Elle ne mérite certes pas d’être décortiquée pour la profondeur de son contenu (comme c’était en revanche toujours le cas lorsque Benoît XVI s’exprimait – il est vrai dans de tout autre circonstances, il n’a jamais donné d’interviews), mais elle est d’un grand intérêt pour comprendre la personnalité du Pape – comment il « fonctionne ». C’est ce à quoi s’emploie Andrea Gagliarducci, qui passe en revue, cette fois sans concession, les différents sujets abordés (ou esquivés) par François. Non pas le fond (il n’y en a pas vraiment) mais la forme. L’impression générale est que le Pape cherche à reprendre personnellement la main, pour orienter à son gré la « narration » du Pontificat. Une autre façon de communiquer, mais qui met en lumière les contradictions d’un Pape qui essaie de « sécuriser » son propre pontificat, mais qui, trop souvent, « dit une chose et en fait une autre ».

Voir aussi, à propos de cette interview

Pape François, que nous dit l’interview qu’il a donnée à COPE?

Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
6 septembre 2021
Ma traduction

Cette semaine, le pape François a accordé une longue interview à COPE, la radio de la Conférence épiscopale espagnole. En une heure et demie, il a abordé différents sujets, parfois très épineux, comme les procès au Vatican, la réforme de la Curie, sa démission. Ses réponses, cependant, révèlent non seulement la manière de penser mais aussi la manière qu’a le Pape François de raconter ou de percevoir toutes les choses. Il semble presque qu’avec cette interview, le pape François ait voulu s’emparer du récit.

L’idée de s’emparer du récit est immédiatement perçue par les réponses aux questions sur sa santé. Le pape François révèle qu’il est entré à Gemelli dès 13 heures, que 33 centimètres d’intestin ont été retirés et qu’une infirmière lui a sauvé la vie. Et il rassure tout le monde en disant qu’il va bien, qu’il mène une vie normale, que c’est seulement son cerveau qui doit traiter le fait qu’il manque 33 centimètres d’intestin.

Par cette réponse, le pape François s’approprie le récit de sa maladie. Les rumeurs sur la maladie du pape François ont été diffusées dans certains médias, et l’hypothèse de la démission du pape a été construite sur cette idée. Cependant, c’est une réponse qui laisse des points obscurs : si le pape a été hospitalisé à Gemelli si soudainement, l’opération était-elle prévue à ce moment-là ou la décision d’opérer a-t-elle été prise plus tard ? Et pourquoi dit-il qu’une infirmière lui a sauvé la vie ? Cela signifie-t-il qu’il est confronté à quelque chose de plus grave ? Ce sont des questions qui restent ouvertes mais qui, cependant, disparaissent lorsque le Pape, reprenant le récit, ferme toute possibilité de déni.

C’est la réponse du Pape à ce qui est apparu comme une crise de pouvoir. De son propre aveu, le pape François confirme que la réforme de la Curie s’est ralentie en raison de sa maladie. Dans la même interview, le pape François déclare que le voyage prévu à Glasgow pour la COP26 (pas encore officialisé) dépendra largement de son état de santé. Il y a donc une incertitude, que le pape François a toutefois tendance à minimiser. Et il la minimise parce que – toujours d’après l’interview – dès que le Pape tombe malade, il sent un vent de Conclave. En réalité, la réflexion sur son successeur, qui a commencé dans les couloirs du Vatican à la nouvelle de l’hospitalisation, n’a pas échappé au Pape.

La question des procès est également intéressante. Par exemple, nous savons que le prochain procès au Vatican sur l’affaire dite de Sloane Avenue (l’investissement de la Secrétairerie d’État dans une propriété de luxe à Londres) est possible parce que le pape François a rédigé quatre rescrits qui ont suspendu certaines garanties procédurales. Il a même été question d’un « tribunal spécial », et les procureurs du Vatican ont refusé de remettre le témoignage audio-vidéo complet de l’un des témoins clés du procès, Mgr Alberto Perlasca.

J’ai parlé à plusieurs reprises d‘une vaticanisation du Saint-Siège, où le pape, agissant comme un monarque absolu, ne respecte pas en pratique les droits procéduraux que le Saint-Siège défend à travers les traités internationaux.

Le Pape, cependant, n’approfondit pas cette question. Au contraire, il l’ignore ou feint de l’ignorer. En revanche, il tient à souligner que tout est parti de plaintes internes et a privilégié cette approche. Il dit même qu’il espère que le cardinal Angelo Becciu est innocent mais note qu’il doit maintenant se soumettre aux décisions du tribunal de l’État de la Cité du Vatican. Auparavant, les cardinaux étaient uniquement jugés par un collège de cardinaux (le pape ne parle que de lui-même dans l’interview).

