Andrea Gagliarducci met en parallèle deux évènements pratiquement concomitants: l’un, joyeux, l’anniversaire du Saint-Père; l’autre, funeste, le deuxième anniversaire de l’incendie de Notre-Dame. Occasion de souligner le lien spécial qui unit le Pape émérite et sa foi, et le cœur spirituel de la France.

Benoît XVI sur le parvis de Notre-Dame, 12 septembre 2008

Benoît XVI, Notre-Dame et son combat pour une foi non-humaine

Andrea Gagliarducci
Vatican Reporting
16 avril 2021
Ma traduction

Quand la cathédrale Notre-Dame de Paris a été enveloppée par les flammes d’un incendie le 15 avril 2019, différentes personnes se sont rassemblées autour de la cathédrale, sur les places, dans les rues, à genoux pour prier. Tous regardant ce monument de Paris en proie aux flammes, tous réalisant que derrière cette merveille architecturale se cachait un cœur, et que ce cœur était quelque chose de plus grand que ce que tout esprit humain pouvait concevoir. Et c’est vers ce cœur que la théologie de Benoît XVI a toujours regardé.

Comme par une ironie du sort, le pape théologien qui a construit des discours comme des cathédrales a son anniversaire le lendemain de l’anniversaire de l’incendie de Notre-Dame. Benoît XVI a aujourd’hui 94 ans, il a été plus longtemps Pape émérite que Pape, et il continue à vivre sa vie de prière, de foi, de réflexion, dans ce qui est un temps d’intercession. Peu importe que la voix de Benoît XVI soit devenue faible en raison de son âge avancé. Ce qui compte, c’est que sa pensée, lucide, reste ferme, solide et constitue un point de référence constant. Il est vieux, Benoît XVI, mais sa pensée reste jeune. Elle reste jeune parce qu’elle est comme le cœur de la cathédrale Notre-Dame : elle pointe droit vers Dieu.

D’ailleurs, Benoît XVI l’a dit en entrant dans la cathédrale de Paris lors de sa visite en France en 2008 : « Nous sommes ici dans l’église mère du diocèse de Paris, la cathédrale Notre-Dame, qui se dresse au cœur de la ville comme un signe vivant de la présence de Dieu parmi les hommes ».

Ce lien entre Benoît XVI et Notre-Dame doit être exploré, car il nous en dit long sur qui était le pape émérite, il nous permet encore plus de reconnaître ce pontificat caché dont peu se souviennent. Caché non pas parce qu’il était à l’abri des regards, mais parce qu’il était simplement si essentiel qu’il était invisible pour les yeux, comme dirait Le Petit Prince. Essentiel parce que tout le langage et la pensée de Benoît XVI ne visaient qu’une seule chose : tenter de raconter la foi, et la théologie qui tente d’expliquer la foi et la doctrine de la foi, avec les yeux de Dieu. Car pour Benoît XVI, ce qu’il fallait, ce n’était pas une foi humaine. Ce qu’il fallait, c’était une foi qui reconnaissait le fait d’être d’origine divine.

Alors que, deux ans après l’incendie de Notre-Dame, on magnifie le chantier international, on regarde l’œuvre de l’homme dans ce qui semble être une reconstruction laïque de la spiritualité médiévale, il vaut la peine de se souvenir du moment où le cardinal Joseph Ratzinger, alors préfet de la Congrégation de la doctrine de la foi, est allé conclure le cycle des conférences de Carême dans la cathédrale de Notre-Dame. C’était en 2001 (cf. benoit-et-moi.fr/2013-II/benoit/conference-de-careme-a-nd-de-paris).

De quoi avait parlé Joseph Ratzinger? Trois ans après [la lettre apostolique] Dies Domini de Jean-Paul II, le cardinal Ratzinger a parlé de l’importance du dimanche, parce que le dimanche comme jour de la Résurrection et l’Eucharistie comme rencontre avec le Ressuscité forment un tout. Nous devons donc nous concentrer sur le dimanche, parce qu’en nous arrêtant pour Dieu, Dieu redevient pour nous le point de départ et d’arrivée dans le temps.

Cela, on ne le comprend pas « lorsque l’on ne vit l’Église qu’à travers des réunions ou de la paperasse », et le repos « devient un objet de contrariété parce qu’il devient soit l’objet de notre action, soit quelque chose d’imposé, d’étranger. Nous ne connaissons l’Église de l’intérieur que lorsque nous faisons l’expérience de sa transcendance, lorsque le Seigneur entre en elle et en fait sa maison et que nous devenons soudainement frères et sœurs. C’est pourquoi la fête sacrée de l’Eucharistie est si importante. »

Ces paroles sont une critique du fonctionnalisme, de l’Église faite d’actions sociales, mais peu de la Parole vécue de l’Évangile.

Ce que Benoît XVI recherche, c’est une foi plus divine, pas une foi plus humaine. Et cela doit aussi se refléter dans la liturgie. Parce que – a dit Ratzinger à Notre-Dame – « nous ne faisons pas la liturgie par nous-mêmes. Nous ne sommes pas en train d’inventer quelque chose comme des comités de partis ou des présentateurs de télévision. Le Seigneur arrive. La liturgie a grandi, depuis le Christ et les apôtres, dans la foi de l’Église, nous y entrons, nous ne la faisons pas. Ce n’est que de cette manière que nous pouvons parler de la fête et de la célébration comme une anticipation de la liberté future indispensable à l’homme. On pourrait aussi dire que c’est le devoir de l’Église de nous proposer de vivre cette fête. La fête est née au cours de l’histoire humaine en tant qu’événement religieux et est impensable sans la présence du divin. C’est là qu’elle trouve sa véritable grandeur, où Dieu devient véritablement notre hôte et nous invite à son repas ».

