Il y a bien plus grave en ce moment que le coronavirus, nous dit le blogueur argentin The Wanderer: il y a le changement radical qui est en train de se produire dans l’Eglise, dont le schisme allemand ne représente qu’un épiphénomène. Dans sa frénésie à se faire accepter du monde, l’Eglise a renoncé à revendiquer la vérité, et les hommes veulent faire les règles par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Ils veulent être comme Dieu. Mais qui est comme Dieu?

Quis ut Deus?

The Wanderer
9 mai 2021
(www.aldomariavalli.it)

Nous sommes tous conscients, je pense, que nous vivons des temps historiques qui annoncent un profond changement d’époque, et pas à cause du coronavirus, puisqu’au cours de l’histoire, il y a eu des centaines de pandémies et, quand elles se produisent, les choses restent plus ou moins les mêmes. Bien plus grave et décisif qu’un petit virus, il y a le changement profond qui s’est opéré dans l’Église catholique, une transformation qui peut provoquer des changements bien plus importants et radicaux.
Ce qui se passe en Allemagne, à mon avis, n’est rien d’autre que l’épiphénomène de ce qui se passe en profondeur dans toute l’Église, et les revendications que les Allemands formulent ouvertement seraient souscrites au plus profond de leur cœur par une bonne majorité d’évêques, de prêtres et de fidèles dans le monde entier.
Une longue interview donnée par le cardinal Müller, dans laquelle il décrit la situation en Allemagne, sert à démontrer le phénomène dont je parle. Nous sommes face à une Église, y compris en Argentine, en Espagne et dans le monde entier, qui a renoncé à revendiquer la vérité et à être la seule à posséder la vérité de la révélation, et qui se garde bien de se présenter avec ces titres, de peur d’être lapidée sur les places publiques des médias. L’Église, dans la pratique, a été réduite à l’éthique sociale et à la sentimentalité religieuse, et la seule légitimité qu’elle accepte est celle qui vient de l’intériorité de chaque catholique (pourquoi un prêtre devrait-il refuser la communion à un adultère si celui-ci, au fond de lui, sait qu’il est justifié dans son comportement?) Une telle Église est condamnée à l’insignifiance sociale, et c’est précisément ce qui se passe. Le grand théologien français Louis Bouyer, il y a plusieurs décennies, se moquait de ces catholiques qui couraient embrasser les ennemis de la foi en revendiquant leur modernité, leur ouverture d’esprit et leur fraternité universelle, et tout ce qu’ils obtenaient, c’était la moquerie et le mépris, la même moquerie et le même mépris que le pape François et d’autres figures ecclésiastiques similaires reçoivent aujourd’hui.

En quelques décennies seulement, l’Église catholique a cessé d’être et de s’autoproclamer religion surnaturelle pour devenir une religion civile qui a tout négocié pour se faire accepter par le monde. Quand un pape donne publiquement la communion à un protestant – la même chose que les Allemands feront ouvertement dans quelques jours – il remet en question la nécessité de la grâce; quand il embrasse, prie et signe des accords avec un musulman, il méprise la foi dans le Dieu trinitaire et la divinité de Jésus-Christ. Et ce que François a fait dernièrement, et ce que Paul VI et Jean-Paul II avaient également fait avec des variantes pas aussi prononcées, est partagé, sans aucun doute, par la grande majorité du clergé et des fidèles. Nous sommes face à une Église diluée: le sel a perdu sa saveur et n’est plus utile, sinon pour être jeté sur la route et piétiné par les voyageurs (Mt 5,13).

