Dix prévenus sont assignés à comparaître dans un procès qui doit commencer le 27 juillet, et qui concerne une transaction immobilière – l’achat d’un immeuble sur la « très chic » Sloane Avenu à Londres – ayant entraîné des pertes massives pour le Saint-Siège. Parmi eux, le cardinal Angelo Becciu, qui sera le premier cardinal à être jugé par le Tribunal de l’État du Vatican. Explications de Nico Spuntoni, qui rectifie beaucoup d’inexactitudes et d’approximations dans le traitement médiatique. Et en « bonus », un post-scriptum intéressant.

Quand les médias (en particulier français) parlent de l’Eglise, ce n’est jamais bon signe: soit il est question d’abus sexuels, soit de scandales financiers. A croire que l’Eglise est un repaire de bandits, de mafieux, de corrompus et de pervers sexuels répandant le mal dans un monde vertueux et privé de défense: cette fois, c’est la seconde alternative, et même si, parmi les catholiques, certains vont applaudir parce qu’ainsi est révélée la corruption de l’entourage de François (dénoncée en particulier par Mgr Vigano) il n’y a vraiment pas de quoi se réjouir.

Voici un échantillon de ce qu’on a pu entendre au sujet de la dernière affaire (matinale d’Europe 1, 6 juillet):

D’habitude au Vatican c’est le Pape qui accorde audience, cette fois ce sera un juge face à 10 prévenus. Quant à la liste des chefs d’accusation, elle a tout l’air d’une litanie: détournement de fonds, abus de pouvoir, extorsion, subornation de témoins …, seigneur prends pitié, arrêtons-nous là, ça suffit pour comprendre que le vœu de pauvreté n’est pas écrit dans le livret de messe de ces hommes d’Eglise.

Et ainsi de suite, sur le même ton.
Pas très intéressant, ni très nouveau. L’auteur de cette chronique, pourtant, « grand reporter », est d’ailleurs mal renseigné – à l’ère d’internet, c’est inexcusable – puisque parmi les 10 prévenus, il n’y a que 2 « hommes d’Eglise »: les autres sont des laïcs.
Mais passons. On ne va pas s’arrêter à de telles broutilles, personne n’ira vérifier et du reste, chez nous, tout le monde s’en fiche.
Plus grave, le cardinal (ou l’ex-cardinal) Becciu se voit refuser la présomption d’innocence à laquelle chaque prévenu a droit jusqu’à ce qu’on ait établi sa culpabilité (ce qui n’est nullement acquis ici). Et si, à l’issue du procès, il est blanchi, évidemment, il n’y aura aucun rectificatif. Et le mal sera fait.

Enfin, certains, parfois avec les meilleurs intentions y verront la preuve que le pape François joue la transparence totale, et fait enfin le grand ménage dans un milieu corrompu. Comme Laurent Dandrieu qui affirme sur le site Bd Voltaire:

Il est clair que cette affaire s’inscrit dans la volonté du pape François, depuis le début de son pontificat, de remettre de l’ordre dans les finances vaticanes. On sait que ces projets de la réforme de la Curie n’ont pas abouti, sauf en matières financières où il va effectivement réorganiser considérablement l’organisation des finances vaticanes pour avoir plus de transparence.
Le pape François, on le sait, n’est pas du tout un homme d’argent et a une véritable détestation pour les hommes d’Église qui se laisseraient aller à la tentation des biens de la Terre.

J’aurais tendance à croire que Dandrieu n’est, lui non plus, pas tellement bien informé (voir par exemple: Trahisons sacrées: une bombe à retardement… contre le Pape).

Tout ce qu’on peut dire, c’est ce c’est une affaire très compliquée, et que prétendre la liquider en trois lieux communs est un peu léger: ce n’est pas du journalisme
Pour y voir plus clair, et avoir une idée moins partisane, lisons plutôt l’excellent Nico Spuntoni, certainement mieux informé que les journalistes Français.

Becciu en jugement : des accusations lourdes, mais il se proclame victime

Nico Spuntoni
La NBQ
5 juillet 2021
Ma traduction

Détournement de fonds, abus de pouvoir et subornation : tels sont les chefs d’accusation pour lesquels le cardinal Becciu a été renvoyé en jugement, tant pour le fameux investissement immobilier à Londres que pour l’argent versé à la société de Cecilia Marogna. C’est la première fois qu’un cardinal est jugé par des laïcs.

