Le petit discours improvisé prononcé en roue libre par un Pape hors de contrôle au cimetière français de Rome ne contenait pas seulement l’hommage scandaleux aux protagonistes des « maroquinades » dans l’Italie méridionale de 1944. Il y avait aussi le développement d’un concept assez creux, mais typique de la rhétorique post-conciliaire, et qui est récurrent chez lui [(*)] : celui du « marcher ensemble ». Marcher ensemble, oui, mais pour aller où? se demande à juste titre AM Valli.

(…) Après avoir précisé que ses considérations lui ont été inspirées par une inscription vue dans un petit cimetière (« Toi qui passe, pense à tes pas, et de tes pas pense au dernier pas ») et rappelé que « la vie est un chemin », que « nous sommes tous en chemin » et que « nous aurons tous un dernier pas », le Pape a dit : « L’important est que ce dernier pas nous trouve en chemin, et pas en train de nous promener [girando in passegiata]. Être en chemin pour que le dernier pas nous trouve en train de marcher. C’est la première pensée que je voudrais dire et qui me vient du cœur ».

Il n’est pas nécessaire d’être un grand théologien pour voir que dans cette réflexion, au moins, il manque quelque chose. Le but du chemin est absent. En partant du principe que la vie est un chemin, la spécificité du chrétien est que ce chemin a un but, qui est le paradis, le salut de l’âme dans l’éternité. Un but qui, pour être atteint, nécessite la conversion à Dieu et le rejet du péché.

Le Pape, cependant, n’a pas fait la moindre référence au but, à l’objectif. Pour lui, a-t-il dit, l’important est que le dernier pas nous trouve non pas figés en Dieu, non pas dans la prière, non pas dans l’adoration, mais « nous trouve en train de marcher ». Il s’avère donc que le chemin lui-même est le but.

On dira que le pape parlait a braccio, qu’il ne s’agissait pas d’une réflexion systématique. Et c’est vrai. Mais il est très étrange qu’il ne lui soit pas venu naturellement de mentionner au moins le but du cheminement chrétien, alors que, comme en de nombreuses autres occasions, il voulait souligner l’importance de la marche.

Peut-être le pape a-t-il considéré comme acquis que la marche chrétienne est une marche vers le salut de l’âme, dans le rejet du péché. C’est peut-être le cas. Cependant, étant donné que l’Église catholique, précisément sur l’ordre de François, est engagée dans un synode sur la synodalité qui a pour but d’exalter le chemin et le « marcher ensemble », comme si la particularité de la vie chrétienne consistait dans ce « marcher ensemble » (même avec des non-chrétiens et des non-catholiques) et non pas à essayer d’atteindre le salut en distinguant le vrai du faux, l’homélie prononcée le 2 novembre prend une saveur particulière. Et pas une saveur agréable.

On pense aussi au logo choisi pour le synode, une image qui montre un groupe de personnes toujours en mouvement, au milieu duquel se trouve l’évêque (ou le pape). Au milieu, et non à la tête, comme il se doit. Comme si, encore une fois, l’important n’était pas d’avoir une destination, mais de marcher tous ensemble.

Depuis quelque temps, la rhétorique du « marcher ensemble » a remplacé celle de l’aggiornamento, tout comme la rhétorique de l’écoute a remplacé celle du dialogue. En fait, il n’y a pas un seul homme d’Église aujourd’hui, à commencer par les évêques, qui n’insiste pas ad nauseam sur l’importance de marcher ensemble et d’écouter. Mais la question fondamentale reste sans réponse : marcher pour aller où ? Et écouter avec quel objectif ?

Jésus n’a pas dit aux apôtres « allez dans le monde entier pour marcher ensemble ». Il a dit : « Allez dans le monde entier et proclamez l’Évangile à toute créature. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné ». Et il ne nous a pas ordonné d’écouter – quoi que cela signifie – mais de guérir les malades, de ressusciter les morts, de guérir les lépreux, de chasser les démons, en apprenant à tous à observer ce qu’il a ordonné.

Après tout, cela fait une certaine différence.

(*) Ndt

J’ai repensé à ce discours, datant de 2014, alors qu’il était en visite privée chez un pasteur pentecôtiste de ses amis. Mais ce n’est qu’un exemple, il y en a beaucoup d’autres (en passant, on voit mal, ici le rapport entre la « marche » et les commérages, autre thème récurrent). En réalité, François s’exprime généralement par slogans, en nombre réduit, toujours les mêmes

Mon frère le pasteur Giovanni (Traettino) a commencé en parlant du centre de notre vie: être dans la présence de Jésus. Et puis il a dit «marcher» en présence de Jésus. Et c’est le premier commandement que Dieu a donné à son peuple, à notre père Abraham: «Va, marche en ma présence et sois irréprochable». Et le peuple a marché: quelquefois en présence du Seigneur, de nombreuses fois pas en présence du Seigneur. Il ont choisi les idoles, les dieux … Mais le Seigneur a de la patience. Il a de la patience avec le peuple qui marche. Moi, je ne comprends pas un chrétien à l’arrêt! Un chrétien qui ne marche pas, je ne le comprends pas! Le chrétien doit marcher! Il y a des chrétiens qui marchent, mais pas en présence de Jésus, nous devons prier pour ces frères. Pour nous aussi, quand à certains moments, nous ne marchons pas en présence de Jésus, parce que nous aussi nous sommes tous pécheurs, tous! Si quelqu’un n’est pas un pécheur, qu’il lève la main.
Marcher dans la présence de Jésus…
Des chrétiens à l’arrêt: cela fait mal, parce que ce qui est à l’arrêt, ce qui ne marche pas, se corrompt. Comme l’eau qui s’arrête (stagnante), qui est la première eau à être corrompue, l’eau qui ne coule pas … Il y a des chrétiens qui confondent « marcher » avec « se promener [girare] ». Ce ne sont pas des « marcheurs« , ce sont des « errants » et il courent ici et là dans la vie. Ils sont dans le labyrinthe, et ils errent, ils errent … Il leur manque la ‘parresia‘, l’audace pour aller de l’avant; il leur manque l’espérance. Les chrétiens qui n’ont pas d’espérance se promènent dans la vie; ils ne sont pas capables d’aller de l’avant. Nous sommes sûrs seulement quand nous marchons dans la présence du Seigneur Jésus, Il nous éclaire, Il nous donne son Esprit pour marcher bien.

Quand on marche dans la présence de Dieu, on trouve cette fraternité. Mais quand nous nous arrêtons, que nous nous regardons trop l’un l’autre, on trouve un autre chemin … mauvais, mauvais! Le chemin du commérage. Et on commence: «Mais toi, tu ne sais pas?». «Non, non, je ne le sais pas de toi. Je le sais d’un tel … »; «Je suis pour Paul.. Je suis pour Apollo… pour Pierre»….

*

Discours de François du 28 juillet 2014, à Caserte, lors d’ une visite privée à son ami le Pasteur pentecôtiste Giovanni Traettino et à sa communauté de la Réconciliation (benoit-et-moi.fr/2014…,le-pape-sadresse-a-ses-freres-pentecotistes)
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