Il y a un mois, The Wanderer illustrait à travers l’exemple du message papal pour la Semaine de la vie consacrée, ce qu’il appelait « le jeu des opposés » de François, exercice quasi-systématique contribuant puissamment à désorienter les fidèles et à diviser l’Eglise. Une habitude remontant selon lui à une lecture de jeunesse de Bergoglio, un ouvrage de Romano Guarini, « L’opposition polaire ». Stefano Fontana reconnaît la même influence dans la lettre envoyée par François (*) au militant LGBT, le jésuite James Martin, qui annule de fait la protestation de forme de la Secrétairerie d’Etat contre le décret de loi « ZAN » (punissant les discriminations et les discours de haine envers les personnes LGBT+ et les femmes):

« L’introduction de la contradiction comme praxis de l’Église est l’une des principales nouveautés perturbantes de ce pontificat ».

Le Pape reçoit James Martin, 2019

La lettre

(*)

En ce qui concerne votre PS [à propos de la conférence du ministère de sensibilisation LGBT], je tiens à vous remercier pour votre zèle pastoral et votre capacité à être proche des gens, avec cette proximité que Jésus avait et qui reflète la proximité de Dieu. Notre Père céleste s’approche avec amour de chacun de ses enfants, chacun et chacune. Son cœur est de s’ouvrir à toutes et à tous.
Il est Père. Le « style » de Dieu a trois aspects : proximité, compassion et tendresse.
C’est ainsi qu’il se rapproche de chacun de nous.

En pensant à votre travail pastoral, je vois que vous cherchez continuellement à imiter ce style de Dieu.
Vous êtes un prêtre pour tous les hommes et toutes les femmes, tout comme Dieu est le Père pour tous les hommes et toutes les femmes. Je prie pour que vous continuiez ainsi, en étant proches, compatissants et avec une grande tendresse.

Et je prie pour vos fidèles, vos « paroissiens », et tous ceux que le Seigneur met à votre charge, afin que vous les protégiez et les fassiez grandir dans l’amour de Notre Seigneur Jésus-Christ.

*

Lettre du Pape François à James Martin (traduction)

Le Pape, ou la contradiction faite système

Stefano Fontana
La NBQ
28 juin 2021
Ma traduction

La lettre de soutien du pape au père James Martin, partisan militant des droits LGBT, pose entre autres un problème de méthode, ou plutôt la contradiction vécue comme une règle de son ministère. Ainsi, quelques jours après la note de la Secrétairerie d’Etat qui remet en cause le décret de loi (ddl) Zan, arrive un geste de signe opposé.

Les problèmes posés par la lettre du pape François au père James Martin, partisan militant des droits des LGBT, sont de différentes natures. Parmi toutes, cependant, une se détache comme la principale et nous demande de considérer en profondeur une situation inédite de l’Église : ici, la contradiction est considérée comme la règle de travail. Voyons d’abord comment le thème de la contradiction émerge de la lettre au père Martin et analysons ensuite la portée de ce fait.

Comme nous le savons, le père Martin est un jésuite qui s’occupe non seulement de la pastorale des personnes LGBT, mais qui milite également pour la reconnaissance de leurs droits par les pouvoirs publics. Il serait donc en faveur de lois comme la loi Cirinnà (union civile homosexelle en Italie, mai 2016) et le ddl Zan. Comme on le sait également, les enseignements de l’Église nient cette possibilité. Cela dit, voyons la contradiction. Il y a quelques jours, la Secrétairerie d’État a remis à l’État italien une note craignant la violation du Concordat dans la mesure où le projet de loi Zan, s’il est approuvé, limiterait la liberté de l’Église d’exposer sa doctrine sur l’homosexualité en public, y compris l’interdiction de sa reconnaissance légale par les autorités publiques.
Quelques jours plus tard, la lettre du pape François au père Martin contredit l’intervention de la Secrétairerie d’État à l’égard de l’Italie, invitant chaleureusement le père Martin à poursuivre son engagement pastoral qui, comme nous l’avons dit, inclut la reconnaissance des droits des LGBT.

En quoi consiste la contradiction ? En ce que, d’un côté, l’Eglise prétend pouvoir dire publiquement que, selon sa propre doctrine, les « nouvelles » relations sexuelles ne peuvent pas être reconnues juridiquement et politiquement ; de l’autre, elle affirme vouloir poursuivre ses efforts pour rendre cette reconnaissance possible et réelle.

Les contradictions de ce genre sont devenues habituelles dans ce pontificat et le caractérisent de manière très évidente. Si l’idéologie du genre est une « erreur de l’esprit humain », pourquoi inviter le père Martin à continuer à travailler pour les droits des LGBT ? Si la Congrégation pour la doctrine de la foi a placé des jalons précis dans le synode allemand sur la bénédiction des couples homosexuels, pourquoi le pape François invite-t-il le président des évêques d’Allemagne à poursuivre sur la voie synodale ? Autre contradiction : les conférences épiscopales ont-elles ou non une compétence doctrinale ? Et pourquoi, lorsque certaines contradictions sont posées à Sainte Marthe ou au Saint-Office pour être résolues définitivement, la réponse est de les discuter ?

