Le site The Catholic Thing a traduit de l’allemand son argumentaire mesuré mais critique contre les restrictions apportées par le Pape à la messe traditionnelle:

Dans sa « Lettre aux évêques du monde entier », qui accompagne le motu proprio, le pape François tente d’expliquer les motifs qui l’ont amené, en tant que porteur de l’autorité suprême de l’Église, à limiter la liturgie sous sa forme extraordinaire. Au-delà de la présentation de ses réactions subjectives, cependant, une argumentation théologique rigoureuse et logiquement compréhensible aurait aussi été bienvenue. 

Sur la NBQ, aujourd’hui, Nico Spuntoni résume la lettre du cardinal en ces termes:

Le cardinal Gerhard Ludwig Müller, préfet émérite de la Congrégation pour la doctrine de la foi, affirme qu’avec Traditionis Custodes, « au lieu d’apprécier l’odeur des moutons, le berger les frappe durement avec son bâton ».

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L’ancien gardien de l’orthodoxie catholique a ensuite critiqué la lettre adressée aux évêques qui, selon lui, au lieu d’une « présentation d’opinions subjectives » aurait dû contenir « une argumentation théologique rigoureuse et logiquement compréhensible », car « l’autorité papale ne consiste pas à exiger superficiellement une simple obéissance des fidèles, c’est-à-dire une soumission formelle de la volonté, mais, beaucoup plus essentiellement, à permettre aux fidèles d’être convaincus par le consentement de l’esprit ».

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Müller a également souligné la différence de traitement par rapport à ce qui se passe en Allemagne où des piliers de la doctrine catholique sont « hérétiquement niés en contradiction ouverte avec Vatican II par la majorité des Allemands, évêques et responsables laïcs ». Le cardinal allemand a parlé d’une « disproportion entre la réponse relativement modeste aux attaques massives contre l’unité de l’Église dans la voie synodale allemande (ainsi que dans d’autres pseudo-réformes) et la discipline sévère pour la minorité qui suit l’ancien Missel ».

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Müller a rappelé que « les dispositions de Traditionis Custodes sont de nature disciplinaire et non dogmatique et peuvent être modifiées à nouveau par tout futur pape ». Il espère que les évêques ne se laisseront pas entraîner « par la tentation d’agir de manière autoritaire » et que la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et la Congrégation pour le culte divin « avec leur nouvelle autorité ne seront pas enivrées par le pouvoir et ne penseront pas qu’elles doivent mener une campagne de destruction contre les communautés qui célèbrent selon le Missel de 1962, dans la conviction insensée qu’en faisant cela elles rendent un service à l’Église et promeuvent Vatican II ».

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Le cardinal Müller sur les nouvelles restrictions à la TLM (*)

(*) Traditional Latin Mass

Cardinal Gerhard Mueller

LUNDI 19 JUILLET 2021

L’intention du pape avec son motu proprio, Traditionis Custodes , est d’assurer ou de restaurer l’unité de l’Église. Le moyen proposé pour cela est l’unification totale du Rite Romain sous la forme du Missel de Paul VI (y compris ses variations ultérieures). Par conséquent, la célébration de la messe sous la forme extraordinaire du rite romain, telle qu’introduite par le pape Benoît XVI avec Summorum pontificum (2007) sur la base du Missel qui existait de Pie V (1570) à Jean XXIII (1962), a été drastiquement restreint. L’intention claire est de condamner la Forme Extraordinaire à l’extinction à long terme.

