Celle que les médias ont essayé d’instrumentaliser en la présentant un peu abusivement comme « la féministe du Vatican », responsable un temps du supplément hebdomadaire de l’OR consacré aux femmes, nous remet en mémoire quatre discours fondamentaux pour comprendre le pontificat, prononcés entre le 24 février et le 24 avril 2005.

Le pont de Ratzinger entre la foi et le monde

Il Sismografo, 17 avril 2021
(Lucetta Scaraffia – « Quotidiano Nazionale »)
Ma traduction

Le Pape émérite a 94 ans: c’est la plus grande longévité de l’histoire pour un Pape. Dans sa dénonciation du relativisme, un magistère durable pour l’Église.

Benoît XVI nous surprend une fois de plus, lui qui avait quitté la papauté parce qu’il se sentait trop vieux: à 94 ans, il est devenu le pape ayant vécu le plus longtemps dans l’histoire, bien qu’il soit « émérite ». C’est lui qui, à première vue, semble avoir été le pontife le moins aimé de cette époque, celui qui a reçu le moins de consensus de la part des médias, qui pour finir l’ont toujours qualifié de conservateur, voire de réactionnaire, même au prix d’une mauvaise écoute de ses paroles. C’est plutôt vers Ratzinger, vers ses livres et ses homélies qu’il faut se tourner si l’on veut une évaluation sérieuse et globale du rapport entre l’Église et le climat du monde contemporain, si l’on veut comprendre qui nous sommes et où nous allons. Surtout dans quatre grands discours concentrés entre le 24 février et le 24 avril 2005 – pour la mort de Giussani (1), aux funérailles de Woityla (2), pendant la Missa pro eligendo romano pontifice (3) avant le début du conclave, et l’homélie pour le début du pontificat (4) – il a réussi en quelques phrases à synthétiser son regard critique et son programme adressé à une Eglise en crise profonde.

Aux nombreux catholiques qui confondent souvent foi et volontariat, il a rappelé (obsèques de don Giussiani):

A ce rythme, en remplaçant la foi par le moralisme, le croire par le faire, on tombe dans les particularismes, on perd surtout les critères et les orientations, et à la fin on ne construit pas, mais on divise.

Un moralisme qui sévit aujourd’hui dans nos sociétés, aussi sous la forme du politiquement correct, qui cherche à nous faire sentir justes « à bon marché », sans recourir à la référence d’une foi. Ainsi, la bonté devient souvent une forme d’activisme, consistant à faire quelque chose pour les autres sans aborder le problème sous-jacent qui est caché et auquel seul le christianisme apporte une réponse, à savoir trouver et donner un sens et un but à la souffrance.

Sa dénonciation la plus connue, celle pour laquelle il a été critiqué y compris dans de nombreux milieux catholiques, est celle contre le relativisme (Missa pro eligendo…):

Avoir une foi claire, selon le Credo de l’Église, est souvent taxé de fondamentalisme. Alors que le relativisme, c’est-à-dire le fait de se laisser porter ça et là par tous les vents de la doctrine, apparaît comme la seule attitude capable de faire face aux temps actuels. Une dictature du relativisme est en train de prendre forme, qui ne reconnaît rien comme définitif et qui ne laisse comme mesure ultime que son propre ego et ses désirs. Nous avons, au contraire, une autre mesure: le Fils de Dieu, l’homme véritable. Il est la mesure du véritable humanisme.

Une affirmation qui va à l’encontre des modes culturelles qui prêchent une tolérance qui devient indifférence et même cynisme envers toute forme de vérité, et laisse les êtres humains seuls et désespérés.

Ainsi, dans la solitude et le désespoir de l’être humain qui ne se reconnaît plus comme faisant partie de la création, mais veut seulement la dominer, il voit les racines de la destruction de la nature, la première maladie de notre temps (Messe d’intronisation):

Il y a le désert de l’obscurité de Dieu, du vide des âmes qui n’ont plus conscience de la dignité et du parcours de l’homme. Les déserts extérieurs se multiplient dans le monde, car les déserts intérieurs sont devenus si vastes. Ainsi, les trésors de la terre ne sont plus au service de la construction du jardin de Dieu, dans lequel tous peuvent vivre, mais sont asservis aux puissances d’exploitation et de destruction.

Même si nous avons recours à ses mots et à ses livres pour comprendre, l’extrême fragilité et la luminosité de sa vieillesse nous rappellent la chose la plus importante (Missa pro eligendo…):

Tout homme veut laisser une trace qui demeure. Mais que reste-t-il? L’argent, non. Les bâtiments ne restent pas non plus, les livres non plus. Après un certain temps, plus ou moins long, toutes ces choses disparaissent. La seule chose qui reste dans l’éternité est l’âme humaine, l’homme créé par Dieu pour l’éternité. Le fruit qui reste est donc ce que nous avons semé dans les âmes humaines : l’amour, la connaissance, le geste capable de toucher le cœur ; la parole qui ouvre l’âme à la joie du Seigneur.

NDT

(1) Homélie pour les obsèques don Giussiani: benoit-et-moi.fr/2012-I

(2) Homélie pour les funérailles de Jean-Paul II: www.vatican.va/gpII/documents/homily-card-ratzinger

(3) Missa pro eligendo romano pontefice: benoit-et-moi.fr/2009

(4) Messe d’inauguration du pontificat: www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/homilies/2005/documents/hf_ben-xvi_hom_20050424_inizio-pontificato

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