Un cardinal en jugement, jugé par des laïcs. C’est le premier effet du Motu Proprio par lequel le pape François a modifié le système judiciaire du Vatican en établissant que les cardinaux, s’ils sont jugés, ne le seront plus par une Cour présidée par un de leurs confrères. C’est donc Giuseppe Pignatone, ex-procureur général de Rome et désormais président du Tribunal de l’État de la Cité du Vatican, qui décidera du sort judiciaire du cardinal Giovanni Angelo Becciu ainsi que de celui de neuf autres prévenus.

L’ex-substitut de la Secrétairerie d’État a été inculpé des délits de détournement de fonds et d’abus de pouvoir, ainsi que de complicité et de subornation. Son nom, ont expliqué les magistrats du Vatican, est apparu dans le cadre de l’enquête sur le désormais célèbre placement financier à Londres. Le promoteur Gian Piero Milano, l’adjoint Alessandro Diddi et le requérant Gianluca Perone ont écrit dans la requête de citation à comparaître que « la figure de Becciu, longtemps restée étrangère à l’objet de l’enquête, est apparue de manière soudaine et inattendue à la fin du mois de mai 2020, quelques jours avant l’interrogatoire de Torzi, par une manœuvre que ce Bureau, à la lumière également des investigations effectuées, n’hésite pas à définir comme une tentative de falsification lourde ».

Alors que la crise de l’immeuble de Sloane Avenue avait déjà éclaté, juste avant l’interrogatoire du courtier de Molise (Torzi, l’un des accusés laïcs, ndt), qui s’est terminé par son arrestation, deux offres de rachat sont arrivées qui, selon les procureurs, provenaient « des deux principaux protagonistes (Torzi et Mincione, ndlr) de l’œuvre de pillage des finances de l’État, mais les deux étaient liés par un facteur commun consistant à avoir été promus par Becciu ».

A partir de l’affaire de Londres les enquêteurs en sont venus à accuser le préfet émérite de la Congrégation pour les causes des saints d’autre chose encore: dans la liste des personnes renvoyées en jugement, en effet, apparaît Cecilia Marogna à qui la Secrétairerie d’État aurait versé 575 mille euros sur les comptes de la société slovène dont elle est responsable, la Logsic Humanitarne Dejavnosti, et qui, selon les procureurs, auraient été détournés « pour son propre profit et avantage » avec 120 paiements dans des magasins, des hôtels et des restaurants de luxe. La femme, arrêtée à Milan en octobre dernier par la Guardia di Finanza sur la base d’un mandat d’arrêt de l’autorité judiciaire du Saint-Siège et libérée vingt jours plus tard, avait été nommée en 2017 pour effectuer un « service professionnel d’analyste géopolitique et de consultant en relations extérieures » sur recommandation du substitut de l’époque, bien qu’elle ait ensuite avoué à l’émission Report qu’elle n’avait aucune formation en relations internationales derrière elle et qu’elle était arrivée à ce rôle en « autodidacte ».

Dans cette affaire, et pas seulement, le grand accusateur du cardinal semble avoir été son ancien collaborateur Mgr Alberto Perlasca (*), qui à l’époque des faits litigieux était responsable du bureau administratif de la Secrétairerie d’État et parmi les premiers à faire l’objet d’une enquête des procureurs du Vatican pour détournement de fonds, corruption et abus de pouvoir. Il semblerait en effet que c’est un rapport du prélat originaire de Côme qui a déclenché l’accusation de subornation contre Becciu lequel, selon le procureur, s’était adressé à l’évêque du diocèse de Côme pour avertir Perlasca du risque de  » condamnation pour parjure « .

Le fait que le nom de l’ex-chef du Bureau administratif de la Secrétairerie d’État ne figure pas sur la liste des personnes placées en détention préventive a de quoi surprendre. Parmi les anciens « internes », on trouve par contre l’ex-secrétaire personnel de Becciu, Mgr Mauro Carlino (extorsion et abus de pouvoir), le manager Enrico Crasso (détournement de fonds, corruption, extorsion, blanchiment d’argent et auto-blanchiment, fraude, abus de pouvoir), fraude, abus de pouvoir, falsification d’un acte public commis par un particulier et faux dans un document privé), l’ex-fonctionnaire Fabrizio Tirabassi (corruption, extorsion, détournement de fonds, fraude et abus de pouvoir), l’ex-directeur de l’AIF [l’Autorité d’information financière du Vatican, créée en 2010 par un motu proprio de Benoît XVI, ndt] Tommaso Di Ruzza (détournement de fonds, abus de pouvoir et violation du secret de fonction). Seront également jugés les courtiers de l’opération de Londres Raffaele Mincione (détournement de fonds, fraude, abus de pouvoir, détournement de fonds et blanchiment d’argent) et Gianluigi Torzi (extorsion, détournement de fonds, fraude, détournement de fonds, blanchiment d’argent et blanchiment d’argent) et l’avocat Nicola Squillace (fraude, détournement de fonds, blanchiment d’argent et blanchiment d’argent).