L’introduction de la contradiction comme praxis de l’Église est l’une des principales nouveautés perturbantes de ce pontificat et même une simple lettre à un père jésuite le met en évidence. La question pourrait être résolue par la théorie de la lutte interne entre les dicastères pontificaux et entre ceux-ci et le pape. Il y aurait des disputes, des « tiraillements » liés à des questions de pouvoir qui finiraient par faire émerger des positions différentes et souvent opposées. L’Église serait incapable de parler d’une seule voix en raison de problèmes de relations internes. Cette explication serait toutefois une échappatoire. Ces conflits éventuels sont évidemment la conséquence de modes de pensée différents, de théologies en contradiction les unes avec les autres. C’est donc là qu’il faut remonter.

L’utilisation par le Pape François de la méthode ‘stop and go’, aussi connue familièrement comme la méthode ‘un colpo al cerchio e uno alla botte‘ [explication ici], reconnaît la contradiction comme ayant une fonction positive d’ouverture à de nouveaux processus guidés (selon lui) par l’Esprit. La « rigidité » – a-t-il déclaré à plusieurs reprises – serait une pathologie de la foi, qui vivrait au contraire de doute et de contradiction. Il existe une contradiction entre la doctrine et la pastorale, ou entre l’Église universelle et l’Église locale, et selon lui, il est nécessaire de maintenir ouverte la relation avec les deux pôles de la contradiction elle-même. Il n’est donc pas contradictoire de garder la contradiction ouverte et de voir où elle nous mène. Les termes de la contradiction sont contradictoires mais la contradiction ne l’est pas. La vie de l’Église est contradictoire.

Certains interprètes de la pensée du pape François et de ses sources affirment qu’il s’inspire en cela de la « Contraposition polaire » de Romano Guardini, dont Bergoglio a pu approcher la pensée dans sa jeunesse lors de son séjour en Allemagne. Il concevrait donc la contradiction comme l’opposition entre deux éléments également positifs, même s’ils sont en tension l’un avec l’autre. Mais c’est là que réside le problème. Comme l’a écrit Joseph Ratzinger – qui, connaissait Guardini mieux que personne – entre le vrai et le faux ou entre le bien et le mal, il ne peut y avoir opposition, mais seulement contradiction. Dans ces cas, il faut être « rigide » et choisir la vérité et le bien.

Assumer dans la vie et la praxis de l’Église la contradiction vue comme une négativité positive semble avoir sa paternité chez Hegel plus que chez Guardini. Pour Hegel, toute situation de vie qui se présente dans l’existence historique est à la fois positive et négative, car en elle s’affrontent deux polarités contradictoires. Le choc ne doit pas être évité mais doit être traversé afin de parvenir à une composition supérieure. N’importe quel professeur de lycée expliquerait la dialectique hégélienne de cette façon.


La lettre que le pape François a envoyée au père Martin n’a aucune explication plausible si l’on s’en tient à la version traditionnelle de la doctrine et de la pastorale. Pour acquérir une signification propre, cette lettre doit être considérée dans le cadre du nouveau paradigme philosophique et théologique dans lequel le pape François semble s’engager. Un nouveau paradigme qui peut expliquer cette lettre, mais n’explique pas grand chose d’autre, laissant même ouverte sa propre légitimité . L’incertitude et l’inquiétude que suscitent des actes comme celui-ci (qui ne sont ni les premiers ni les derniers) trouvent leur origine ici.

En premier lieu, l’architecture de l’intervention. C’était censé être une lettre privée, mais le père Martin l’a immédiatement rendue publique. Il n’a assurément pas contrevenu à une disposition supérieure, à tel point que personne au Vatican n’a protesté. La même chose s’est produite avec la lettre de démission du Cardinal Marx : une lettre privée puis rendue publique. Nous sommes désormais tristement habitués à ce type de gestion politique de la part de la direction ecclésiastique, de sorte que ces interventions prennent les traits d’une opération politique conçue autour d’une table dans ses différentes phases et dans les différents rôles des protagonistes. C’est très déplaisant, mais c’est presque toujours le cas, malheureusement.

