La « démission » du Pape est peut-être un marronnier éditorial pour journalistes en mal de scoops, mais les questions relatives au statut de « Pape émérite », jamais totalement précisé depuis ce triste matin du 11 février 2013 (où l’on pouvait penser que le cas de Benoît XVI était « unique ») n’en sont pas moins des réalités que l’Eglise devra probablement affronter tôt ou tard , et les évoquer n’est pas manquer de respect au Pape Benoît, encore moins céder au sensationnalisme. Les rumeurs qui entourent aujourd’hui, à tort ou à raison, une issue proche du pontificat bergoglien les remettent au premier plan. Une intéressante étude d’une canoniste italienne fait le point (AM Valli).

Empêchement du Siège et démission papale : propositions de législation

Les indiscrétions sur la possible renonciation de Fançois ont mis en avant l’étude de la canoniste Geraldina Boni, de l’Université de Bologne, qui propose de réglementer deux situations (l’empêchement du Siège et la démission du Pape) qui pourraient devenir fréquentes dans un avenir pas trop lointain. L’avocat Francesco Patruno commente le contenu de l’étude du Professeur Boni.


par Francesco Patruno*

La récente contribution du Professeur Geraldina Boni, intitulée Una proposta di legge, frutto della collaborazione della scienza canonistica, sulla sede romana totalmente impedita e la rinuncia del papa (cf. www.statoechiese.it/it/contributi/una-proposta-di-legge-frutto-della-collaborazione-della-scienza-canonistica), examine la possibilité d’une proposition de droit canonique, afin de combler une lacune dans le règlement de l’Église, aussi bien si le siège apostolique est temporairement empêché que si l’empêchement est permanent et irréversible. Il est significatif que, dès le début de l’étude, le Professeur Boni, canoniste à Bologne, souligne l’urgence d’introduire une telle discipline, d’une part, écrit-elle, en raison des changements intervenus dans la science médicale, qui permettent même à un sujet dans une condition physique précaire et gravement compromise de pouvoir prolonger son existence pendant des années, dans le coma, dans un état végétatif et avec une conscience minimale ; d’autre part, d’offrir des solutions juridiques adéquates dans le cas où un pontife, pour des raisons d’âge ou de santé, ne peut ou croit ne plus pouvoir exercer son ministère. En outre, la nécessité d’une loi découle, selon le canoniste, de la nécessité de réglementer une institution telle que « pape émérite », totalement inconnue et encore ignorée du droit canonique, afin de réglementer la coexistence entre le pape régnant et le pape émérite, sans provoquer de dissensions ou d’embarras.

Le Professeur Boni avance donc des propositions pour réglementer les profils mentionnés plus haut, en légiférant sur QUI est chargé de constater l’empêchement du Siège et QUI est chargé de reprendre le gouvernement pendant l’empêchement du pontife. Et ce n’est pas tout. Le Professeur Boni souhaite également qu’en cas de renonciation, l’efficacité temporelle de la renonciation soit réglementée, en prévoyant la possibilité d’en reporter les effets ; le statut de pape renonçant (titre, conservation ou non de la dignité de cardinal, prérogatives, fonctions, participation à d’éventuels conclaves ou conciles œcuméniques ultérieurs, vêtements, logement, etc.) et enfin, pour éviter toute confusion, le statut de pape qui a renoncé à sa charge sera réglementé par la loi. Enfin, afin d’éviter la confusion et l’incertitude entre munus et ministerium, elle suggère l’insertion d’une présomption légale « en vertu de laquelle il est présumé […] que la renonciation à la fonction de Pontife Romain concerne tous les pouvoirs, ministères, offices, droits, privilèges, facultés, grâces, titres et insignes, même s’ils ne sont qu’honorifiques, inhérents à la fonction elle-même « .

En bref, il s’agit d’une proposition de réglementation, dont la nécessité ne s’est pas fait sentir pendant plus de huit ans, puisqu’il a été affirmé à plusieurs reprises que le renoncement particulier de Ratzinger était unique dans l’histoire et ne se répéterait pas. Cela a été souligné à plusieurs reprises au cours de ces huit années, entre autres par le secrétaire du pape Ratzinger, Mgr Georg Gänswein, qui, ce n’est pas un hasard, avait parlé d’Ausnahmepontifikat, de pontificat d’exception, et « d’une nouvelle situation comme une sorte d’état d’exception voulu par le Ciel » à propos de Benoît XVI et de sa démission.

La législation, si elle est adoptée, pourrait réglementer les renonciations futures (cf. can. 9 Code de droit canonique https://www.vatican.va/archive/cod-iuris-canonici/fra/documents/cic_libro1_cann7-22_fr.html : « Les lois concernent l’avenir, non le passé, à moins qu’elles ne disposent nommément pour le passé. »), c’est-à-dire celles qui pourraient survenir postérieurement à la promulgation de l’éventuel droit canonique proposé par le Professeur Boni, mais elle ne pourrait pas « guérir » – à supposer que cela soit possible – la renonciation de Benoît XVI et tout ce qui s’en est suivi, ni démêler les nœuds et les incertitudes liés à l’acte posé le 11 février 2013, pour la simple raison que lorsque Benoît XVI a posé cet acte, il l’a fait sans pouvoir tenir compte de la discipline future.

(*) Juriste et docteur en droit canonique et ecclésiastique

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