En « tirant sur la laisse » de ces mouvements, François s’inscrit résolument (et une fois de plus) dans la discontinuité par rapport à son prédécesseur. Aux yeux de Benoît XVI, les mouvements ecclésiaux, en plus de leur diversité bienvenue de charismes, revêtent en effet une signification prophétique pour ce qui concerne l’Eglise du troisième millénaire: une Eglise plus « resserrée », mais aussi plus active, plus missionnaire, animée d’une foi plus profonde. Bien loin d’une agence de l’ONU.

24 mars 2007, Place Saint-Pierre.
Benoît XVI rencontre les fidèles de Communion et Libération

Voilà ce qu’il confiait à Peter Seewald dans le livre d’entretiens de 1998 « Le Sel de la terre »:

Un chrétien ne peut jamais être seul, être chrétien signifie être en chemin avec les autres. Même un ermite appartient à une communauté en chemin, qui le porte avec elle. Le souci de l’Église doit être de créer ces communautés. La culture sociale de l’Europe et de l’Amérique n’en offre plus. Cela nous ramène aux questions précédentes : comment l’Église vivra-t-elle dans cette société de plus en plus déchristianisée ? Elle devra précisément former de nouvelles sortes de communauté, les compagnons de route devront se grouper en se portant plus fortement les uns les autres, et en vivant dans la foi.

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Le simple environnement de la société ne suffit plus aujourd’hui, il n’y a plus d’atmosphère chrétienne générale. Les chrétiens doivent donc se soutenir réellement entre eux. Et il existe déjà d’autres formes, des « mouvements » de différentes sortes, où se sont regroupés des compagnons de route. Une rénovation du catéchuménat, qui permet un exercice, une étude du christianisme, est indispensable. Pour faire l’expérience du christianisme, on pourra par exemple se rattacher à des communautés monacales. En d’autres mots, si la société dans sa totalité n’offre plus d’environnement chrétien – elle n’en a pas offert non plus durant les quatre ou cinq premiers siècles -, l’Église doit elle-même former des cellules où l’on pourra expérimenter et pratiquer en petit le grand espace de vie de l’Église, en se soutenant, se portant mutuellement, en marchant ensemble.
[..]
Il serait faux, voire présomptueux, de projeter aujourd’hui un modèle plus ou moins achevé de l’Église de demain, qui sera plus clairement qu’aujourd’hui l’Église d’une minorité. Mais je pense que bien des gens qui vivent avec elle de l’extérieur, et aussi intérieurement à leur manière, s’appuieront plus ou moins sur elle. Malgré tous les changements auxquels on peut s’attendre, la paroisse restera, selon ma conviction, la cellule essentielle de la vie commune. Mais on ne pourra guère maintenir tout le système paroissial actuel, qui d’ailleurs est en partie assez récent. On devra apprendre à aller les uns vers les autres et ce sera un enrichissement.

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Comme cela se produit presque toujours dans l’Histoire, il y aura à côté de la paroisse des groupements qui, par un charisme particulier, par la personnalité d’un fondateur, maintiendront un chemin spécifiquement spirituel. Entre la paroisse et le « mouvement » un échange plus fructueux est nécessaire : le mouvement a besoin d’un lien avec la paroisse pour ne pas devenir sectaire, la paroisse a besoin des « mouvements » pour ne pas se pétrifier. De nouvelles formes de vie monacale se sont déjà formées au milieu du monde. Si l’on veut bien regarder, on peut trouver aujourd’hui une étonnante multiplicité de formes de vie chrétiennes, grâce auxquelles l’Église de demain est déjà très nettement au milieu de nous.

En 2001, dans un autre entretien avec Peter Seewald traduit en français sous le titre « Voici quel est notre Dieu », le cardinal d’alors insistait à nouveau sur le « renouveau de la foi » que représentaient ces mouvements:

Peter Sewald: L’Église a-t-elle besoin d’un choc qui rende à nouveau expressifs les symboles chrétiens devenus muets ?