Cette fois encore, le moment semble avoir été soigneusement choisi. La Secrétairerie d’État vient d’intervenir en Italie avec une Note concernant une loi – le projet de loi Zan – qui, si elle était approuvée, concrétiserait les convictions du Père Martin et de ceux qui pensent que l’évaluation doctrinale traditionnelle de l’homosexualité par l’Église catholique doit être révisée à la lumière des besoins pastoraux posés par les nouvelles frontières LGBT et que l’Église dans ce domaine ne doit pas dire « non » mais accompagner avec amour toutes les situations de vie, parce que Dieu accueille tout le monde. La note de la
La Note de la Secrétairerie d’État défendait la liberté de l’Église de parler de l’homosexualité selon sa propre doctrine, une position immédiatement redimensionnée par le Cardinal Parolin, Secrétaire d’État, selon lequel elle ne se voulait pas un rejet de la loi en question mais une invitation à la réviser, mais maintenant la lettre du Pape à Martin rend cette Note encore plus ridicule, étant donné que l’Église elle-même affirme qu’elle n’a plus à dire ses propres vérités traditionnelles sur l’homosexualité. D’une part, le secrétaire d’État demande la liberté pour l’Église de dire que l’homosexualité est un trouble, et d’autre part, le pape écrit à Martin pour inviter l’Église à ne montrer que l’amour bienveillant de Dieu envers tous sans juger personne.

Comme cela arrive chaque fois dans des cas de ce genre, on dit que la lettre du pape est une intervention pastorale sur des questions pastorales, et qu’elle n’est donc ni un texte doctrinal ni un texte juridique, et qu’elle ne touche donc pas à la doctrine, qui reste inchangée. Mais personne ne croit plus à cette explication, et continuer à la proposer revient à considérer que la capacité de raisonnement des fidèles et des gens en général est très faible. Le Père Martin n’est pas né de la dernière pluie, et on sait tout de lui, comme on sait tout des Mouvements qui se sont réunis pour la Rencontre Internationale qui a donné l’occasion au Pape de s’exprimer. Il ne s’agit pas d’entiités intéressées par la pastorale des homosexuels, mais de réalités qui comprennent l’homosexualité d’une manière nouvelle et alternative à la tradition et qui, par des moyens pastoraux, veulent que la doctrine soit changée. La doctrine a déjà été changée, seulement jusqu’à présent elle a été changée de facto, mais ils veulent qu’elle soit changée aussi en droit. Pas tant dans le sens d’un nouveau document magistériel effaçant ce que la Doctrine de la Foi a affirmé dans ses fameuses Instructions de 2006, mais dans le sens d’une nouvelle façon de penser et d’enseigner dans l’Église.

La lettre du pape François au père Martin s’inscrit dans ce contexte et reprend objectivement cette ligne, en reproposant une vision de Dieu pour le moins imparfaite car elle s’oppose, pour ne prendre qu’un exemple, à la célèbre phrase de Ratzinger « Le Christ aime tout le monde mais n’aime pas tout », phrase qui a orienté tout son pontificat en le centrant sur la vérité, qui passe avant tout autre aspect de la vie de foi. Là réside la principale faiblesse théologique de la lettre à Martin.

Si l’on part de la version traditionnelle de la doctrine et de la pastorale, la lettre du pape au père Martin est presque incompréhensible et contradictoire. Pour en comprendre le sens, il faut la voir du point de vue d’un nouveau paradigme, qui semble être celui du pape François. Le point de vue traditionnel, fondé sur un ordre naturel finaliste qui reçoit la lumière de l’ordre surnaturel, soutenait qu’au niveau objectif, il existait des comportements qui, par leur essence, détruisaient cet ordre naturel, puisqu’ils ne pouvaient être ordonnés d’aucune manière au but ultime de Dieu. Un tel comportement devait être rejeté par la morale personnelle et publique et ne pouvait être validé légalement par l’autorité politique. Cela ne signifie pas condamner l’individu, envers lequel la société et l’Église doivent au contraire exercer leur proximité sans dissimuler la vérité et le bien. La conséquence de cette vision était qu’à propos de ces comportements, il était impossible de tomber dans la contradiction, parce que dire le contraire revenait à accepter le mal et l’injustice.

C’est à cela que le nouveau paradigme s’oppose. Tous les comportements peuvent être ordonnés à Dieu, dans le sens où l’on peut partir du positif qui est donné dans chacun d’eux pour le faire croître. Aucun comportement n’échappe à la bienveillance divine dans la mesure où Dieu s’approche de chacun et le sauve là, dans sa situation. La pastorale, pour cette raison, ne se distingue plus de la doctrine et n’est plus son application, dans la mesure où cette situation de vie est toujours vraie puisque pastoralement disponible pour le nouveau. Il n’y a plus de mauvaises lois à rejeter, ni dans le domaine moral ni dans le domaine juridique, mais seulement des situations à faire fructifier.
C’est pourquoi la contradiction devient ici l’âme de l’intervention de l’Église. La tension entre deux pôles opposés exprime la vie, la contradiction est le ressort de ce processus de fructification et elle s’oppose à la rigidité, qui est la seule attitude véritablement erronée.

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