Dans sa « Lettre aux évêques du monde entier », qui accompagne le motu proprio, le pape François tente d’expliquer les motifs qui l’ont amené, en tant que porteur de l’autorité suprême de l’Église, à limiter la liturgie sous sa forme extraordinaire. Au-delà de la présentation de ses réactions subjectives, cependant, une argumentation théologique rigoureuse et logiquement compréhensible aurait aussi été bienvenue. Car l’autorité papale ne consiste pas à exiger superficiellement des fidèles une simple obéissance, c’est-à-dire une soumission formelle de la volonté, mais, bien plus essentiellement, à permettre aux fidèles aussi d’être convaincus avec le consentement de l’esprit. Comme l’a dit saint Paul, courtois envers ses Corinthiens souvent assez indisciplinés, « dans l’église, je préfère dire cinq mots avec mon esprit, afin d’instruire aussi les autres, que dix mille mots en langues ». (1 Co 14:19)

Cette dichotomie entre bonne intention et mauvaise exécution se pose toujours lorsque les objections d’employés compétents sont perçues comme une entrave aux intentions de leurs supérieurs, et qui ne sont donc même pas proposées [?]. Aussi bienvenues que puissent être les références à Vatican II, il faut veiller à ce que les déclarations du Concile soient utilisées avec précision et dans leur contexte. La citation de saint Augustin sur l’appartenance à l’Église « selon le corps » et « selon le cœur » ( Lumen Gentium14) se réfère à la pleine adhésion à l’Église de la foi catholique. Elle consiste dans l’incorporation visible au corps du Christ (communion dans le credo, sacramentelle, ecclésiastico-hiérarchique) ainsi que dans l’union du cœur, c’est-à-dire à l’Esprit Saint. Ce que cela signifie, cependant, n’est pas l’obéissance au pape et aux évêques dans la discipline des sacrements, mais la grâce sanctifiante, qui nous implique pleinement dans l’Église invisible comme communion avec le Dieu trinitaire.

Car l’unité dans la confession de la foi révélée et la célébration des mystères de la grâce dans les sept sacrements n’exigent nullement une uniformité stérile dans la forme liturgique extérieure, comme si l’Église était comme l’une des chaînes hôtelières internationales avec leur conception homogène. L’unité des croyants les uns avec les autres est enracinée dans l’unité en Dieu à travers la foi, l’espérance et l’amour et n’a rien à voir avec l’uniformité d’apparence, le pas d’une formation militaire ou la pensée de groupe de l’ère des grandes technologies.

Même après le Concile de Trente, il y a toujours eu une certaine diversité (musicale, festive, régionale) dans l’organisation liturgique des messes. L’intention du Pape Pie V n’était pas de supprimer la variété des rites, mais plutôt de freiner les abus qui avaient conduit à une incompréhension dévastatrice parmi les réformateurs protestants concernant la substance du sacrifice de la messe (son caractère sacrificiel et sa présence réelle ). Dans le Missel de Paul VI, l’homogénéisation ritualiste (rubriciste) est brisée, précisément pour dépasser une exécution mécanique au profit d’une participation active intérieure et extérieure de tous les croyants dans leurs langues et cultures respectives. L’unité du rite latin doit cependant être préservée par la même structure liturgique de base et l’orientation précise des traductions vers l’original latin.

L’Église romaine ne doit pas transférer sa responsabilité d’unité dans le culte aux Conférences épiscopales. Rome doit surveiller la traduction des textes normatifs du Missel de Paul VI, et même des textes bibliques, qui pourraient obscurcir le contenu de la foi. Les présomptions selon lesquelles on peut « améliorer » la verba domini (par exemple pro multis – « pour beaucoup » – à la consécration, le et ne nos inducas in tentationem – « et ne nous induis pas en tentation » – dans le Notre Père), contredisent la vérité de la foi et de l’unité de l’Église bien plus que de célébrer la messe selon le missel de Jean XXIII.

