Editorial éclairant sur la NBQ. La COP 26, comme on le voit, marque un nouveau crescendo dans la rhétorique alarmiste des gouvernements occidentaux (il n’en va pas de même pour les grandes puissances de l’Est – Chine, Inde et Russie – qui refusent ce discours catastrophiste, plus soucieuses d’améliorer leurs performances économiques et d’accroître le niveau de vie de leurs citoyens, et l’Afrique reste pour le moment spectatrice) Mais au-delà des jérémiades convenues destinées à la galerie sur le sort de « la planète », ce qui se cache c’est l’intention de notre oligarchie de gérer la décroissance réputée inéluctable (au nom de l’idéologie à la mode) dans l’opulent occident tout en conservant ses privilèges (au moins à l’échéance d’une génération, « après eux, le déluge! » ou plutôt la fin du monde), imposant dans la foulée une société de contrôle social plus ou moins sur le modèle chinois.

Sous le prétexte d’une « transition » historique à mettre en œuvre dans un délai très court, [les élites] entendent en réalité imposer à leurs peuples une énorme concentration de pouvoir, un tournant dirigiste, une fusion du mégacapitalisme privé et de la planification étatique coordonnée au niveau supranational, qui devrait conduire à un « refroidissement » contrôlé non pas tant du climat que des sociétés : compression et « dématérialisation » de la consommation, absorption des petites et moyennes entreprises dans de grands groupes bénéficiant d’incitations et de subventions publiques, séparation nette entre les classes supérieures encore capables de soutenir la course à la consommation et les masses sous-prolétarisées, sous-employées ou confiées à des « revenus de codétermination », « profilées », « confinées », bio-contrôlées, peut-être avec un système de « crédit social » sur le modèle chinois…

Le nouveau Boris Johnson est arrivé

Les élites occidentales veulent la « transition écologique » pour gérer le déclin économique et consolider leur pouvoir.

Eugenio Capozzi (*)
La NBQ
2 novembre 2021
Ma traduction

(*) Professeur d’histoire contemporaine à l’université Federico II de Naples (1959-)

Le G20 qui s’est tenu à Rome il y a quelques jours et la Cop 26 inaugurée hier à Glasgow marquent une nouvelle escalade de la rhétorique alarmiste des principaux gouvernements occidentaux sur les mesures à prendre pour éviter la « crise climatique ». Mais, en même temps, ces deux rendez-vous marquent aussi une rupture de plus en plus perceptible entre cette rhétorique de plus en plus définitive, d’une part, et les programmes effectivement convenus par les gouvernements pour réduire les émissions de CO2 tant diabolisées, qui, d’autre part, connaissent une dilution tangible, devenant plus vagues et moins contraignants.

En outre, ces deux événements ont mis en lumière de manière désormais indiscutable la divergence très nette sur ces questions entre l’Europe et les Etats-Unis d’une part, et les pays asiatiques d’autre part. Une divergence mise en évidence par la participation réduite de la Russie et de la Chine au sommet de Rome et leur absence au sommet de Glasgow. Cette divergence s’est traduite par l’objectif général, fixé à l’issue du G20 de Rome, de limiter la croissance de la température de la planète à 1,5 degré « d’ici le milieu du siècle ».

Bref, malgré la mobilisation pressante sur le changement climatique lancée ces deux dernières années, symbolisée par la figure « hiératique » de la jeune Greta Thunberg, il semble désormais évident qu’un compromis implicite a été trouvé par rapport au cadre tracé par les accords de Paris de 2015 – formellement approuvés mais en réalité largement ignorés par la plupart des pays industrialisés asiatiques. L’Occident poursuit vigoureusement sa campagne de « dé-carbonisation », visant la « neutralité » des hydrocarbures d’ici 2050 (tout en laissant de nombreuses questions ouvertes sur la possibilité et la volonté réelles d’atteindre cet objectif), en suivant un « scénario » comme celui exprimé par le Premier ministre britannique Boris Johnson lors de l’ouverture de la COP26, selon lequel nous sommes « à une minute de minuit » et devons prendre des mesures extrêmes avant qu’une catastrophe irréversible ne se produise. Dans l’intervalle, l’Asie est laissée relativement libre de poursuivre son impressionnante croissance économique en évaluant avec souplesse la possibilité, le calendrier et les méthodes d’une « conversion » énergétique qui, à l’heure actuelle, semble absolument irréaliste, et encore plus inacceptable pour les régions du monde particulièrement soucieuses d’élever le niveau de vie de leurs populations ou – comme la Russie – toujours inextricablement liées économiquement à l’exploitation du pétrole et du gaz naturel.