Avec l’arrivée de Bergoglio sur le trône de Pierre, un principe que le marxisme et tout le progressisme avaient largement utilisé depuis des décennies a été magistralement affirmé – et je souligne ce caractère affirmé par le pontife lui-même – : la réalité s’impose et les principes doivent s’y plier. C’est le nouveau super-dogme. L’idéal est le célibat des prêtres, la chasteté conjugale et la continence chez les jeunes, mais la réalité est que les prêtres rompent souvent leurs vœux, que la chasteté est peu répandue et qu’elle n’est pas observée dans les autres états de la vie. Cette « réalité de la vie » doit donc prévaloir sur les principes, qui doivent abandonner leurs prétentions. Dans le meilleur des cas, ils resteront des idéaux que chacun abordera au mieux de ses capacités. C’est cette nouvelle moralité, cette théologie morale qui est enseignée dans la plupart des séminaires catholiques. Et c’est, au fond, un renoncement à la foi en Jésus-Christ. C’est Lui qui libère du péché, de la mort et du diable. Il n’a pas répondu de manière conformiste à la « réalité de la vie » du divorce, qui était courante à son époque, ni à l’envie des Pharisiens, ni à la violence des Romains, ni suggéré des discernements et exigé un « changement de paradigme » dans la foi d’Israël. Saint Paul ne s’est pas arrêté à respecter les « projets de vie commune élaborés par deux personnes de même sexe adultes dans la foi », mais il s’est exclamé : « Ne vous y trompez pas : ni les immoraux, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les sodomites, n’hériteront du Royaume de Dieu ! » (I Cor. 6:9).

J’ai dit au début que nous sommes confrontés à un nouveau scénario qui exige nécessairement aussi de nouvelles mesures. Mais il ne me semble pas que nous réussissions toujours dans cette entreprise. Parfois, en tant que conservateurs, nous essayons d’appliquer les stratégies et les arguments qui ont été plus ou moins efficaces au cours des siècles passés, mais qui n’ont désormais plus aucun poids, du moins pour être exposés en première ligne de la bataille. Après la Réforme protestante et après la Révolution française, c’est-à-dire après la subversion de l’ordre religieux et politique, nous pouvions nous excuser de notre foi en nous référant, par exemple, aux « raisons de la crédibilité de l’Église » et à la « sainteté de ses membres », mais après les scandales de ces derniers temps, plus personne ne nous croit, et de telles paroles ne prouvent absolument rien. On ne peut plus non plus argumenter contre le divorce, l’homosexualité et même l’avortement en faisant appel à la loi naturelle, car personne n’accepte l’existence de la nature, et encore moins d’une loi dérivée de celle-ci. Manier les armes de l’apologétique du XIXe siècle est une perte de temps, mais cela ne signifie pas que nous sommes à court d’arguments. Nous n’avons tout simplement plus d’oreilles capables d’entendre et de comprendre ces arguments.

À mon avis, il est temps d’illustrer le dernier argument, le plus fondamental: même si la « réalité de la vie » est différente, il y a la volonté de Dieu. Dieu ne veut pas l’adultère, ni la fornication selon ou contre nature, tout comme il ne veut pas le vol ou le mensonge. Telle est sa volonté, clairement exprimée dans la Révélation par l’Écriture et la Tradition, et nous avons l’obligation d’y obéir, sachant que cette obéissance nous rendra libres. Fondamentalement, nous sommes aux prises avec la première tentation, celle de vouloir être comme Dieu, de vouloir faire les règles pour nous-mêmes. Et tout comme beaucoup peuvent affirmer que chacun a le droit de reconstruire sa vie après un mariage raté, ou qu’il a le droit d’aimer n’importe qui, quel que soit son sexe, et que toute disposition contraire est arbitraire, Adam et Ève avaient aussi le droit de protester contre l’arbitraire de l’interdiction de manger du fameux fruit, qui n’était qu’un arbre de plus dans le jardin d’Éden. En fin de compte, c’était la volonté de Dieu: Lui, parce qu’Il est Dieu, a décidé que le fruit de cet arbre ne devait pas être mangé ; et parce qu’Il est Dieu, Il a également décidé d’interdire l’adultère et la fornication dans toutes ses variantes. Et nous ne pouvons que dire : « Qui est comme Dieu ? ».

Quis ut Deus?

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