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Cardinal Ratzinger: Elle a besoin en tout cas de renouveaux spirituels. De telles formes d’une nouvelle passion pour la foi, qui ne sont pas d’ordre politique, mais d’origine intérieure, ont toujours été importantes pour la vie de l’Église. Au XVIème siècle, nous l’avons vu, le renouveau n’est pas venu des instances institutionnelles, mais d’hommes profondément saisis qui ont lancé de nouveaux mouvements. Cela existe encore de nos jours sous de multiples formes – le mouvement charismatique en est un exemple -, et c’est une consolation que nous offre le Seigneur en nous montrant que le Saint-Esprit continue à être présent et activement puissant.
En réalité, le catholicisme ne peut jamais devenir une réalité gérée de manière purement institutionnelle et académique. Il doit se présenter comme une faveur, une vitalité spirituelle. D’où sa diversité. Ce qui est catholique ne peut être uniforme. Il peut certes y avoir une piété selon les Focolari, une piété « catéchuménale », et d’autres encore, tout comme il existe une piété franciscaine, dominicaine ou bénédictine. La richesse de la foi crée beaucoup de demeures dans l’unique maison. Cette ouverture dynamique est à préserver.
On constate de nos jours, chez les représentants catholiques les plus modernes, une tendance à l’uniformisation. Ce qui est vivant et nouveau, ce qui n’obéit pas à des schémas académiques ou à des conclusions de commissions ou de synodes, est considéré comme suspect et rejeté comme réactionnaire.
Naturellement, il existe toujours des dangers, des ratés, des rétrécissements, et ainsi de suite. C’est la tâche du jardinier Église de toujours les redresser, mais de les accepter en même temps comme un don.
Je crois qu’il faut dans ce domaine une grande tolérance intra-ecclésiale. La diversité des chemins est d’une certaine manière conforme à l’étendue de ce qui est catholique. Il ne faut pas simplement le repousser, même pas ce qui n’est pas à mon goût. Par exemple, si aujourd’hui en Allemagne on ne se montre pas indigné en entendant parler de l’Opus Dei ou des scouts d’Europe, on n’est déjà plus un bon catholique allemand. Il y a des réalités qui ne sont pas du goût de tout le monde, qui le contredisent. La tolérance est alors nécessaire pour accepter toute l’étendue de ce qui est catholique.
Naturellement, les gens concernés doivent aussi être prêts à s’insérer dans le service global, à se laisser interpeller dans leurs particularités et à être mis en garde contre le danger de se refermer sur eux-mêmes. C’est précisément la tâche du pape et des évêques de garantir d’une part l’ampleur de ce qui est catholique et d’autre part d’interrompre tout ce qui peut conduire à l’étroitesse et au sectarisme, et de l’intégrer dans le tout.

Le pape Jean XXIII disait : « J’appartiens à une Église qui est vivante et jeune et qui continue d’accomplir son œuvre, sans peur aucune, vers l’avenir. » Un cardinal Joseph Ratzinger pourrait-il encore dire la même chose ?

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Oui. Et je le dis avec joie. Il est vrai que je vois beaucoup de branches mortes en cette Église, qui tombent lentement, parfois en silence, parfois avec fracas. Mais je vois avant tout la jeunesse de l’Église. Il m’est donné de rencontrer tellement de jeunes venant du monde entier, je peux rencontrer ces nouveaux mouvements, et de constater l’enthousiasme de la foi, qui redevient évident. Cet enthousiasme est insensible aux critiques contre l’Église, qui ont toujours leurs motifs, parce que la joie que donne le Christ est plus grande. C’est pourquoi j’ai un lieu où la peine ne manque pas, mais où la rencontre avec la jeunesse de l’Église est encore beaucoup plus importante. Nous pouvons entrer dans l’avenir consolés, parce qu’il est tout à fait évident que le Seigneur ne la délaisse pas.

Le 24 mars 2007, Benoît n’avait pas craint d’affronter la pluie pour venir à la rencontre des 80 mille participants venus assister, Place Saint-Pierre, au grand rassemblement organisé par le mouvement de don Giussiani, Communion et Libération, pour célébrer le XXVe anniversaire de sa reconnaissance pontificale (photo plus haut).

La Une de l’OR du lendemain

Et dans le discours qu’il leur a adressé, il s’est félicité de « cette vaste floraison d’associations, de mouvements et de nouvelles réalités ecclésiales suscitées de manière providentielle par l’Esprit Saint dans l’Eglise après le Concile Vatican II ».

« Communion et Libération » représente une expérience communautaire de foi, née au sein de l’Eglise non pas d’une volonté organisative de la hiérarchie, mais suscitée par une rencontre renouvelée avec le Christ et donc, pouvons-nous dire, d’une impulsion dérivant en définitive de l’Esprit Saint. Aujourd’hui encore, celle-ci se présente comme une possibilité de vivre de manière profonde et actuelle la foi chrétienne, d’une part dans une totale fidélité et communion avec le Successeur de Pierre et avec les Pasteurs qui assurent le gouvernement de l’Eglise; de l’autre, avec une spontanéité et une liberté qui permettent de nouvelles réalisations apostoliques et missionnaires prophétiques.
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Chers amis, votre Mouvement s’inscrit ainsi dans cette vaste floraison d’associations, de mouvements et de nouvelles réalités ecclésiales suscitées de manière providentielle par l’Esprit Saint dans l’Eglise après le Concile Vatican II. Chaque don de l’Esprit se trouve à l’origine et nécessairement au service de l’édification du Corps du Christ, en offrant un témoignage de l’immense charité de Dieu pour la vie de chaque homme. La réalité des Mouvements ecclésiaux est donc le signe de la fécondité de l’Esprit du Seigneur, afin que se manifeste dans le monde la victoire du Christ ressuscité et que s’accomplisse le mandat missionnaire confié à toute l’Eglise

Au cours d’une récente rencontre avec le clergé et les curés de Rome, en rappelant l’invitation que saint Paul adresse dans la Première Lecture aux Thessaloniciens à ne pas étouffer les charismes, j’ai dit que si le Seigneur nous donne de nouveaux dons, nous devons en être reconnaissants, même s’ils sont parfois dérangeants. Dans le même temps, puisque l’Eglise est une, si les Mouvements sont réellement des dons de l’Esprit Saint, ils doivent naturellement s’insérer dans la Communauté ecclésiale et la servir de manière à ce que, dans le dialogue patient avec les pasteurs, ils puissent constituer des éléments édifiants pour l’Eglise d’aujourd’hui et de demain.

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https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2007/march/documents/hf_ben-xvi_spe_20070324_comunione-liberazione.html

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