais d’un nombre croissant de catholiques qui ont pris note des conséquences catastrophiques de Vatican II. Massimo Faggioli écrit dans son livre que « depuis les années 1980 et 1990, aux États-Unis (et ailleurs), un catholicisme se forme qui est de plus en plus critique à l’égard du Concile Vatican II et de ses ouvertures » ; « une nouvelle génération de catholiques réexamine ce qui s’est passé dans l’Église entre les années 1950 et 1970, et réagit contre la théologie qui a été produite par le Concile Vatican II » (p. 164). Est-ce ce courant de pensée qui est la cible polémique du pape François ?

Ensuite, en ce qui concerne les traditionalistes, une lettre de la Commission Ecclesia Dei du 25 mars 2017, signée par le cardinal Gerhard Müller, a communiqué la décision du pape François d’accorder à tous les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X « les facultés de confesser valablement les fidèles, afin d’assurer la validité et la légalité du sacrement qu’ils administrent » et d’autoriser les évêques locaux « afin qu’ils puissent également accorder des licences pour la célébration des mariages des fidèles qui suivent l’activité pastorale de la Fraternité ». Comment concilier cette bienveillance à l’égard de la position de la Fraternité Saint-Pie X, l’institut religieux qui rejette le plus fermement le Concile Vatican II, avec les déclarations selon lesquelles ceux qui critiquent Vatican II sont en dehors de l’Église? Que signifie d’ailleurs « suivre Vatican II »? Observer ses documents à la lettre? Mais ces documents sont largement ignorés, à commencer par les indications sur les questions liturgiques dans la constitution Sacrosanctum concilium. D’autres documents du Concile ne sont pas clairs et se prêtent à des interprétations opposées. Le pape François partage-t-il « l’herméneutique de continuité » de Benoît XVI, selon laquelle ces documents doivent être interprétés en cohérence avec la Tradition de l’Église, ou ces documents doivent-ils être interprétés selon « l’esprit du Concile », comme le voudrait l’école de Bologne? Dans ce deuxième cas, l’herméneutique de Benoît XVI doit-elle aussi être considérée en dehors de l’Église ?

Dans sa déclaration du 30 janvier, le pape François a déclaré que l’opposition à Vatican II lui fait penser à « un groupe d’évêques qui, après Vatican I, est parti, un groupe de laïcs, des groupes, pour continuer la ‘vraie doctrine’ qui n’était pas celle de Vatican I: ‘Nous sommes les vrais catholiques’. Aujourd’hui, ils ordonnent des femmes. L’attitude la plus sévère, garder la foi sans le Magistère de l’Eglise, vous mène à la ruine. S’il vous plaît, pas de concessions à ceux qui tentent de présenter une catéchèse qui n’est pas en accord avec le Magistère de l’Eglise ».

Le pape François se réfère historiquement aux « vétéro-catholiques » qui, en 1870, ont rejeté le dogme de la primauté papale, ont été excommuniés et ont quitté l’Église. Mais certains théologiens ultra-progressistes, comme Andrea Grillo, n’ont pas apprécié les critiques du pape François à l’égard de ces catholiques dissidents. Grillo oppose leur désobéissance à « l’obéissance » du chancelier allemand Otto von Bismarck, qui accepta par intérêt la position de Vatican I afin de mieux contrôler les évêques allemands. La position de Bismarck, selon Grillo, « signalait une dérive possible: la réduction au pape de toute autorité dans l’Église. Chose que, près d’un siècle plus tard, Vatican II a ré-élaboré avec soin ». « Le fait est que l’obéissance à Vatican II est l’acquisition, structurelle, de son « caractère pastoral ». C’est-à-dire d’une différence entre « substance de la tradition » et « formulation de sa présentation ». La grande saison inaugurée par le Concile Vatican II – nous n’en sommes qu’au début – passe par une profonde remise en question des ‘formes institutionnelles’ par rapport à la ‘substance de la tradition’ « . « Ainsi, nous pouvons constater que quelques-uns des éléments qui ont conduit certains, il y a 150 ans, à « ne pas accepter » Vatican I, aujourd’hui, à la lumière de Vatican II, sont peut-être devenus patrimoine commun ».

La « refonte des formes institutionnelles » que Grillo espère est la même que celle que Faggioli critique dans son livre, dénonçant la stratégie perdante de ce qu’il appelle les catholiques « post-institutionnels ». Grillo et Faggioli appartiennent tous deux aux rangs de la gauche catholique, mais Faggioli rejette « l’option post-institutionnelle » du progressisme américain et espère que Biden pourra ramener le catholicisme libéral dans le giron institutionnel pour endiguer l’avancée des conservateurs. Le « post-institutionnalisme » est cependant une impasse non seulement pour les progressistes, mais aussi pour les conservateurs et les traditionalistes. Tant que les critiques du Concile Vatican II respectent, dans la forme et le fond, la hiérarchie de l’Église, leur condamnation ne peut aller au-delà d’une rebuffade médiatique. Pour une censure canonique, les présupposés logiques font défaut, avant même les présupposés juridiques. Le cas de ceux qui ont voulu prendre une position extra-institutionnelle, incitant à une révolte ouverte contre la hiérarchie ecclésiastique, serait différent. Il ne serait pas difficile, dans ce cas, de trouver des motifs pour une condamnation qui, tout en étant canoniquement limitée à l’acte de désobéissance, sur le plan médiatique, serait fallacieusement étendue à tous les opposants au Concile Vatican II. La raison de respecter la dimension institutionnelle de l’Église n’est pas politique, mais surnaturelle. Il est légitime, en certaines occasions, de corriger filialement les hommes d’église, y compris le Pape, mais dans le Corps Mystique du Christ, l’âme ne peut être séparée du corps, l’élément spirituel ne peut être séparé de l’élément juridique, l’invisible du visible. C’est le mystère profond mais vivifiant de l’Église catholique.

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