Citation à comparaître également pour René Brülhart, l’ex-numéro un de l’autorité financière du Saint-Siège à qui le pape avait décidé de ne pas renouveler son mandat après une déclaration dans laquelle le président d’alors avait pris parti pour son directeur Di Ruzza, confirmant sa confiance en lui et désavouant de fait le travail de la justice.
Jusqu’à présent, il n’y avait aucune nouvelle de son implication dans les enquêtes sur l’opération de Londres, au point qu’en mai 2019, le directeur par intérim du Bureau de presse du Saint-Siège d’alors, Alessandro Gisotti, avait tenu à préciser – démentant certaines rumeurs qui avaient circulé – que Brülhart n’était pas « accusé ou soumis à une quelconque procédure pénale, directement ou indirectement, en Suisse ou dans d’autres pays » et que « n’ayant pas de rôle exécutif, dans sa fonction, il n’est pas impliqué dans les activités opérationnelles de surveillance et de renseignement financier ».

L’autre surprise est donc l’absence de Mgr Perlasca dans la liste des personnes mises en examen: selon les enquêteurs, pour ce qui concerne le prélat originaire de Côme, qui aurait commencé à collaborer aux enquêtes, c’est de son téléphone que proviennent les conversations où le cardinal Becciu l’aurait sollicité pour envoyer des paiements à la société Logsic de Marogna pour un prétendu rôle de médiation pour la libération d’une religieuse colombienne enlevée (probablement Sœur Gloria Cecilia Narvaez, encore aujourd’hui aux mains des djihadistes après quatre ans et demi) mais, « aucun élément n’est apparu pour soutenir que le comportement était marqué par l’infidélité et inspiré par la réalisation d’intérêts personnels ».

Les presque cinq cents pages rédigées par le Bureau du Promoteur de Justice ne sont pas tendres avec l’ex-très puissant substitut de la Secrétairerie d’Etat qui, à travers un communiqué de presse confié à son avocat, s’est toutefois félicité de l’ouverture imminente du procès (le 27 juillet, mais il pourrait y avoir un report à la demande des avocats des accusés) se disant convaincu que « le moment de la clarification arrive, et la Cour pourra constater la fausseté absolue des accusations ». Ces dernières, selon Becciu, sont alimentées par de « sombres complots » : le cardinal sarde s’est en effet défini comme « victime d’une machination » et s’est plaint d’avoir été l’objet d’un « pilori médiatique » sans connaître les « éventuelles accusations » portées contre lui.

L’avenir nous dira si le cardinal réussira à convaincre le président laïc du Tribunal de l’État de la Cité du Vatican de son « innocence absolue » autoproclamée. Entre-temps, la Secrétairerie d’État, dont il était la figure la plus importante après le cardinal Parolin, se constituera partie civile dans le procès qui le verra figurer parmi les accusés. En attendant, avant que ne s’ouvre le véritable procès au Vatican le cardinal de Pattada [commune de Sardeigne où il est né] est contraint de purger une « peine » : depuis près d’un an, en effet, le pape François l’a déchu de ses droits cardinalices, après lui avoir demandé de démissionner du poste de préfet de la Congrégation pour les causes des saints.

(*) Qui est Mgr Perlasca (un protégé de François, qui le connaît depuis l’Argentine):

Né à Côme le 21 juillet 1960, Mgr Alberto Perlasca avait été engagé en octobre 2003 par le Bureau juridique de la Section des affaires générales de la Secrétairerie d’État et incorporé au Service diplomatique du Saint-Siège. D’avril 2006 à mai 2008, il a travaillé à la nonciature apostolique en Argentine. Il est ensuite retourné à la Secrétairerie d’État au Bureau administratif, dont il a été responsable à partir de juillet 2009, pendant 10 ans, jusqu’à ce que le Pape François le nomme Promoteur de justice suppléant au Tribunal suprême de la Signature apostolique. Il a été membre du conseil d’administration du fonds de pension, du fonds de soins de santé et de l’hôpital pour enfants Bambino Gesù ; il a également été membre du conseil des contrôleurs des comptes de la Fondation vaticane Joseph Ratzinger – Benoît XVI. Il a occupé diverses fonctions, dont celle de consulteur de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique.