Cette différenciation très nette et radicale entre les pays industrialisés de l’Ouest et ceux de l’Est (avec l’Amérique latine en position médiane, et l’Afrique faisant encore office de spectateur), au-delà du rideau ténu d’une prétendue unité d’intention, représente un tournant historique dont il faut bien comprendre les racines et la signification.
Elle peut être résumée comme suit : les nations les plus récemment industrialisées considèrent la croissance économique comme un objectif absolu et inéluctable, tandis que celles dont l’industrialisation est plus ancienne et la prospérité mieux établie ont choisi de gérer leur propre décroissance.

Le choix de mettre en évidence les craintes d’une prétendue urgence climatique afin de promouvoir une profonde transformation sociale de la part des classes dirigeantes occidentales doit être lu autant en termes économiques et politiques qu’en termes psychologiques. Les sociétés « aisées » ou « opulentes » sont de plus en plus âgées et stériles, de plus en plus minées par le nihilisme et la sécularisation intégrale, de plus en plus incapables de soutenir la croissance économique en multipliant la consommation au détriment de la dette publique et privée. Les sentiments qui dominent au sein de leurs populations sont la peur de l’avenir, la terreur de la mort, l’angoisse de perdre ce que l’on possède. La psychose de l’apocalypse climatique est l’une des expressions de ce sentiment généralisé. En elle – comme dans la psychose plus récente de la contagion pandémique – est sublimée une attitude générale de renoncement total et de défensive face à la dialectique historique, au conflit, au risque.

Les classes dirigeantes occidentales expriment physiologiquement, à travers leurs systèmes de représentation, cet état psychologique dominant chez leurs gouvernés. Mais, en plus, elles ont décidé de saisir la balle au bond et de l’utiliser pour cimenter leur propre pouvoir, en alliance et en convergence d’intérêts avec les oligopoles géants de l’économie digitalisée qui dominent désormais leurs marchés. Les élites politiques et économiques ont adopté avec enthousiasme le « récit » selon lequel la civilisation humaine – et en particulier l’industrialisation depuis le XXe siècle – est la principale responsable du changement climatique, et qu’une « conversion » écologique drastique vers une humanité « zéro impact », « durable », « biodégradable » peut inverser la course vers l’apocalypse, en déroulant des tapis rouges devant Greta et ses soutiens. Ainsi, sous le prétexte d’une « transition » historique à mettre en œuvre dans un délai très court, elles entendent en réalité imposer à leurs peuples une énorme concentration de pouvoir, un tournant dirigiste, une fusion du mégacapitalisme privé et de la planification étatique coordonnée au niveau supranational, qui devrait conduire à un « refroidissement » contrôlé non pas tant du climat que des sociétés : Compression et « dématérialisation » de la consommation, absorption des petites et moyennes entreprises dans de grands groupes bénéficiant d’incitations et de subventions publiques, séparation nette entre les classes supérieures encore capables de soutenir la course à la consommation et les masses sous-prolétarisées, sous-employées ou confiées à des « revenus de codétermination », « profilées », « confinées », bio-contrôlées, peut-être avec un système de « crédit social » sur le modèle chinois, administré par des applis et des banques, des données partagées entre les entreprises et les gouvernements.

La  » transition écologique  » apparaît en somme, à l’instar de l’urgentisme sanitaire, comme un projet entièrement interne à la dérive nihiliste occidentale, visant à contrôler un déclin vu comme inéluctable : enfermer les sociétés (autrefois) opulentes dans une forteresse, sauver les aristocraties le plus longtemps possible, désamorcer le conflit social. Jusqu’à ce que, le plus tard possible, les grands changements en cours dans le reste du monde viennent inévitablement frapper à la porte et que, dans le nouvel équilibre international des forces, ce qui reste de l’Occident se retrouve dans une position fatalement subordonnée à de nouveaux maîtres.

Mais les classes dirigeantes occidentales ne voient pas si loin. Aussi nihilistes qu’ils soient, ils n’ont besoin de rester en selle que le temps de leur vie biologique. Et « après nous le déluge ».

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