La clé d’une compréhension catholique de la liturgie réside dans la perception que la substance des sacrements est donnée à l’Église comme signe visible et moyen de la grâce invisible en vertu de la loi divine, mais qu’il appartient au Siège apostolique et , conformément à la loi, aux évêques d’ordonner la forme extérieure de la liturgie (dans la mesure où elle n’a pas déjà existé depuis les temps apostoliques). ( Sacrosanctum Concilium , 22 § 1)

Les dispositions de Traditionis Custodes sont de nature disciplinaire et non dogmatique et peuvent être modifiées à nouveau par tout futur pape. Naturellement, le pape, dans son souci de l’unité de l’Église dans la foi révélée, doit être pleinement soutenu lorsque la célébration de la Sainte Messe selon le Missel de 1962 est une expression de résistance à l’autorité de Vatican II, autrement dit quand la doctrine de la foi et l’éthique de l’Église sont relativisées voire niées dans l’ordre liturgique et pastoral.

Dans Traditionis Custodes, le pape insiste à juste titre sur la reconnaissance inconditionnelle de Vatican II. Personne ne peut se dire catholique s’il veut soit revenir en arrière avant Vatican II (ou tout autre concile reconnu par le pape) comme le temps de la « vraie » Église, soit laisser cette Église derrière lui comme une étape intermédiaire vers une « nouvelle Église. » On peut mesurer la volonté du pape François de ramener à l’unité les « traditionalistes » déplorés (c’est-à-dire ceux qui sont opposés au Missel de Paul VI) au degré de sa détermination à mettre fin aux innombrables abus « progressistes » de la liturgie (renouvelée conformément à Vatican II) qui équivalent à un blasphème. La paganisation de la liturgie catholique – qui n’est dans son essence rien d’autre que le culte du Dieu Un et Trine – à travers la mythologisation de la nature, l’idolâtrie de l’environnement et du climat, ainsi que le spectacle de la Pachamama, ont été plutôt contre-productifs pour la restauration et le renouvellement d’une liturgie digne et orthodoxe reflétant la plénitude de la foi catholique.

Personne ne peut fermer les yeux sur le fait que même les prêtres et les laïcs qui célèbrent la Messe selon l’ordre du Missel de Saint Paul VI sont maintenant largement décriés comme traditionalistes. Les enseignements de Vatican II sur le caractère unique de la rédemption dans le Christ, la pleine réalisation de l’Eglise du Christ dans l’Eglise catholique, l’essence même de la liturgie catholique en tant qu’adoration de Dieu et médiation de la grâce, la Révélation et sa présence dans l’Ecriture et la Tradition apostolique, l’infaillibilité du magistère, la primauté du pape, la sacramentalité de l’Église, la dignité du sacerdoce, la sainteté et l’indissolubilité du mariage – tout cela est hérétiquement nié en contradiction ouverte avec Vatican II par une majorité d’évêques et de fonctionnaires laïcs allemands (même si cela est déguisé sous des phrases pastorales).

Et malgré tout l’enthousiasme apparent qu’ils expriment pour le pape François, ils nient carrément l’autorité que lui a conférée le Christ en tant que successeur de Pierre. Le document de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur l’impossibilité de légitimer par une bénédiction les contacts sexuels entre personnes de même sexe et les relations extraconjugales est ridiculisé par les évêques, les prêtres et les théologiens allemands (et pas seulement allemands) comme étant simplement l’opinion de fonctionnaires curiaux sous-qualifiés. Nous avons là une menace pour l’unité de l’Église dans la foi révélée, qui rappelle l’ampleur de la sécession protestante de Rome au XVIe siècle. Étant donné la disproportion entre la réponse relativement modeste aux attaques massives contre l’unité de l’Église dans la « voie synodale » allemande (ainsi que dans d’autres pseudo-réformes) et la discipline sévère de la minorité des défenseurs de l’ancien rite, l’image de la brigade de pompiers malavisée vient à l’esprit, qui – au lieu de sauver la maison en flammes – sauve d’abord la petite grange à côté.

Sans la moindre empathie, on ignore les sentiments religieux des (souvent jeunes) participants aux messes selon le Missel de Jean XXIII. (1962) Au lieu d’apprécier l’odeur des moutons, le berger ici les frappe fort avec sa houlette. Il semble aussi tout simplement injuste d’abolir les célébrations de l’« ancien » rite simplement parce qu’il attire des personnes problématiques : abusus non tollit usum .