On pense à Notre-Dame, à la nécessité constante de se rappeler qu’il s’agit d’un édifice de culte, et non d’un musée comme beaucoup voudraient le croire. Notre-Dame, dont l’âme est restée même lorsque l’église a été abandonnée, transformée en temple de la raison, a failli être démolie. Et pourtant, elle s’est relevée, grâce à un architecte de génie, Viollet le Duc, et à un ouvrage immortel, « Notre-Dame de Paris », de Victor Hugo.

Notre-Dame n’a pas été ressuscitée parce qu’elle est un chef-d’œuvre architectural, mais parce que son âme a toujours été là, intacte. Une âme qui a également permis de retrouver les reliques intactes après l’incendie, et même de trouver le moyen de reconstruire la très vieille horloge de la cathédrale.

La radio du diocèse de Paris porte également le nom de Notre-Dame. Le cardinal Ratzinger a été interviewé par cette radio le 6 novembre 1992, après avoir été donner une conférence à l’Académie des sciences morales et politiques. L’interview, diffusée le 12 novembre 1992, raconte un autre aspect de Benoît XVI tel que nous ne le (re)connaissons pas souvent. Le titre de l’article de résumé est déjà une indication: « Une image non conforme » [cf. www.paris.catholique.fr/cardinal-ratzinger-non-conforme-a.html].

Les rédacteurs écrivent:

« On dit de lui qu’il est rigide, mais il accepte les questions avec beaucoup de délicatesse. Il est responsable de la doctrine de l’Église, mais ne parle que de la foi. Le cardinal Ratzinger déroute ceux qui le rencontrent: l’image ne correspond pas au personnage ».

Mais c’est la suite de l’article qui est frappante :

« Sa fonction de préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi laisse penser qu’il est uniquement le gardien de la rectitude de la pensée catholique. Mais il se définit davantage comme le défenseur de la foi des pauvres et des faibles. Seule une certaine classe sociale, dit-il, a accès aux outils de communication. Tous les chrétiens n’ont pas cette possibilité d’être entendus: les simples chrétiens qui aiment l’Eglise et qui vivent le Mystère n’ont pas accès à ces instruments de communication. La congrégation est la voix de ces personnes. »

Le rôle de « gardien de la foi » n’est pas un rôle de pouvoir ou de censure. Bien sûr, Ratzinger admet qu’il y a parfois une forme de censure, lorsque la congrégation doit « dire, par exemple, qu’une pensée n’est plus une réflexion sur la foi mais une philosophie spécifique, incompatible avec la foi. C’est en effet une forme de censure… Chacun peut penser librement ce qu’il veut, mais personne ne peut dire que cette pensée doit être la foi de l’Église. »

Mais le point central est que le travail du préfet est un travail pour les pauvres. Il n’est pas un gardien de la doctrine, mais un défenseur de la foi des simples. Tout cela renverse complètement les paradigmes. Mais il les renverse parce que Benoît XVI vit d’une manière inversée par rapport au monde, qui est la manière catholique de voir les choses.

Dans cette interview de 1992, Ratzinger souligne que la Congrégation travaille également pour l’unité de l’Église. Mais cela « ne peut être réalisé qu’autour du contenu de Dieu, et non donné par nous ».

Le Catéchisme de l’Église catholique « n’est pas un manuel de morale », car le christianisme « n’est pas un moralisme, mais un don, une rencontre, un événement », c’est « Dieu qui nous parle, qui prend l’initiative, qui donne la grâce de répondre et la lumière pour assumer nos responsabilités ».

Ratzinger a également abordé le problème dans un autre document de la Congrégation, Sur certains aspects de l’Église comprise comme communion, mal accueilli car considéré comme un obstacle à l’œcuménisme. Une lecture « un peu superficielle », a commenté le cardinal Ratzinger, résultat d’un malentendu qu’il attribue précisément à une vision déformée de la nature de l’Église, car « nous voyons l’Église comme une association uniquement humaine. L’Église est un don de Dieu, une communion dans le mystère ».

Si nous ne voyons pas Benoît XVI sous cet angle, nous ne comprenons pas pleinement son pontificat. Nous en faisons un pontificat politique, nous plions sa signification à notre lecture de l’histoire. Mais ce qu’il y a de beau, chez Benoît XVI, c’est qu’il n’a pas essayé de tout plier à sa façon de lire l’histoire. Il a simplement essayé de vivre la foi.

Aujourd’hui, à 94 ans, Benoît XVI est plus vivant que jamais. Sa pensée est toujours à découvrir car elle se fonde précisément sur Dieu, qui est une source inépuisable. Il ne peut être catalogué dans aucun courant. Il reste là, à 94 ans, et il y restera toujours.

Tout comme le cœur de Notre Dame, la cathédrale de Paris qui n’a pas perdu son âme. Et qui ne la perdrait pas même si elle était rasée.

Ad multos annos, Benoît XVI

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