Cette prétendue transparence contraste toutefois avec diverses questions soulevées au cours des enquêtes. Plus qu’une justice procédurale, nous sommes face à une justice vaticane qui a pu agir de manière arbitraire, prenant des décisions qui ont même suspendu le secret professionnel. Le récit d’un procès fait pour la transparence se poursuit, alors que rien dans les procédures préliminaires n’a été transparent. Encore une fois, le pape sait et fait semblant de ne pas savoir. Il concentre tout sur le seul Vatican, sans considérer que le Saint-Siège est une entité internationale. Mais, ce faisant, il dissimule les conséquences de ses décisions. En raison de la manière dont le procès a été mené, le Saint-Siège pourrait se retrouver isolé au niveau international. Et même le charisme du pape ne pourrait le sauver.

Le pape François aborde également l’épineux chapitre des réformes du Vatican. La publication de Praedicate Evangelium, la constitution qui régit la Curie, est attendue à l’automne prochain. Le pape François a tenu à préciser que ses réformes ne sont rien d’autre que les réformes demandées lors des congrégations générales, les réunions pré-conclaves. Il s’est dit surpris de son élection mais savait bien ce qu’il devait faire car tout avait été décrit dans les congrégations générales.

De cette façon, le Pape François sécurise tous ses choix, en disant qu’il exécute un mandat qui lui a été confié. Le Pape, cependant, n’est pas, et ne peut pas être, un exécuteur de mandats. Et, bien que les Congrégations Générales aient également parlé de la nécessaire réforme de la Curie – qui est d’ailleurs en discussion depuis des années – tous n’ont pas promu ce type de réforme.

La question reste donc de savoir s’il s’agit de réformes de fond. Le pape François tient à minimiser l’idée de réforme ; il affirme que rien ne change avec la réforme de la Curie, si ce n’est une certaine réorganisation des dicastères et des fusions. Nous savons cependant qu’il n’en est pas nécessairement ainsi, et que chaque réforme ne concerne pas seulement l’organisation mais aussi la substance des dicastères. Si, par exemple, la Charité du Pape devient un dicastère, elle ne fera plus partie de la Famille pontificale. Alors, le Pape donnera-t-il sa charité personnelle uniquement à travers les bureaux du Saint-Siège ? Est-ce que ce sera la fin de l’impact symbolique de la charité accordée directement par le Pape ?

Ces questions sont exclues du débat. Quiconque les remet sur le tapis est immédiatement traité d’anti-pape. Toute possibilité de discussion est fermée. Il n’y a qu’un seul Pape. Il prend ses propres décisions. Mais en fin de compte, le Pape François lui-même veut montrer que ses décisions ne tombent pas d’en haut mais ont fait l’objet d’une consultation. Si c’est le cas, pourquoi toutes ces perplexités ? Pourquoi les inquiétudes concernant la nouvelle ligne ?

Le Pape François a dit qu’il a également consulté pour Traditionis Custodes, qui a de fait annulé la libéralisation de la célébration de la messe avec l’ancien rite. Le Pape dit qu’après dix ans, une évaluation a été faite et que ce geste d’ouverture était devenu une invitation à prendre des positions idéologiques, ce qui ne pouvait être autorisé. Tous ceux qui préfèrent célébrer avec l’ancien rite ont-ils des préjugés idéologiques ? Peut-on ainsi faire de grandes généralisations sur une question qui comporte de nombreuses nuances, différentes d’une nation à l’autre ?

Le pape François s’attarde également sur le sens de la « messe en latin », soulignant que « la proclamation de la Parole doit se faire dans une langue que tous comprennent. » Sinon, c’est « se moquer de la Parole de Dieu ». Au final, le pape montre sa nette préférence, entre autres, en refusant l’usage du latin selon le Missel de Paul VI. Pourtant, le latin reste la langue officielle de l’Église. Comment, dès lors, interpréter les paroles du Pape ?

En fait, chaque discours du Pape contient de manière cachée une série de petites contradictions. Comme si le Pape poursuivait une ligne, mais ne voulait pas être critiqué pour cette ligne et essayait d’éviter la critique en créant un récit. Peut-être que tout cela est exagéré, et peut-être que le Pape François fait cela par naïveté.

Mais s’il n’est pas naïf, nous serions face à un récit à déconstruire car chaque action doit être comprise à partir de ses racines. Les déclarations d’un Pape ne suffisent pas. Nous devons analyser les faits. Et les faits disent que le Pape François, dans certains cas, dit une chose et en fait une autre.

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