Ce qui mérite une attention particulière dans Traditionis Custodes, c’est l’utilisation de l’axiome lex orandi-lex credendi (« Règle de prière – règle de foi »). Cette phrase apparaît d’abord dans l’ Indiculus anti-pélagien (« Contre les superstitions et le paganisme ») qui parlait des « sacrements de la prière sacerdotale, transmis par les apôtres pour être célébrés uniformément dans le monde entier et dans toute l’Église catholique, afin que la règle de la prière est la règle de la foi. (Denzinger Hünermann,  Enchiridion symbolorum 3) Il s’agit de la substance des sacrements (en signes et en paroles) mais pas du rite liturgique, dont il y en avait plusieurs (avec différentes variantes) à l’époque patristique. On ne peut pas simplement déclarer que le dernier missel est la seule norme valide de la foi catholique sans distinguer entre la « partie qui est immuable en vertu de l’institution divine et les parties qui sont sujettes au changement ». ( Sacrosanctum Concilium 21). Les rites liturgiques changeants ne représentent pas une foi différente, mais témoignent plutôt de la seule et même Foi apostolique de l’Église dans ses différentes expressions.

La lettre du pape confirme qu’il autorise la célébration selon l’ancienne forme sous certaines conditions. Il souligne à juste titre la centralité du canon romain dans le Missel plus récent comme le cœur du rite romain. Cela garantit la continuité cruciale de la liturgie romaine dans son essence, son développement organique et son unité intérieure. Certes, on attend des amoureux de l’ancienne liturgie qu’ils reconnaissent la liturgie renouvelée ; de même que les disciples du Missel de Paul VI doivent aussi confesser que la Messe selon le Missel de Jean XXIII est une liturgie catholique vraie et valide, c’est-à-dire qu’elle contient la substance de l’Eucharistie instituée par le Christ et, par conséquent, il y a et ne peut être que « l’unique messe de tous les temps ».

Un peu plus de connaissance de la dogmatique catholique et de l’histoire de la liturgie pourrait contrecarrer la formation malheureuse de partis opposés et aussi sauver les évêques de la tentation d’agir de manière autoritaire, sans amour et étroite d’esprit contre les partisans de l’ « ancienne » messe. Les évêques sont désignés comme bergers par le Saint-Esprit : « Veillez sur vous-mêmes et sur tout le troupeau dont le Saint-Esprit vous a fait les surveillants. Soyez les pasteurs de l’Église de Dieu, qu’il a acquise par son propre sang. » (Actes 20, 28) Ils ne sont pas de simples représentants d’un bureau central – avec des possibilités d’avancement. Le bon berger se reconnaît au fait qu’il se préoccupe davantage du salut des âmes que de se recommander à une autorité supérieure par une « bonne conduite » servile. » (1 Pierre 5, 1-4) Si la loi de non-contradiction s’applique toujours, on ne peut logiquement pas fustiger le carriérisme dans l’Église et en même temps promouvoir les carriéristes.

Espérons que les Congrégations pour les Religieux et pour le Culte Divin, avec leur nouvelle autorité, ne s’enivrent pas de pouvoir et ne pensent pas qu’elles doivent mener une campagne de destruction contre les communautés de l’ancien rite – dans la folle croyance qu’en faisant cela elles rendent un service à l’Eglise et promeuvent Vatican II.

Si Traditionis Custodes est au service de l’unité de l’Église, cela ne peut signifier qu’une unité dans la foi, qui nous permet « d’arriver à la connaissance parfaite du Fils de Dieu », c’est-à-dire l’unité dans la vérité et l’amour. (cf. Ep 4, 12-15).

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Traduit de l’allemand par Robert Royal avec Mgr. Hans Feichtinger.

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