*

Korazym.org

Post-scriptum: l’étrange « absence » de Mgr Perlasca

Le directeur du portail korazym.org, Vik van Brantegem , lui aussi apparemment très bien informé revient avec insistance sur l’anomalie de l‘absence de Mgr Perlasca, apparemment un protégé du Pape, dans la liste des prévenus:

(…) 20 minutes après le Bolletino du Bureau de presse du Saint-Siège, est arrivé un long article non signé dans l’organe interne du Saint-Siège, Vatican News. Un fait intéressant pour comprendre comment la (non-) communication est gérée dans les quartiers de la colline du Vatican. Il est question ici d’une ordonnance de 500 pages avec un résumé, écrit Vatican News dont nous n’avons trouvé aucune trace dans la communication institutionnelle du Saint-Siège. Mais ce n’est pas nouveau et encore moins une surprise.

Cet article de Vatican News est du délire. Il s’agit d’un texte absurde, qui a été soigneusement préparé pour justifier la demande de renvoi devant la justice du Vatican et qui anticipe un procès qui devrait avoir lieu dans le forum approprié et non dans les médias. Mais Vatican News est utilisé pour orienter l’opinion publique dans une direction très claire. Les coupables de Vatican News sont déjà là, ils ont été trouvés et l’affaire est close. Allons donc!

Vatican News parle enfin de Mgr Alberto Perlasca, mais seulement parce qu’il veut le disculper de tout, « le pauvre ». Et pour Vatican News, Perlasca n’a rien à voir avec cela. Allons donc!

Ce procès – s’il commence (le souverain peut intervenir à tout moment) – sera celui qui permettra de constater l’innocence du cardinal Angelo Becciu, une fois pour toutes. Le nom de Becciu, rappelons-le, n’apparaît jamais dans la sentence de Londres. C’est-à-dire la seule décision rendue par un juge sur une partie importante de cette affaire. Le juge Baumgartner de Londres a parfaitement défini le système judiciaire du Vatican et n’en a certes pas fait l’éloge. Nous savons que Becciu, s’il avait été jugé, aurait demandé au monarque la possibilité d’être exempté du secret pontifical. Maintenant nous verrons si le régnant laissera Becciu libre de parler. Si Becciu parle, ce sera douloureux pour le souverain lui-même et pour Parolin, que Vatican News veut sauver à tout prix, dans ce procès sommaire fait par la communication du Saint-Siège, qui communique ce qu’il veut communiquer, comme il veut, où il veut. Mais allons donc!

Il ne faut pas oublier que le cardinal secrétaire d’État, Pietro Parolin, le supérieur direct de Becciu, a défendu devant l’IOR le marché de l’immeuble du 60 Sloane Avenue à Londres. On ne comprend donc pas pourquoi il n’est pas jugé alors que Becciu l’est.

Comme nous l’avons déjà souligné, ce qui est trop étrange c’est que pour Perlasca il n’y a pas de demande de renvoi en jugement. Et il n’y a qu’une seule explication à cela : le régnant est déjà intervenu, sauvant Perlasca. Rappelons que le juge londonien Baumgartner cite Perlasca et le définit comme n’étant vraiment pas quelqu’un de bien. Il dit qu’il ne peut pas ne pas savoir ce qu’il écrit et ce qu’il signe. Mais nous sommes au Royaume-Uni. Dans l’État de la Cité du Vatican, par contre, Perlasca – un pseudo repenti – n’est pas jugé. C’est un fait vraiment incroyable !

La vérité partielle n’est pas la vérité

Un repenti ou un collaborateur de justice, quel qu’il soit, collabore à 360 degrés avec les enquêteurs afin de faire toute la lumière sur des événements peu clairs. Un pseudo-repenti est extrêmement dangereux, car il utilise ses propres connaissances pour attirer l’attention, par de fausses accusations, sur des sujets qui sont totalement étrangers aux faits. Un collaborateur crédible de la justice collabore à la recherche de la vérité, il ne collabore pas à la fabrication de fausses accusations. Perlasca, pour être considéré comme crédible et non comme un faux renégat, doit clarifier chaque circonstance qui semble opaque. Sinon, il n’est qu’un témoin utilisé pour semer le mensonge et la calomnie.

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