Du 28 février: « Il y a huit ans, la porte du palais papal de Castel Gandolfo se refermait, clôturant ainsi, de manière symbolique mais silencieuse, le grand pontificat de Benoît XVI« . Andrea Gagliarducci n’en finit pas de chercher les responsabilités des journalistes, et de dénoncer le malentendu dramatique entretenu par la narration médiatique [*]. On perçoit de sa part une grande nostalgie, et, en creux, une critique de plus en plus claire du pontife actuel – bien qu’il ne soit jamais nommé.

[*] Et ce n’est pas fini si l’on en juge par l’interview que le Pape émérite aurait « accordée » au Corriere della Sera. Avec tout le respect et l’affection que j’ai pour lui et que personne ne peut mettre en doute, je la trouve surréaliste. Et de la part des journalistes qui le harcèlent jusque dans sa retraite de Mater Ecclesiae, on peut carrément parler d’abus de faiblesse.

Andrea Gagliarducci
Vatican Reporting
28 février 2021
Ma traduction

« Je n’appartiens plus à l’ancien monde, mais le nouveau n’a pas encore vraiment commencé ». Le pape émérite Benoît XVI a confié cette phrase à son biographe Peter Seewald, et c’est une phrase qui me fait réfléchir. Surtout aujourd’hui. Parce qu’un jour comme aujourd’hui, il y a huit ans, la porte du palais papal de Castel Gandolfo se fermait, fermant ainsi, de manière symbolique mais silencieuse, le grand pontificat de Benoît XVI.
La vraie question, huit ans après la fin du pontificat de Benoît XVI, est de savoir ce que nous avons laissé derrière ce portail il y a huit ans. Parce qu’un nouveau pontificat est arrivé, avec tout ce que cela implique. Il est arrivé dans un moment traumatisant, comme la première démission d’un pontife de l’histoire moderne. Et il est arrivée, pourtant, avec l’idée de guérir du traumatisme d’une manière claire et nette. Comme si nous avions une griffure sur le cœur, et que nous ne trouvions rien de mieux que de remplacer directement le cœur, au lieu de le guérir.

J’ai depuis longtemps souligné que le pontificat de Benoît XVI contient un véritable magistère caché. Mais il n’était pas caché parce que le pape émérite le gardait secret. Il est caché parce qu’il a été oublié, parce qu’il a été réduit au silence. Comme s’il s’agissait d’un obstacle à ce qui devait arriver plus tard. Comme si rien de ce que Benoît XVI a dit ne pouvait avoir de valeur dans le nouveau monde.

Ce n’est pas un petit problème. Cette cancel culture au sein même de l’Église catholique peut être vue dans plein de petits gestes, dans plein d’articles vantant comme « nouvelles » ou « surprenantes » des choses qui en réalité étaient déjà présentes dans la vie de l’Église. Peut-être déclinées différemment, mais présentes.

Un exemple parmi d’autres : le thème de la démondanisation. Car la question d’une Église moins mondaine a été le dernier grand sujet soulevé par Benoît XVI, dans un débat qui a commencé avec son voyage en Allemagne en 2011 et qui a ensuite été développé dans de nombreux discours. C’était un thème central pour Benoît XVI, qui voulait avant tout une Église moins attachée aux structures, une Église qui avait avant tout un moteur spirituel.

L’amer « discours à la lune » du 11 octobre 2012, cinquante ans après celui de Jean XXIII, doit être lu dans ce sens. « Aujourd’hui aussi, nous sommes heureux », a dit Benoît XVI, « nous portons la joie dans notre cœur, mais je dirais une joie qui est peut-être plus sobre, une joie humble. Au cours de ces cinquante années, nous avons appris et expérimenté que le péché originel existe et se traduit, toujours à nouveau, par des péchés personnels, qui peuvent aussi devenir des structures de péché. Nous avons vu que dans le champ du Seigneur, il y a toujours de l’ivraie. Nous avons vu que dans le filet de Pierre, il y a aussi de mauvais poissons. Nous avons vu que la fragilité humaine est également présente dans l’Église, que le navire de l’Église navigue aussi avec un vent de face, avec des tempêtes qui menacent le navire et parfois nous avons pensé : ‘le Seigneur dort et nous a oubliés’ « .

Mais il faut aussi lire dans ce sens l’intervention a braccio devant le clergé romain du 14 février 2013, trois jours après l’annonce de la renonciation, quand le pape émérite a dénoncé avec force la présence d’un « concile des médias » et d’un « concile réel ».

Des paroles prophétiques, si elles sont appliquées à son pontificat, qui doivent être étudiées, comprises, analysées. C’est en cela que les médias ont échoué.

Ils ne l’ont pas fait seuls, bien sûr. L’Église elle-même a décidé d’appeler tout de manière nouvelle, comme si d’un coup de plume tout pouvait être effacé. Il existe des exemples pratiques : le 11e Forum international des Jeunes est qualifié de premier Forum après le Synode sur la jeunesse, l’Autorité d’information financière établie par Benoît XVI devient l’Autorité d’information et de contrôle financier et l’année prochaine elle publiera ce qui sera le premier rapport annuel sous ce nom, mais pas le premier rapport jamais publié. Et puis, les exemples symboliques, comme l’histoire du vignoble de Benoît XVI à Castel Gandolfo, mais aussi le fait que la Résidence papale elle-même est désormais un musée, qui n’est plus utilisé par le Pape. Et puis, les exemples narratifs, comme l’oubli presque complet de tout ce qui a précédé dans l’Église, y compris l’enseignement de Jean-Paul II.

Pourtant, nous, les journalistes qui écrivons sur des sujets religieux, devrions savoir qu’il n’y a pas de maintenant sans avant, et que rien ne pourrait être fait sans qu’il y ait eu une base solide auparavant. Face au traumatisme de l’Eglise, qui semble parfois avoir effacé d’un trait de plume le vécu comme un amoureux délaissé, les journalistes auraient dû éviter de céder à ce récit, ne pas nécessairement regarder l’actualité. Parce que l’information religieuse n’est pas constituée de nouvelles au sens propre du terme. Elle est faite d’histoires et d’Histoire, et celui qui fait vraiment de l’information religieuse est celui qui comprend ce qui est venu avant, qui sait tout mettre dans une logique, qui sait ne pas s’enthousiasmer mais analyser, ne pas exalter mais raconter.

Il faudrait un mea culpa, huit ans après la démission de Benoît XVI, parce qu’au fond, derrière cette porte, la plupart d’entre nous, journalistes, avons mis entre parenthèses un travail de huit ans. Des contacts ont été annulés, des articles ont été oubliés, tout a été mis de côté. Soit on n’y croyait pas avant, soit on ne s’en souvient pas. Soit ce n’était pas évident avant, soit, tout simplement, on ne voulait pas le voir.

Et pourtant, il suffirait de se pencher à nouveau sur l’enseignement de Benoît XVI, et aussi sur la façon dont il a communiqué, pour comprendre que toute cette façon de raisonner est erronée. Benoît XVI avait un impact parce qu’il ne parlait pas par slogans, mais donnait de la substance à ce qu’il disait. Il y croyait, même la chose la plus simple était en fait bien réfléchie. Tout avait une profondeur, et tout était enrichi par la dimension de la foi.

Mais sommes-nous capables aujourd’hui de lire et de raconter la foi? Sommes-nous capables d’aller au-delà des choses avant-dernières? Car cette porte qui se refermait derrière le Suisse, alors que Benoît XVI avait déjà disparu de la vue des fidèles, semble vraiment avoir fermé un monde. Mais le nouveau monde n’a jamais commencé.

Avec Benoît XVI, s’en est aussi allée la tentative de regarder l’Église au-delà de la polarisation, mais plutôt à travers ce qu’elle avait à dire. S’en est allée une manière de penser, de raisonner. Elle s’en est allée parce que nous l’avons laissé s’en aller.

Nombreux sont ceux qui se plaignent aujourd’hui de la démission de Benoît XVI. Mais ce n’est peut-être qu’une excuse. Simplement, Benoît XVI a donné une raison d’aller plus loin. Sans lui, on ne peut pas se mettre à la poursuite de l’histoire. Alors, on attaque celui qui a été un point de référence vivant, pour justifier un retour en arrière qui autrement serait injustifiable.

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